Belo Horizonte, dans un bar de Savassi, au milieu du mois de décembre. La touffeur de l’air envahit la pièce, et le ventilateur mourant ne parvient pas à brasser suffisamment l’air pour chasser la sueur du front des convives. Dehors, on entend vaguement les roulements d’un tambour.
Caïpirinha
André se penche vers son téléphone portable, et ouvre WhatsApp. Pas de nouveaux messages. La caïpirinha posée sur la table est presque vide. En face de lui, Bruninho en est déjà à sa troisième bière. Maillot du Cruzeiro sur le dos, il regarde son ami avec un sourire en coin. Le Gallo a perdu hier soir, et André n’a pas osé mettre la tunique noire et blanche du Mineiro. Il règne un silence pesant dans le bar, a peine rompu par la clameur de la rue. André tourne sa tête vers la terrasse. Il ne vient toujours pas. Les deux hommes commencent à s’agacer. A son tour, Bruninho regarde anxieusement son téléphone. Rien d’intéressant, juste un message de sa fiancée qui lui demande s’il a pensé à réserver un motel pour la soirée.
« Je vais bientôt la larguer, elle », lâche-t-il dans un fou rire. André s’esclaffe. Bruninho n’en n’est pas à son coup d’essai avec les femmes. Tous les mois, un nouveau prénom est suivi d’un cœur dans le répertoire de son téléphone. Mais seulement deux numéros sont suivis d’un ballon de football. Celui d’André, et celui de Zinho, l’homme que tous attendent.
Le serveur passe près de la table, et pose sa main libre sur l’épaule d’André. Celui-ci fait un petit geste de la main, en désignant sa tasse. Le verre, désormais vide, passe prestement sur le plateau et une nouvelle caïpirinha fait immédiatement son apparition sur la table. Bruninho se ressert un verre de bière. Ses lèvres s’agitent d’un tic. Il est tout aussi impatient que son camarade. La table d’à côté est occupée par des italiens, qui commandent des salgados à grands renforts de gestes. Le serveur en propose à André et Bruninho, qui refusent poliment.
Tambour
Le tambour dans la rue se rapproche petit à petit. En même temps que le temps défile et que le bruit augmente, les tics sur le visage de Bruninho s’amplifient. Bientôt, il a le visage complètement crispé dans un sens ou dans l’autre. « Qu’il aille se faire foutre », lâche André. « On ne peut pas… », lui répond son acolyte. André le sait bien, ils ne peuvent pas faire sans Zinho. Ils sont bloqués là, à l’attendre. Et à se morfondre. André essaye de l’appeler à nouveau, mais il ne répond toujours pas. Bruninho termine sa bouteille de bière, hésite, et la repose à l’envers dans le seau. Le serveur débarrasse immédiatement. Une nouvelle bouteille fait son apparition sur la table.
« C’est un infâme », lâche André. « Ne dis pas ça, André ». Bruninho se mange maintenant complètement les doigts au lieu de se tenir correctement. Les Italiens les regardent étrangement. L’un d’entre eux, un chauve avec une chemise à rayure, lâche à demi-voix le mot cocaina dans sa langue natale. À l’oral, le mot est transparent, mais Bruninho fait semblant de ne pas avoir entendu. André prononce quelques paroles acerbes à l’encontre des étrangers, dans sa barbe de trois jours.
Les portes du bar s’ouvrent doucement au son d’un tambour. Bruninho et André se lèvent comme un seul homme. C’est Zinho. Il est là, enfin. Ils courent vers lui, lui arrachent son sac des mains et l’enlacent en même temps. Entre les insultes et les démonstrations d’amitié, Zinho vacille. Le sac qu’avait attrapé Bruninho s’ouvre soudain et tombe par terre. Un ballon de football roule sur le plancher du bar.