Le « joueur qui s’allonge derrière le mur » suit une pratique vieille de trois ans en Europe mais n’a toujours aucun nom consensuel dans le monde du football. Pire, il n’y a aucun début d’idée en France.
Do Brasil
Tout d’abord, un peu d’histoire. Car pour populariser la stratégie de s’allonger derrière un mur défensif sur coup-franc pour prévenir un coup de pied à ras de terre, il faut déjà avoir popularisé ledit coup de pied à ras de terre. Celui-ci est difficile à dater, mais s’inspirer du saut du mur pour glisser le ballon en dessous incombe probablement aux tireurs chevronnés de première division brésilienne au tournant du siècle. Cette nouvelle corde à l’arc des tireurs culmine en mondovision au coup franc de Ronaldinho contre le Werder Bremen lors de la Ligue des Champions 2006, tandis que Lúcio Flávio se fait un nom pour cet art au Brésil.
Pour contrer ces spécialistes de l’exercice, la parade n’est évidemment pas de s’arrêter de sauter. Cela redeviendrait trop facile de passer au-dessus. On rajoute alors un autre joueur pour agrandir le mur. Ou plutôt le rehausser, car le joueur en question ne se placera ni à gauche, ni à droite, mais bien en dessous, allongé. Là aussi, l’idée fleurit au Brésil. En 2013, Figueirense reçoit Palmeiras pour le compte de la Serie B et rivalise d’ingéniosité pour prévenir un coup franc à ras de terre. C’est le premier « joueur qui s’allonge derrière le mur » de l’histoire. Très vite, la pratique se popularise au Brésil.
En Europe, cette stratégie est apportée par Philippe Coutinho. Le Brésilien est d’ailleurs à la fois incitateur et précurseur. En effet, si ses coups francs à ras de terre sont réputés et font face aux premiers défenseurs allongés d’Europe, il est également l’un des premiers à s’allonger pour protéger son mur d’un coup de pied de Christian Eriksen en 2017. En second lieu, Marcelo Brozović finit de populariser la méthode un an plus tard en se jetant sous son mur au dernier moment face à Luis Suarez.
La pratique qui ne dit pas son nom
Depuis, la stratégie du « joueur qui s’allonge derrière le mur » est devenue monnaie courante en Europe. Sans être un sujet chaud du football, cette véritable curiosité moderne trouve ses détracteurs, qui la trouvent ridicule, peu esthétique voire antijeu, un peu à la manière d’une règle arbitraire tout droit venue d’une cour de récréation. Toutes proportions gardées, elle trouve aussi ses défenseurs, qui louent son pragmatisme et pour qui la bonne parade est tout simplement celle qui marche.
Mais, en attendant une potentielle législation de l’IFAB qui considère toujours le geste comme « tactique de football légitime », le problème est ailleurs. Comme vous le voyez dans cet article, il n’y a aucun consensus international sur la nomenclature de cette stratégie. Obligé de passer par des guillemets autour d’une périphrase maladroite. Partons donc à la recherche de termes pour réparer cette anomalie.
« Crocodile », « boudin de porte », « barricade » …
Si l’on doit logiquement commencer notre voyage au Brésil, la déception nous guette vite. Là-bas, le terme choisi par les inventeurs de la pratique n’est autre que barreira deitada, « mur couché », une formule plutôt convenue qui ne ravira pas les amateurs d’originalité. En parlant de lyrisme, les Anglophones se montrent plus créatifs avec l’expression draught excluder, c’est-à-dire qualifier le joueur allongé de boudin de porte. Ailleurs en Europe, l’Allemagne propose Bahnschranke, littéralement une barrière de passage à niveau, tandis que l’Italie fait dans la métaphore animale avec cocodrillo, le crocodile.
Si la popularité de ces termes varie dans leur pays – le monde anglophone est par exemple loin d’un consensus avec son boudin de porte –, la langue de Molière n’a pas encore mené sa réflexion. Il n’y a tout simplement aucun terme francophone ni pour ce « joueur qui s’allonge derrière le mur », ni pour la stratégie en elle-même.
À moins de reprendre la traduction d’un terme étranger (et ma petite préférence va clairement pour le boudin de porte), la logique nous porterait à filer cette métaphore du mur en empruntant au champ lexical du BTP. Taxerions-nous le joueur allongé de « barricade », de « maçon » qui bouche un trou dans un mur mal fignolé ? Par ailleurs, d’aucuns préféreraient y aller d’un simplissime « l’allongé ». Autrement, pourquoi ne pas embrayer sur le fait, assez exceptionnel dans le sport, que s’allonger soit une tactique viable pour faire honneur à notre amour du farniente et parler de « transat » ? Libre à chacun d’y aller de sa proposition…