Alors que la cadence des publicités pour les sites de paris sportifs est à peine redescendue après un Euro 2020 abondant, la législation de nouvelles régulations, tant sur le fond que sur la quantité, a conquis l’opinion public. La France suivra-t-elle l’Espagne, l’Italie et surtout la Belgique ?
Jeux de gains, jeux de vilains
Encore interdits il y a une dizaine d’années, les paris sportifs sont désormais non seulement ouverts à une concurrence sans merci, mais se consomment dorénavant en ligne, sans l’effort de bouger de chez soi ni la sensation de voir l’argent partir. Ainsi, les risques pour que la pratique récréative ne le reste pas sont donc d’emblée multipliés. D’autant que les publicités ne se contentent plus de titiller les cases du cerveau humain dérangées par le circuit de la récompense. De petit fournisseur d’adrénaline à ascenseur social, de loisir à complément de revenu voire salaire, les paris sportifs revêtiraient toutes sortes de vertus. Le tout en ciblant particulièrement les classes défavorisées.
Mais tout s’accélère avec le matraquage publicitaire. Au-delà de leur message, ces publicités sont omniprésentes. Cette (sur)exposition du fan de football participe à la banalisation du danger. Du quotidien national au bloggeur local, du spot de la mi-temps à celui du journal de 20h, de l’affiche dans le métro à votre Youtubeur préféré, c’est là une stratégie très agressive des bookmakers qui bombardent les clients cibles jusqu’à l’overdose.
Et c’est d’autant plus vrai lors des grandes compétitions internationales de football, comme l’Euro cet été. Des périodes qui ne sont d’ailleurs pas rentables pour les sites de paris sportifs, tant le matraquage représente un investissement colossal. C’est alors avant tout une période de « recrutement », d’où l’accent mis, dans les publicités, sur la reconnaissance sociale ou le gain à long terme plutôt que sur l’adrénaline du moment.
Euro deux mille Évin
Face à ce problème moral, une loi Évin adaptée aux publicités sur les paris sportifs est régulièrement proposée. Reste que cela ne veut pas dire grand-chose. En effet, sur le pan de la publicité, la loi Évin interdit totalement les campagnes marketing en faveur du tabac et régule strictement celles pour l’alcool. De quel côté une loi contre les publicités de paris sportifs voudra-t-elle se pencher ?
Concrètement, une nouvelle réglementation prise en novembre 2020 permet pour la première fois à l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) de réguler ces campagnes de publicité. Sous-entendre une progression sociale ou la possibilité de gagner sa vie grâce aux paris sportifs est désormais interdit, tout comme la mise en scène de mineurs. On voit cependant que les entreprises du secteur continuent de jouer avec les interprétations, toujours en ciblant le même public. Mais c’est tout de même ainsi que le spot publicitaire de Winamax montrant un jeune porté aux nues devant l’approbation de son quartier, façon Histoire de la vie dans le Roi Lion, fut retiré de la circulation.
L’ANJ souhaite donc aller plus loin. Avant de proposer « de nouvelles mesures aux pouvoirs publics d’ici la fin de l’année », l’Autorité a donc lancé, en ce mois de septembre, une consultation publique, dont une partie est accessible à tous via un questionnaire en ligne. Lancée sous le présupposé, appuyé par un sondage, que le nombre de publicités est trop important et leurs messages problématiques, il sera intéressant de voir si une loi débouche sur plus de régulation au niveau de la quantité, du fond et/ou de la prévention.
La France à la traîne en Europe ?
En dehors des restrictions assez basiques susmentionnées, la publicité pour les paris sportifs en France n’impose en guise de prévention qu’un petit bandeau que l’on finit par négliger autant que le « évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ». Si ses voisins ne sont pas beaucoup plus en avance, la France accuse tout de même un certain retard sur la Belgique, qui s’est érigée en véritable pionnières dans la régulation des jeux de hasard.
Le plat pays, où les paris sportifs ont été autorisés la même année que dans l’Hexagone (2010), a pris en 2019 une série de mesures contre leur marketing après l’électrochoc vécu lors du Mondial 2018. Les publicités pour les paris sportifs sont effectivement interdites pendant la retransmission d’une compétition sportive (elles restent autorisées avant et après), et interdites tous les jours avant 20h sauf en cas de compétition sportive dans l’après-midi (mais pas pendant celle-ci, de fait). Par ailleurs, leur contenu subit les mêmes restrictions qu’en France. Elles ne doivent pas non plus mettre en scène un sportif ou un club promouvant le jeu de hasard. Il y a en outre un maximum d’un spot réservé aux paris sportifs par page de publicité.
Du côté des mauvais élèves, on trouve le Royaume-Uni, qui n’a pas beaucoup œuvré à cette tâche depuis le Gambling Act de 2005. Mais, comme en France, une consultation a été lancée et rendra son verdict dans le courant de l’automne. Le gouvernement de Boris Johnson devrait promulguer l’interdiction des sponsors maillot (comme c’est déjà le cas en Espagne et en Italie) et des namings de stade pour les bookmakers.
Si « la maison gagne toujours », les clubs aussi
Il faut dire qu’il y a beaucoup à faire. En France, Betclic est sponsor de la Ligue 1. ZeBet, Winamax et Partouche Sport s’affichent en gros respectivement sur les maillots de Saint-Étienne, Strasbourg (extérieur uniquement), et Montpellier. Et on ne compte plus les partenariats sur les réseaux sociaux comme Unibet avec le PSG et Parions Sport avec l’OL. Mais ce n’est (presque) rien par rapport aux Anglais !
Là-bas, les clubs à partir du ventre mou de Premier League sont presque devenus dépendants aux (sites de) paris sportifs. Sky Bet accole son nom aux deuxième, troisième et quatrième divisions professionnelles. Et les sponsors maillots y sont légion : neuf clubs de Premier League arborent le logo d’un bookmaker – parfois chinois, parfois à la limite de la légalité – dans des contrats qui, cumulés, s’élèveraient à 68 millions d’euros selon GlobalData. Ce sont autant de partenariats menacés par la prochaine loi, et d’importantes pertes économiques que devra prendre en compte la législation, au Royaume-Uni comme en France.
Nouveau joueur
Voilà tout le nœud du problème. Que ce soit sur les maillots ou à la télé, si de tels partenariats se retrouvent interdits, c’est une source de financement qui s’envolera pour les clubs. Et quel genre de marque remplacera ces sponsors ? Peu de chance de voir Renault Trucks ou RTL ressurgir pour orner les maillots de vos clubs préférés après le départ des sites de paris sportifs. À vrai dire, la tendance s’oriente plutôt vers la publicité d’une pratique non moins risquée et tout aussi addictive : les sites de transactions de cryptomonnaies.
En effet, en Italie, où les publicités pour les paris sportifs sont interdites, l’Inter et la Roma ont signé des partenariats maillot avec Digital Bits, et le Milan avec BitMex. Le site de cryptomonnaies liées à des clubs, Socios, s’est déjà implanté à la Juve, au PSG, au Barça, à Valence et à Arsenal. Et la tendance est générale. Cette saison, eToro est le partenaire maillot principal de l’AS Monaco et a même réussi à s’incruster sur la manche de Gaël Monfils, alors que le tennis ouvre peu ses t-shirts aux sponsors. Dans l’esport, FTX, qui s’est déjà attaqué à la Formule 1, a signé un contrat record de naming et de sponsor maillot de 10 ans avec la légendaire équipe américaine Team SoloMid (TSM), tandis que crypto.com s’est lié à la non moins célèbre franchise européenne Fnatic.
La question de se débarrasser des publicités pour les sites de paris sportifs n’est donc pas toute noire ou toute blanche. Et nous ne parlons là que des clubs. Mais – puisque l’ANJ vise a priori davantage les publicités dans les médias que les sponsors des clubs, bien qu’il puisse y avoir un effet ricochet – nombre de journalistes, bloggeurs, youtubeurs, subiraient une perte de revenus dommageable voire fatale, sans pouvoir la remplacer. C’est tout un écosystème qui s’est mis dans le giron des sites de paris sportifs.
La relation du football avec les paris sportifs est de fait toxique, par définition. Toxique parce qu’elle pousse à des pratiques dangereuses et à des pertes de contrôle dans ces pratiques. Toxique aussi parce qu’une interdépendance s’est créée entre les deux, et que le football peut désormais difficilement faire sans les paris sportifs.