Certains ont besoin d’histoires pour vivre, d’autres ont besoin de récits pour ne pas mourir. Le football raconte des histoires que seule la vie sait copier, et qui font vibrer les âmes et les esprits. Une nouvelle histoire se raconte dans chacune des parties de football que nous disputons de notre vie.
Héros
Nous avons tous besoin de héros, d’héroïnes. Qu’ils s’appellent Petit Roi, T. S. Garp ou Pierre Bezoukhov, qu’ils soient délinquants, écrivains bâtards ou enfants illégitimes, ils représentent quelque chose de nous. Quelque chose d’inné dans notre conception du monde, quelque chose d’essentiel pour nous construire. Tous les enfants rêvent d’être les héros qu’ils lisent, et de reproduire leurs destins fantastiques. Le football ne fait pas exception à la règle. Si les dribbles de Garrincha ont ensorcelés un tiers de l’humanité, c’est que l’ange aux jambes torves était une expression sous-jacente de nos aspirations quotidiennes de folie. Qui ne rêverait pas d’être porté de nulle part à la gloire éternelle à la faveur d’un coup du sort ?
Tout le monde ne rêve pas d’être quelqu’un de bien. Certains hurlent de bonheur devant Maharaja ou devant l’homme à la balafre. D’autres se plaisent à s’imaginer en Don Vito Corleone, en Don Pietro Savastano, avec un costume Scabal rayé, une fleur rouge à la poitrine et une moustache dédaigneuse. Pourtant, nous ne pouvons pas tous avoir ces destins splendides, tragiques, amoraux et complexes. Il faut des gentils pour que les méchants puissent vivre. Il faut des ordures pour que la vertu prenne un sens. Pour connaître le rôle qui est le leur, les loups doivent pouvoir trouver des agneaux. Et il faut des perdants pour avoir des gagnants. Nos héros du rectangle vert portent le même drapeau que nos héros de papiers : un drapeau noir tâché de sang rouge écarlate.
Dieu existe
Dieu existe pour ceux qui n’ont pas encore réussi à le tuer. Car Dieu est en nous à la fois le même et à la fois différent. Il est à la fois l’expression de nos peurs et celle de nos espoirs. Certains parviennent à se rendre compte que l’emprise d’un être plus grand qu’eux n’est qu’une absurdité, et parviendront à s’en libérer pour vivre une existence heureuse. D’autres, au contraire, courbés par la peur de découvrir qu’ils se sont trompés, resteront à regarder fixement la cible divine jusqu’à disparaître eux-mêmes. Louer, chanter, prier, espérer. Et surtout, souhaiter de ne pas s’être trompé, car les autres ont forcément tort. Les autres religions. Jésus, Bouddha, Mahomet. Pelé, Diego Maradona, Georges Best. Aucune religion n’a plus raison qu’une autre, ou bien c’est simplement qu’elle a moins tort aujourd’hui mais se trompera demain de la même manière que l’on peut espérer.
Le seul problème, ce sont finalement les sentiments. De la droite à la gauche du terrain se succèdent la haine, l’envie, la jalousie, l’amour, la peur, l’espoir, l’angoisse, la certitude, le doute, l’hésitation. Et au bout d’un moment arrive enfin le moment final, la fin d’une compétition, d’un match, d’une action. Et tout recommence immédiatement. Une nouvelle histoire succède à la première. Et dans cette nouvelle histoire, peu importe que les protagonistes aient tous le même but, ils ne font pas la même chose pour y arriver. Et c’est justement là que réside la beauté du football : il est impossible de voir les choses autrement que par le prisme d’une répétition qui, par un heureux hasard, se transforme en changement permanent.
Au fond, la nouvelle histoire que nous vend chaque heure le football n’est que la raison d’être de notre vie. Un moyen de remplir le vide, de rire et d’aimer. Et d’être heureux, enfin.