Créer. L’angoisse de la feuille blanche sur laquelle les mots ne jaillissent pas. L’écrivain, seul face à son ordinateur, qui ne sait pas quoi écrire. Créer. L’angoisse du footballeur face au jeu qui ne sait pas où orienter la balle. Et puis parfois, c’est le carambolage. Dix idées surgissent à la pelle. Dix personnages, dix histoires. Trois options de passes se libèrent. Que choisir quand la créativité devient un fardeau plutôt qu’un atout ?

Fierté

« Être courageux dans l’isolement, sans témoins, sans l’assentiment des autres, face à face avec soi-même, cela requiert une grande fierté et beaucoup de force. » Ce mot de Kundera peut prêter à sourire tant il semble trivial, évident, simple. Et pourtant, le courage est parfois d’assumer ses décisions. Beaucoup d’options, et toujours au moins une moins bonne que les autres. Mais voilà, on ne le sait pas avant d’avoir choisi. Car créer, c’est choisir, c’est choisir pour soi et pour soi seul. Peu importe si les autres sont opposés, car seul celui qui fait l’action, qui prend le risque unique et ultime est capable de décider. Et d’endosser la responsabilité, s’il le faut. Et d’endosser la gloire, s’il le peut.

La gloire. C’est l’envie ultime qui anime tous ceux qui créent, tous, sans exceptions. Car créer n’a de but que l’admiration externe. Aucun artiste n’est une île, aucun créateur n’est isolé dans ce monde vulgaire. Dans la tête, tout se bouscule. Les envies de vie, d’amour, d’indifférence, de victoire. Et leurs inverses qui pleurent dans ce monde-objet comme pleurent les enfants qu’on arrache au sein de leur mère. Personne n’est dupe. La fierté peut être grande, la grandeur peut être fière, mais personne ne peut choisir ce dont il ne dépend pas, ni croire ce qu’il ne pense pas. Tout n’est pas si facile, même quand on semble être parmi les plus grands…

Le bonheur

Le bonheur se situe-t-il à une portée de mots, à un dribble, une phrase, une frappe près ? Personne ne peut le dire avant d’avoir atteint le but ultime, le bonheur absolu que connut en son temps Siddharta. La vie est belle, tous est facile, les gens peuvent se plier à la volonté des autres. Mais en même temps, tout est dur, tout est abrupt, chaque victoire naît d’une fruit d’une bataille. Parfois, les choses portent un sens contraire à ce que les apparences montrent. Et pourtant, nous sommes heureux, même si, comme le veut l’adage cynique, le rêve est dépassé par une réalité glacée. Les mains, parfois, ne parviennent pas à suivre le rythme imposé par la tête. Les pieds, parfois, ne parviennent pas à reproduire ce que le cerveau leur dicte. Tout le monde fait face à cette difficulté créatrice, ou bien n’est même pas assez bon pour y avoir le droit.

Et puis il y a les vrais génies. Ceux-là, on les reconnaît de loin car ils sont supérieurement intelligents. Pas forcément comme tout le monde le lit, mais simplement comme eux le vivent. Le carambolage créatif chez eux est tellement impressionnant que même le déchet devient du caviar pour les pauvres. Même une phrase ratée devient une citation, même une passe ratée suffit à lancer une action. Ils sont là, acceptent les règles pour mieux les détourner, acceptent de vivre dans la médiocrité car il n’y a pas d’autres options sur cette terre pour eux trop minable. Et puis soudain, un coup de génie les sort de l’anonymat. Le carambolage créatif est devenu un Big Bang. Et tout prend sens en quelques minutes. La vie devient quelque chose d’autre, la médiocrité se transforme en paradis, et ils ne rentrent jamais dans l’oubli.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)