Peu de choses étaient plus prévisibles qu’un retour de Xavi au Barça. Comme Johan Cruijff et Josep Guardiola avant lui, voilà Xavi Hernandez de retour sur les terres catalanes pour tenter d’y laisser une trace idéologique après y avoir marqué le milieu de terrain des années durant. Avec le même succès ?
Barcelonais jus’Qatar
Dix- Sept. C’est le nombre d’années entre son premier match professionnel à Barcelone et son départ en 2015 sur un très humble triplé Ligue des Champions, coupe, championnat. On ne saurait par ailleurs évoquer cette période sans mentionner son rôle dans la suprématie espagnole de 2008 à 2012, avec deux Euros et un Mondial à la clef. Contrairement à ses deux illustres exemples, Xavi aura cependant tourné la page de sa carrière de joueur vers celle d’entraîneur dans un chapitre un peu moins… glamour. Là où Cruijff et Guardiola ont d’emblée débuté leur carrière managériale sur le banc de leur prestigieux club formateur et club de cœur (Ajax pour l’un, Barcelone pour l’autre), l’homme aux 767 piges sous les couleurs blaugranas l’a entamée loin des regards européens et proche des puits de pétrole.
C’est en effet un juteux contrat dans le club qatari Al-Sadd aux 10 millions d’euros nets par an assortis d’un rôle d’ambassadeur de la controversée Coupe du monde 2022, dont le Qatar sera pays hôte, qui l’arrache de sa Catalogne natale. Il y sera joueur pendant quatre saisons, sacré champion en 2019, avant de rempiler pour deux ans et demi de coaching. Une longévité qui prouve d’ailleurs une certaine affection pour Doha au-delà des zéros sur le chèque. Xavi a profité de la quiétude du relatif anonymat d’un joueur du football dans la perle du désert pour y faire naître ses deux enfants.
Happy or Sadd ?
L’autre raison de ses prolongations de contrat résidait également dans l’accord tacite entre lui et le club qui lui laisserait prendre les rênes d’Al-Sadd en tant qu’entraîneur. Et, deux Coupes de la ligue, deux Coupes du Qatar et un titre de champion plus tard, on peut dire que c’est une réussite. Bien sûr, l’indicateur n’est pas sans faille : Al-Sadd est le club le plus titré du Qatar et n’a pas terminé hors du podium depuis dix ans. Rien de plus normal alors de voir cet effectif truffé d’internationaux qataris et d’anciennes gloires européennes confisquer le ballon à hauteur de 70% de possession. De plus, ces conditions idéales pour apprendre le métier constituent aussi des réserves pour l’avenir : le coach Xavi s’est développé à l’abri de la pression et la folie d’un entraîneur de grand club européen.
Il y a tout de même de quoi en tirer les premières grandes lignes de la méthode Xavi. Et elle se rapproche évidemment de la plus pure tradition barcelonaise. Tout comme l’était Xavi le joueur, Xavi le coach est obsédé par la possession, qu’il conserve à l’aide du jeu de position qu’il a appris : gardien ambidextre pour passer court, défenseurs centraux dans un fauteuil et appelés à l’initiative pour la relance, redoublements de petites passes entre des milieux très disponibles, ailiers intérieurs orientés vers le cœur du jeu… Les observateurs d’Al-Sadd le martèlent : idéologiquement, tout y est.
Toujours à propos de méthode, il est bon de noter que Xavi est un investisseur (aux côtés notamment d’Iker Casillas) de Kognia Sports Intelligence, entreprise barcelonaise d’analyses tactiques à partir de données qui a déjà un partenariat avec le Barça. De quoi présager une utilisation moderne de la data au profit du jeu.
À Barça tout va bien
Xavi avait apparemment juste besoin de cette étape que pour apprendre la partie management du métier d’entraîneur. Mais, en rejoignant si vite le Barça dès sa deuxième pige, Xavi n’aurait-il pas grillé une étape ? À 41 ans, est-ce trop tôt ? D’aucuns répondraient qu’en plus d’être idéologiquement prêt, le champion du monde espagnol est un pur produit de la Masia. Tactiquement et intellectuellement modelé par la méthode FC Barcelone héritée de Cruijff et Guardiola, le milieu de terrain était sans lutter le plus clairvoyant sur un terrain. Peu de joueurs étaient plus prédestinés que lui à prendre le banc dans une seconde carrière. Il est donc probablement plus prêt qu’on ne le pense.
Cependant, la tâche sera dure. L’histoire a montré que les airs de prophétie n’avaient rien d’une garantie. D’autant plus au Barça. D’autant plus dans ce Barça. Léthargique sportivement car rattrapé par des années de mauvaise gestion, le club est désormais quasi totalement paralysé économiquement. En témoigne le départ choc de Messi cet été. Les symptômes en sont encore crus : Xavi a dû payer lui-même une partie de sa clause libératoire de 5 millions d’euros à Al-Sadd, et Dani Alves, première recrue de l’ère Xavi, a signé pour un salaire qui frôle le bénévolat, selon AS.
Heureusement pour lui, le Barça reste un club attractif, contre vents et marées. Car il faudra en attirer, des nouveaux joueurs. L’effectif actuel est en effet terriblement mal construit. Sur le plan financier, des contrats astronomiques plombent les caisses du club et ne sont pas simples à dégraisser. Sur le plan sportif, la feuille de match est peuplée de joueurs vieillissants à des postes clefs, le départ de Messi a laissé un immense vide sans même une recrue de secours et la qualité globale laisse de toute façon à désirer.
Xavi-ver la flamme
Si Xavi hérite presque d’un champ de ruine, il aura aussi une pression (nouvelle) du résultat court-termiste. À Barcelone, le vent tourne vite pour les légendes qui viennent s’asseoir sur le banc. Ronald Koeman n’en connaît que trop bien l’écueil. Bien que toutes les observations d’Al-Sadd soulignent un jeu fidèle à la Masia, il est difficile de juger la capacité d’application à un club, une pression et un niveau tout autre que la faible Qatar Super League. Là où la mauvaise situation du Barça peut se retourner en faveur de Xavi, en revanche, c’est que le mercato et l’exécrable début de saison ont agi comme un fracassant rappel à la réalité pour les fans blaugranas, qui savent désormais qu’un top 4 en championnat serait déjà une belle performance.
À Barcelone, plus que des résultats, c’est la flamme que doit rallumer Xavi. Le stade se vide. Peu importe les procès en ingratitude des spectateurs, force est de constater que le club était peu à peu devenu un cirque dont l’exigence et la discipline des clowns se délitaient, d’après les bruits de couloirs des dernières années, de monsieur loyal en monsieur loyal. Xavi voudra se muer en metteur en scène et appeler les acteurs à rendre ses lettres de noblesse à ce théâtre des rêves.
L’assiduité fut d’ailleurs mise en valeur dès la première conférence de presse avec l’annonce de nouvelles règles dans le vestiaire. On parle notamment de ponctualité (i.e. de combien de minutes les joueurs devront être en avance), mais aussi de statuts. Démagogue ou non, Xavi a affirmé que « tous les joueurs partent de zéro », y compris ses anciens coéquipiers.
Xavinisme
Alors, Xavi sera-t-il la troisième révolution barcelonaise ? Pour l’instant, il apparaît plutôt en réaction. Plus précisément, alors que Cruijff a apporté, avec le football total, quelque chose de totalement nouveau, et que Guardiola, avec le jeu de position, a réformé le football tant et si bien que tout le monde s’adonne maintenant peu ou prou à des pratiques similaires, Xavi, quant à lui, chercherait plutôt à remettre les traditions barcelonaises au cœur du projet.
De fait, même à mener le club à bien dans ce registre, et ce pourrait être amplement suffisant et c’est tout le mal qu’on lui souhaite, Xavi devrait inventer quelque chose de nouveau pour se placer au même rang que ses deux illustres prédécesseurs. Xavier Hernández i Creus se contentera-t-il de réussir, ou ira-t-il jusqu’à mener sa propre révolution ?