À Newcastle, l’ambiance est à la fête. La majorité des supporters des Magpies se réjouissent du rachat de leur club par le fond souverain saoudien Public Investment Fund. Alors on arbore approximativement des tenues traditionnelles saoudiennes, on photoshoppe des graphiques pour jouer à qui qu’a la plus grosse force de frappe financière, et on balaie tant bien que mal les questions morales sous le tapis. On oublierait presque que le club est pour l’instant relégable.
Fair-plaie financier
Voilà une décennie qu’Émiratis et Qataris, respectivement avec Manchester City et le Paris Saint-Germain, ont bousculé à coup de milliards la hiérarchie du football européen, entraînant dans leur passage une série de régulations visant à les ralentir. Et si les herses, voulues par les clubs traditionnellement dominants, furent installées trop tardivement pour eux, elles pourraient en revanche s’avérer efficaces pour que les prochaines années des Saoudiens à Newcastle ne ressemblent pas à une partie géante de Football Manager. L’écosystème du football a fondamentalement changé depuis que City a littéralement acheté sa place à la table des grands. Tout y est désormais plus cher et plus dense.
La première et principale herse est bien entendu celle du fair-play financier. Instauré en 2010 pour contrôler les dépenses des clubs afin qu’ils ne dépensent pas largement plus qu’ils ne gagnent, le « FPF » aura essuyé dix années de critiques, venant de toutes parts, avant de s’évanouir dans la crise liée au coronavirus. Une nouvelle formule, probablement inspirée des modèles américains de luxury tax et de salary cap, devrait voir le jour dans le courant de l’année. Reste à savoir si elle sera plus souple ou plus stricte que son ancêtre, les positions à ce propos ayant pu évoluer depuis le rachat de Newcastle.
Quoiqu’il en soit, le nerf de la guerre de ces nouvelles régulations reposera, comme pour le FPF, sur une équation entre dépenses (sur l’effectif) et revenus (des droits de diffusion et des sponsors).
Un cercle (vertueux) très fermé
Mais si les supporters de Newcastle s’imaginent surfer sur la même vague que Manchester City en son temps, ils pourraient être fort déçus. Car là où les Émiratis avaient, comme Chelsea avant eux ou les Qataris ensuite, dopé leurs revenus avec des contrats de sponsoring faits maison, les Saoudiens ne pourront vraisemblablement pas user de ce stratagème. En effet, les partenariats avec les entreprises qui auraient un lien avec le propriétaire du club sont désormais interdits en Premier League. La résolution, qui a été votée précipitamment dans les heures suivants le rachat de Newcastle, est pour l’instant temporaire mais l’idée d’en faire une règle permanente traîne depuis longtemps dans les cartons et l’assemblée générale de l’élite anglaise est proche de l’unanimité sur la question – Newcastle a voté contre, Manchester City s’est abstenu, le reste a voté pour.
« Sans cette règle, rien n’aurait empêché Newcastle de signer un accord de, disons, 100 millions de livres pour le naming de son stade, avec une firme saoudienne tenue par ses propriétaires » dit un dirigeant anglais à Sky Sports.
Cela veut-il dire que les Magpies ne pourront que signer des contrats de sponsorship honnêtes, conformes aux prix du marché ? Pourvu que la légalité d’une telle régulation ne soit pas remise en question, ça en prend le chemin. Même à prendre en compte au moment des négociations que le club est probablement en bas d’une pente ascendante, Newcastle aura donc beaucoup plus de mal que ses prédécesseurs mancuniens et parisiens à enclencher son cercle « vertueux ». C’est le succès sportif qui amène les sponsors. Mais le succès sportif demande des grands joueurs dont le coût doit être couvert par des revenus apportés par les sponsors.
Newcastle et ses premières briques
Championnat dont le peloton de tête est probablement le plus difficile à intégrer, la Premier League représente cependant un atout de taille en termes de droits TV et d’attractivité pour les partenaires commerciaux. D’où le choix des Saoudiens. De fait, si le dopage artificiel de revenus ne semble pas être une option, la croissance naturelle aura néanmoins le loisir d’augmenter les recettes du club.
Avec une annonce en grande pompe et une population saoudienne désormais tournée vers cette ville du nord-est de l’Angleterre, la force de frappe sur les réseaux sociaux n’est plus celle d’un club servant de sparring-partner au Big 6 dans l’espoir de se maintenir. Plus scruté, le club le sera aussi sur le terrain. De quoi renforcer à l’avenir ses revenus liés au sponsor maillot, pour l’instant en dessous des 8 millions d’euros alors que le standing visé par la nouvelle direction du club implique un contrat autour des 50 millions.
D’ici à avoir l’aura d’un club jouant le podium et la Ligue des Champions – car les Saoudiens ne sont évidemment pas venus pour jouer les petits rôles – Newcastle pourra au moins rapidement dépasser des Everton, Aston Villa ou Leeds. Du reste, les fantasmes de voir les Magpies casser leur tirelire pour Erling Haaland ou Harry Kane dès cet été (voire cet hiver !) devront attendre un peu. Et probablement mettront-ils plus de temps que les Citizens à atteindre le haut du tableau.
Oui, la puissance financière des nouveaux propriétaires de Newcastle relève du jamais-vu dans le football. Ils devront néanmoins être plus rusés et patients que les pionniers du genre nouveau-riche, avec qui ils seront inévitablement comparés, souvent dans le cadre de cette concurrence des puissances du Moyen-Orient, s’ils veulent créer et s’imposer dans le Big 7 anglais.