Ce lundi 28 février, la Fédération Internationale de Football Association a solennellement décidé d’exclure la Russie de la prochaine Coupe du monde en raison de l’invasion russe commandée par Vladimir Poutine sur l’Ukraine. Un véritable tournant dans la politique de cette organisation.
Neutralité neutralisée
Si le grand ordre des choses et les horreurs bien concrètes de la guerre nous inspirent la plus haute humilité quant à cet événement, c’est bel et bien un petit séisme qui vient de secouer le monde du football. Cela va bien au-delà de la normale solidarité envers les Ukrainiens et de la condamnation de l’invasion russe. Et bien plus loin, évidemment, que les difficultés logistiques d’organiser des événements sportifs en Russie. Cette décision redéfinit le prisme par lequel la FIFA et l’UEFA voient leurs administrés. La neutralité et l’apolitisme qui caractérisaient (ou du moins, essayaient de caractériser) ces organisations sportives ne sont plus.
Dans leur contexte, la décision de la FIFA et de l’UEFA n’est qu’une vague tardive dans une tempête de bannissements d’athlètes, d’équipes ou de représentations russes dans le monde du sport. Le 26 février, soit deux jours après l’offensive russe sur le territoire ukrainien, la fédération norvégienne de ski était la première à exclure les athlètes russes de ses compétitions, « condamn[ant] fermement la violation du droit international commise par la Russie en attaquant l’Ukraine et le peuple ukrainien ». L’effet domino s’est ensuite étendu à de nombreux sports. Les fédérations internationales de ski, de biathlon, de boxe, de judo, de natation ou encore d’automobile ont tous, dans les jours suivants, pris des mesures d’exclusion vis-à-vis de la Russie, ses athlètes, ses infrastructures ou ses représentations.
Côté football, la fédération polonaise fut la première à communiquer son ire à l’idée de jouer un barrage de Coupe du monde contre la Russie. Ses homologues tchèques et suédoises, ainsi que la FA anglaise, suivirent dans la foulée.
Parti excommunié
Ce mouvement a culminé, hier, avec deux communiqués des plus hautes instances du sport mondial. Le Comité International Olympique a ainsi invité toutes les fédérations sous son giron à ne plus organiser d’événement en Russie ou en Biélorussie – le Mondial de volleyball doit se tenir en Russie cet été – et à ne plus inviter d’athlètes russes ou bélarusses ou, le cas échéant, de les faire concourir sous bannière neutre jusqu’à nouvel ordre.
Enfin, ce fut autour de la FIFA et de l’UEFA d’exclure les équipes et clubs russes de toute compétition jusqu’à nouvel ordre. Et ce alors que le communiqué de la veille, bien plus timoré, prônait le régime de la bannière neutre (que la Russie devait de toute façon arborer après décision du TAS dans l’affaire de dopage institutionnalisé). Cela prive donc le Spartak Moscou de son huitième de finale d’Europa League, la sélection masculine de son barrage contre la Pologne et de facto de Mondial, et la sélection féminine de l’Euro en Angleterre où elle devait affronter la Suisse, la Suède et les Pays-Bas.
En moins d’une semaine, le monde du sport a suivi le cours du monde. En même temps que la Russie de Vladimir Poutine se trouvait de plus en plus isolée, les fédérations internationales en ont ostracisé ses allégories sportives. Fédérations internationales qui elles-mêmes reprennent pourtant toutes peu ou prou la même rhétorique de ces sports qui laissent la politique de côté pour unir les peuples sous l’égide de la fraternité et du dépassement de soi. Sacré virage pour la FIFA et toutes ses copines.
L’apolitique de l’autruche
Bien sûr, le sport en soi n’est pas neutre politiquement. C’est une immense banalité de dire que les rencontres sportives sont de très politiques théâtres des conflits et luttes disputés partout dans le monde. On pourrait dérouler une liste longue comme le bras de revendications, propagandes et incidents diplomatiques en lien avec le sport.
Quant aux organisations apolitiques que sont la FIFA et l’UEFA, elles pouvaient feindre de promouvoir la neutralité du sport autant qu’elles le voulaient, toujours est-il qu’elles avaient déjà pris l’habitude de s’immiscer (comme par exemple lorsque la FIFA força le Brésil à autoriser la ventre d’alcool – seulement la bière produite par le sponsor officiel, tant qu’à faire – dans les stades en 2014), de trancher (avec l’introduction d’Israël dans la zone Europe en 1990), et de composer (sur ce même conflit russo-ukrainien, l’UEFA avait déjà empêché toute confrontation entre les clubs des deux pays depuis 2014) avec la politique. Les États se servent du sport à des fins politiques, les organisations législatrices du sport ne se privent pas non plus.
Le cas de la Yougoslavie à l’Euro 1992 est même un précédent qui trouve aujourd’hui une résonnance toute particulière. Alors que le conflit armé éclate en octobre 1991, la FIFA suspend la fédération yougoslave tandis que l’UEFA exclut sa sélection du prochain Euro en Suède. La suite de l’histoire est connue : le Danemark, repêché, remporte sa première Coupe d’Europe de l’histoire (en décembre prochain, gardez un œil sur la Pologne…).
Ceci étant, la FIFA et l’UEFA agissaient dans le cas de la Yougoslavie sous la directive de l’ONU qui, par sa résolution 757 du 30 mai 1992, instaura un embargo sur la Yougoslavie intimant ses membres « d’empêcher la participation à des manifestations sportives sur leur territoire de personnes ou de groupes représentant la RFY ».
Un tournant politique, c’est à droite ou à gauche ?
Or, ici, en 2022, dans le cas de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la FIFA agit de son propre chef. Certes, il y a bien eu des nations comme le Royaume-Uni qui ont fait partie des premières pressions pour exclure la Russie du Mondial. Mais il n’y a à ce jour aucune directive internationale quant à la présence d’athlètes russes dans les conventions sportives. Il s’agit bien ici d’une décision qui appartient purement à la FIFA et marque un tournant dont on ne peut faire demi-tour.
Il sera de fait très intéressant d’observer la suite : la FIFA est désormais engagée politiquement. Elle est donc pleinement susceptible de juger ses participants, ses hôtes, ses financements (et ceux de ses membres), selon ce qu’elle définit comme décent sur son spectre politique – qui n’est, soit dit en passant, pas précisé dans ses premiers communiqués, si ce n’est une dénonciation de l’utilisation de la force et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cela signifie-t-il la fin de l’association de notre sport, de nos clubs et de nos événements à des dirigeants autocratiques et autres oligarques condamnés ?
Refuser l’argent de Gazprom, c’est bien, mais si c’est pour se réfugier dans les puits de pétrole saoudiens, quel intérêt ? Les lignes rouges seront difficiles à tracer. Certaines mallettes devront probablement être refusées. Les maux de tête surgiront lorsqu’il faudra prendre partie sur le prochain conflit.
Car sans même ouvrir le dossier des vices internes de la FIFA apparaît d’emblée une amère ironie. La FIFA vient-elle vraiment d’exclure pour des raisons humanitaires la Russie de sa Coupe du monde qu’elle organise… au Qatar ?
L’hypocrisie de l’apolitique sera peut-être succédée par l’hypocrisie du politique : la FIFA avance – non, sérieusement, c’est un pas en avant. En espérant qu’elle découvre la décence au bout du chemin.