Pendant que toute l’Europe a les yeux rivés sur les affrontements au sommet entre Italiens et Espagnols, entre Anglais et Danois, une autre tragédie se déroule à l’autre bout du monde. A des horaires impossibles se déroule la Coupe de la Nuit, la Copa America. Et pourtant, le spectacle ne se lasse jamais.

Europe des bannis

Les relations entre l’Amérique du Sud et l’Europe sont, au niveau footballistique, au plus haut. Rien que cet été, la Ligue 1 a enregistré l’arrivée, au hasard, de Henrique et Gerson en provenance directe du Brésil. Et nombreux sont les joueurs sud-américains à évoluer en Europe. D’Argentine, du Brésil, de Colombie, du Chili et de partout. Dans le sens inverse, un grand nombre de Sud-Américains retournent chez eux, mais la précarité des conditions financières des clubs empêche souvent la signature d’Européens en Amérique du Sud. Quoi qu’il en soit, la navette de joueurs fonctionne à merveille.

Et pourtant, pour ce qui est de suivre le football européen en Amérique du Sud, il s’agit d’une des tâches les plus compliquées qui soient. Outre les horaires – souvent en plein milieu de la journée -, la programmation télévisuelle et l’absence bien souvent de diffusion rend le visionnage des matchs tout bonnement impossible, que ce soit pour un expatrié ou pour un natif souhaitant découvrir le football européen. Et ce n’est pas la diffusion de la Ligue des Champions, partiellement sur Facebook, qui tend à crédibiliser le football européen comme un football auquel l’on peut s’attacher.

Et puis, pourquoi s’attacher au football européen quand on a devant soi un des plus beaux footballs de la planète ? Peut-être pas le plus technique, sans doute pas le plus tactique, évidemment pas le plus rapide. Mais le plus attrayant sans aucune hésitation. Car rien ne vaut le stade, l’expérience sud-américaine par excellence. Voir les torcedirs ou les barras bravas chanter leur amour, cela dépasse bien quelques contrôles de balle.

Dure expérience

Et les européens font bien souvent la même amère expérience d’un football difficile à suivre. Comment suivre le Brasileirão depuis la France ? Se lever au milieu de la nuit ne suffit pas, encore faut il trouver comment le regarder. Légalement, c’est bien souvent mission impossible, même avec des abonnements improbables. Ils sont bien sûr plus rares, les européens qui cherchent à regarder ce qu’il se passe au large de l’Atlantique Sud. Mais il y en a. Et puis, une fois une image trouvée, comprendre le fonctionnement du championnat local dépasse parfois la capacité de compréhension d’un esprit fatigué par la journée et éveillé en plein milieu du sommeil. Et ce n’est pas par la qualité de la retransmission, souvent hachée par la faute d’un signal Wi-Fi défaillant, qui vient aider à faire du football sud-américain la référence pour un Européen.

La seule exception à cette règle est, ou plutôt devrait être, la Copa America. Quel amateur de football n’a jamais regardé un match avant d’aller se coucher, pendant un été chaud comme la braise ? La Copa America fait partie, par ses aspects hautement amateurs et étonnants, par son émotion unique, de la culture footballistique européenne. Les clubs pestent contre les joueurs s’en allant la disputer, mais ils n’hurleraient pas pour un Euro. Or, la Copa America est bien plus qu’un Euro. Justement parce qu’elle est intense, rapprochée, toujours avec les mêmes équipes et toujours plus dure à gagner. La culture footballistique sud-américaine est riche de ces matchs nombreux. De même que les Jeux Olympiques sont une vraie compétition de football en Amérique du Sud – l’Uruguay les arbore comme des Coupe du Monde sur son maillot -, la Copa America transcende les identités régionales pour unir le pays.

Heure de nuit

Encore une fois, la nuit européenne se déchirera pour un instant de grâce. Un instant de bonheur venu tout droit du Brésil. Dans des conditions ubuesques, le pays-hôte qui n’aurait pas dû être, dans un contexte socio-politique digne d’un mauvais roman, dans des conditions de diffusion en Europe qui ne méritent même pas d’être citées, le Brésil défiera l’Argentine pour un moment de football comme seule l’Amérique du Sud sait nous l’offrir.

Deux des formations les plus légendaires de l’histoire du football. Un affrontement éternel d’idéologies, d’hommes et de femmes. Pelé, Garrincha, Ronaldinho d’un côté. Maradona, Riquelme, Kempes de l’autre. Impossible d’être indifférent à ce match. Que l’on soit Français, Allemand ou Polonais, on a son avis sur ces deux équipes. Si on aime le Brésil, on ne peut pas supporter l’Argentine. Si notre cœur bat au rythme du cri sacré de la liberté, l’image de la Croix du Sud ne peut resplendir dans nos yeux.

Le match entre l’Argentine et le Brésil est un derby comme il n’en existe pas d’autre au monde entre des équipes nationales. Depuis le 20 septembre 1914, alors que l’Europe courrait à une guerre qui deviendra mondiale, les deux nations se sont affrontées à cent-sept reprises. Cela fait près de deux ans, depuis le Superclásico de las Américas de 2019, que Lionel Messi n’a pas croisé la route de Neymar. Qui remportera le match, personne ne peut le dire, mais tout le monde espère que le résultat sera à la hauteur de ses espérances. La Coupe de la Nuit est pleine d’incertitudes.

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