Nous entrons dans une nouvelle ère. Le football n’est plus un sport, il est devenu une industrie. Une industrie comme les autres, où le but est de se faire de l’argent. Peu importe s’il faut pour cela renier ses valeurs, cracher sur son passé, maudire son histoire. Créé par les pauvres, volé par les riches : voilà le destin du football en 2021.

La haine

Rarement un changement dans le monde du football aura suscité une telle levée de bouclier. La création de la Superleague européenne est un de ces projets que l’on croyait et que l’on espérait irréels tant ils bouleversent notre conception de ce sport. Avec la Superleague, le sport du peuple devient le sport des riches. Le sport pratiqué par plus de trois-cent millions de personnes dans le monde est accaparé par les plus riches, par ceux qui ont suffisamment d’argent pour pouvoir modeler ce sport à leur guise. Ou plutôt, par ceux qui s’en servent comme un élément économique parmi d’autres investissements. En oubliant que ce qu’ils utilisent comme un produit commercial est un mode de vie pour des centaines de milliers de personne.

Pour créer et soutenir ce projet de Superleague, il faut avoir la haine contre le football. Il ne faut pas aimer l’essence du jeu, il ne faut pas aimer l’incertitude, il ne faut pas aimer voir des étoiles dans les yeux des enfants. Bien sûr, à l’autre bout du monde, il y a un marché. Bien sûr. Mais ce n’est pas ça, le football. Le football n’est pas né en Inde, en Chine ou au Canada. Le football s’est développé grâce aux masses ouvrières en Angleterre, s’est diffusé chez les marins faisant escales dans les ports. Et il a grandi dans les communautés d’immigrés pauvres. Maradona, Carlovich, Garrincha… Tous ces noms qui ont fait rêver des générations, et qui en font encore pleurer, tous sont nés dans des milieux défavorisés. Si le football avait été un sport de riches, il ne s’y seraient jamais intéressé.

La guerre continue

Mais que l’on ne s’y trompe pas : la défaite annoncée de la Superleague n’est pas le signe d’un retour en force du football populaire. Le football des pauvres est mort depuis longtemps. Il n’a peut-être même jamais existé. Simplement, pendant un peu plus d’un siècle, il a gardé l’apparence d’un sport ouvert à tous. Mais ce projet de Superleague est la preuve la plus horrible que les dirigeants des clubs qui composent ce sport n’ont que faire de leurs supporters. Tout ce qui les intéresse, c’est d’avoir toujours plus de spectateurs. Toujours plus de clients. Et toujours plus de suiveurs, prêts à payer pour un maillot, une tasse ou une écharpe. C’est presque tant mieux si en plus ils ne se plaignent pas en tribune.

Car si aujourd’hui la Superleague ne semble qu’un mauvais rêve, elle est le témoin des forces sombres qui s’affrontent en coulisse. Avec comme seule motivation de rendre ce football encore plus financier, et de corrompre les dernières bribes de justice. Les règles du jeu pourraient changer, si cela rapportait plus d’argent, les propriétaires de ces clubs s’en moqueraient fort bien. Et il ne faut pas croire que ce brusque revirement de situation est la preuve d’une quelconque compréhension des revendications des supporters.

Bien au contraire. Les déclarations de Florentino Pérez ou d’Andréa Agnelli sont toutes teintées d’un sentiment d’incrédulité et d’impunité. Ces dirigeants sont complètement déconnectés. Complètement déconnectés des réalités du football. Ils n’avaient pas prévus que les supporters s’opposeraient à ce projet. Ils ont déjà fait avaler tellement de couleuvres au monde du football qu’une de plus ou de moins…

Plus de place

Aujourd’hui, les pauvres n’ont plus de place dans le football. Ils n’ont plus les moyens de faire quoi que ce soit. Et la tendance n’est pas à l’amélioration. Car tous les ans, tous les prix augmente. Parce qu’il faut mieux payer les joueurs, évidemment. Mais on se moque qu’un supporter doive se saigner aux quatre veines. Sortir tous les mois cent euros pour payer son abonnement télévisuel, les dirigeants des clubs et des chaînes télévisions s’en moquent bien. Car ils savent qu’il y aura toujours des clients. Et on se moque bien qu’ils soient supporters. Tout ce qu’on veut, c’est qu’ils payent. Et il devient de plus en plus compliqué de s’offrir un abonnement au stade : en Angleterre, c’est un mirage pour quelqu’un de modeste. Ailleurs dans le monde, c’est la tendance que les abonnements suivent. Il n’y a plus aucune place pour les pauvres, nulle part.

Les réseaux sociaux sont devenus le seul terrain d’expression de ceux qui n’ont plus les moyens d’exprimer leur amour au stade. Alors c’est normal, dans ces grands clubs déconnectés de la réalité, de ne pas y trouver les mêmes supporters silencieux et acquiesçants. Et le football amateur est le dernier à porter les valeurs d’origines du football. Celles où pauvres et riches se rejoignent, celles où les classes sociales sont transcendées. Le sport amateur est le dernier bastion d’un football uni, d’un football où l’on se moque de qui est qui, de qui vient d’où. Tout ce qui compte, c’est ce qu’on donne pour l’équipe. Et ce qu’on y apporte. Que l’on soit encadrant, sportif, dirigeant, ou simple spectateur sur le bord du terrain. Et cela, les dirigeants des clubs de la Superleague feraient bien d’y repenser quelques instants. Et de se remettre en tête que le football est un jeu avant tout.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)