Pelé. Edson Arantes do Nascimento. Pour beaucoup d’amateurs de football, ce nom est sacré. Et pour presque toute personne ayant déjà entendu parler de football dans sa vie, le nom de Pelé rime avec O Rei, le roi, la légende, le plus grand joueur de l’histoire de ce sport. Mais comment un gamin de la petite ville de Três Corações, à trois-cent kilomètres de Belo Horizonte, São Paulo et Rio de Janeiro, est-il devenu si grand ?
Rio Verde
Quand Pelé voit le jour, en 1940, cela ne fait que dix-sept ans que Três Corações porte son nom actuel. Aucune personnalité marquante n’est liée à cette ville. Dans le Minas Gerais, d’ailleurs, personne ne connaît réellement cette municipalité blottie le long du Rio Verde. Ouro Preto, Tiradentes, São Joao Del-Rei, Belo Horizonte, Diamantina, Uberlandia ou Juiz de Fora jouissent d’un prestige bien supérieur à la bourgade natale de Pelé. En 1940, l’électricité vient d’arriver à Três Corações, et Pelé tire son prénom du « découvreur » de l’énergie électrique, une faute d’orthographe typiquement brésilienne au passage.
L’histoire devrait s’arrêter là, si en 1942, alors que la guerre fait rage en Europe et que l’Amérique du Sud s’engraisse grâce au commerce, Jõao Ramos do Nascimento, que le football retient sous le nom de Dondinho, n’avait pas décidé d’aller jouer au Fluminense. Fluminense. Un des plus grands clubs du football brésilien, dans la cité merveilleuse de Rio de Janeiro. Toute la famille déménage à la suite de Dondinho, Pelé y compris. Ce petit monde s’installe dans la Zone Ouest, à Bangu. Et Jõao amène avec lui son fils Edson aux entraînements.
Le babil de l’enfant lui donnera, alors qu’il n’a que trois ans, le surnom qui le rendra célèbre. Alors qu’il parle à peine, il répète en boucle « Pilé », voulant prononcer ainsi le nom du gardien du Vasco, Bilé. Le talent du gamin fera le reste. Il ne quitte plus les stades de football, et rejoint à quinze ans Santos, dans les bagages de Waldemar de Brito. Il ne lui faudra pas longtemps pour faire preuve de son talent.
Bus express
L’histoire avec Santos ne vaut sans doute pas la peine d’être répétée. Toujours est-il que celui que tout le monde appelle Pelé marque but sur but, et en deux ans seulement, s’impose dans la Seleção. C’est cette Coupe du Monde 1958 qui le révèle au grand public, aux côtés d’un certain Garrincha. Blessé au cours des matchs de poule, il éclabousse la phase finale du tournoi de son talent, grâce notamment au rocambolesque match contre l’équipe de France. Champion du monde à dix-sept ans, il accumule les buts avec Santos.
1962 devrait marquer son apogée, mais Pelé se blesse au tout début du mondial. Pas grave, Garrincha est encore là pour porter le Brésil vers son deuxième sacre mondial. Quatre ans après, à seulement vingt-et-un ans, Pelé double son palmarès mondial. Mais le gamin de Três Corações n’est pas encore entré dans la légende. Après tout, en 1962, des doubles champion du monde, il y en a d’autres ! Ils sont ainsi quatorze de l’aventure de 1958 à être présent en 1962, et quatre italiens ont remporté le mondial en 1934 et en 1938.
Et alors que le mondial 1966 devrait permettre à Pelé d’être enfin titulaire tout au long du tournoi et de porter seul le Brésil, la Seleção s’effondre. Mais c’est en fait là que Pelé creuse l’écart avec les autres joueurs brésiliens. Car en 1966, le diamant brut n’a que vingt-cinq ans… et en 1970 vingt-neuf ans. Il peut donc porter le Brésil à son troisième sacre mondial, seulement douze ans après le premier. Même pas trentenaire, l’enfant du Minas Gerais élevé à Rio de Janeiro devient le premier (et seul) joueur triplement étoilé.
Légende ?
Trois fois champion du monde, Pelé devient donc un sérieux concurrent pour le titre de meilleur joueur de l’histoire du football, et a fortiori du football brésilien. Mais ce n’est pas uniquement sur le terrain que le roi Pelé va devenir une légende. C’est d’abord une communication unique qui va offrir à Pelé son rang unique dans le panthéon du football. Hors des terrains, à l’inverse de son grand concurrent Garrincha, Pelé est impeccable. Pas de beuveries, pas d’armes à feu, pas de problèmes de femme.
Et puis Pelé a une belle gueule qui plaît aux médias. Alors quand il se met à recenser chacun de ses buts, y compris en matchs amicaux, la radio et les journaux accrochent. Quand en novembre 1969, Pelé inscrit son millième but, le monde entier est au courant. Et peu importe si la moitié ne sont pas officiels. Le phénomène est tel que lors des matchs précédents, les équipes adverses essayent de faire marquer Pelé pour être les heureux vaincus !
C’est aussi grâce à sa longévité que le nom de Pelé est rentré dans les dictionnaires comme synonyme de légende. D’abord sur les terrains, où il porte le maillot de Santos pendant dix-huits ans et celui du Brésil pendant quatorze. Et puis en dehors. Car le roi est encore en vie, cinquante après. Le roi est toujours là, à chacune des conventions de la FIFA. Le roi est encore là, pour faire vivre sa légende. Son vocabulaire est châtié, sa langue précise. Qui refuserait un gendre idéal ? Et enfin, le numéro. Qui peut citer le numéro de Garrincha ? (*) Presque personne. Qui ignore que Pelé portait le numéro 10 ? Presque personne. Partout dans le monde, Pelé est la légende ultime du football.
Prophète en son pays
Partout dans le monde ? En fait, pas vraiment. Bien sûr, il y a les pays où le ballon rond n’est pas le sport roi, mais même là, Pelé a son aura. Non, c’est au Brésil que Pelé ne fait pas l’unanimité. Il y a d’abord ceux qui lui reprochent son après-carrière, son engagement en politique – même s’il n’a pas été marqué par des scandales – et ses relations extra-conjugales, ses enfants hors mariage. Mais il y a aussi ceux qui connaissent le talent de Pelé sans s’incliner devant. Car au Brésil, Pelé est une légende nationale, mais aussi la légende de Santos. Comment un supporter de Palmeiras pourrait-il vénérer le meilleur buteur du club honni, du club rival ? Et peut-on reprocher à un supporter du Vasco de préférer largement Roberto Dinamite, plus de sept-cents buts avec le Gigante da Colina ?
Et puis le Brésil, c’est aussi le carnaval, la samba, la saudade, la violence, les favelas, la pauvreté. Le Brésil, c’est aussi la cachaça mélangée au cognac dans un bar de nuit d’un morro quelconque, la caïpirinha à sept heures du matin avant d’aller au travail, les femmes trompées et les maris vengés. Tout n’est pas parfait, bien policé, pour les touristes. Il y a aussi cette part exubérante du Brésil que Pelé, avec son image parfaite pour les cérémonies de la FIFA, ne représente pas. Cette part du Brésil, c’est Garrincha, c’est O Doutor Sócrates, ce sont ces joueurs qui portent une identité et une personnalité. Bien sûr, ils ont peut-être moins travaillé que Pelé. Mais ils ont sûrement eu autant de talent, et c’est pour cela que le Brésil est un pays de football. Car il sait reconnaître le talent même quand il ne s’exprime pas dans sa quintessence.
(*) Garrincha portait le numéro 7 au cours de la majeure partie de sa carrière.