Le 11 mars 2020, le coronavirus sévissait pour la première fois sur un match de football de haut niveau en France : un certain Paris-Dortmund au Parc des Princes (2-0) annoncé à huis clos par Roxana Maracineanu deux jours avant. Le premier d’une longue série. Depuis, plus rien n’est comme avant. Et en ce qui concerne les amoureux du ballon rond, notre manière d’apprécier le football a tout autant été transformée.
Du plus général au plus subtil, beaucoup des caractères qui composent un bon match de foot à la télévision n’ont plus la même saveur depuis un an. Je me place ici comme un simple téléspectateur, car c’est ce que je suis. Évidemment, le coronavirus aura bouleversé bien d’autres domaines du football que simplement celui introduit précédemment. Mais je ne suis ni joueur, ni journaliste, ni économiste. Je ne travaille pas non plus à la tête d’un club et encore moins d’une organisation internationale. Alors mes propos ne peuvent se placer sous aucun autre point de vue que celui d’un amateur qui regarde son sport préféré à la télévision. Je les écris cependant pour faire le point sur ces douze mois inédits, pour synthétiser les nouveaux sentiments et le nouveau regard qu’un fan de foot peut porter sur un match, face à la mesure sanitaire la plus redoutée par les supporters mais devenue presque fondamentale dans le monde du sport pour lutter contre la propagation du virus : le huis clos.
En effet, nier l’importance d’un public pour apprécier un match de football, même télévisé, relèverait de l’inscience. « On ne se rend compte de la valeur d’une chose que lorsqu’on la perd » : ce proverbe semble ne jamais avoir autant résonné dans nos têtes que durant cette crise sanitaire. Bien sûr, on manquait rarement de mentionner la ferveur du douzième homme lors de matches aux ambiances stratosphériques dans le « monde d’avant ». Mais rares sont ceux qui ont pu imaginer à sa juste valeur la souffrance que nous procureraient des huis clos dans tous les stades et tous les championnats du monde pendant une année entière. Et les mots ne sont pas faciles à poser quand il s’agit de justifier l’importance pour un amateur, même derrière sa télévision, d’un public qui entoure les joueurs dans l’arène.
Drôle d’ambiance
« Oppositions d’entraînement », « matches de district » … Voir du football professionnel à huis clos en a chamboulé plus d’un, car il est difficile d’imaginer le sport le plus populaire du monde se jouer sans un seul spectateur en tribune. Mais le paradoxe est pourtant réel. En effet, le pouvoir de fédération dont témoignent habituellement les gradins bondés, les encouragements et les chants repris à l’unisson par les supporters, ont l’air de s’être complètement envolés depuis la mi-mars 2020, quand on se retrouve face à des sièges vides ou des bâches tout autour du tapis vert. De même, les communions poignantes entre joueurs et fans, et les visages de footballeurs défigurés par l’adrénaline sous le rugissement d’un peuple immergé dans la folie, ne semblent plus qu’être un vague souvenir.
Aujourd’hui, l’animation sonore d’un match télévisé peut se résumer au bruit des tribunes combiné avec les commentaires du match, les sons du terrain étant souvent étouffés par le vacarme des supporters. Un féru de football sait quelle place a le commentateur durant un match, ainsi que son importance dans les émotions que dégage la rencontre et dans les souvenirs qui en restent. Mais ces bruits de fond et voix qui résonnent, dont on fait l’amer expérience depuis un an maintenant, nous font tout autant prendre conscience de l’équivalente importance d’un brouhaha en tribunes pour accompagner les commentaires (beaucoup de diffuseurs intègrent des bandes sons aux retransmissions en direct, bien qu’elles ne fassent pas l’unanimité). Comme si, d’une certaine manière, la clameur de plusieurs dizaines de milliers de spectateurs permettait de légitimer – du moins auprès de ceux qui trouveraient une telle réaction excessive – l’ardeur du commentateur lors d’un but ou d’une qualification.
La plupart des yeux et oreilles s’y habituent. Mais beaucoup de passionnés ne cachent pas pour autant leur manque d’enthousiasme à l’approche d’un match ou au beau milieu de la rencontre, dégoûtés par l’absence du charme et de la ferveur qu’assurent habituellement les supporters ou la simple présence d’un public.
Nostalgie des « émotions secondaires »
Comme pour toute passion, il est difficile d’enlever à quelqu’un son attachement pour le football. Et ce, même avec des huis clos à perpétuité. Mais ces derniers temps, certains ont pu voir leurs émotions « bridées » par la résonnance des stades, et de ce fait leur passion bousculée. En effet, cette dernière pourrait être définie comme un « essaim d’émotions » que nous fait vivre le football. La plus importante étant selon moi celle que je définis comme « l’amour du jeu », de ce sport qui se joue ballon au pied, celle que chaque passionné ressent et que, heureusement, la situation actuelle n’impacte quasiment pas. Mais je considère ensuite que notre passion est dictée par une multitude de petites autres émotions que le coronavirus a en revanche pu affaiblir, voire suspendre. On pense surtout à celles que procurent les manifestations visuelles ou auditives des supporters en tribunes qui parfois peuvent faire se dresser nos poils, même à travers la télévision.
Un évènement prestigieux, source d’une attente et d’émotions particulières, a été particulièrement bouleversé par les mesures sanitaires prises ces derniers mois : la Ligue des Champions. Voici l’exemple parfait pour illustrer ce manque d’émotions que ressent n’importe quel passionné en ce moment. Elle revient tous les ans et pourtant, jamais nous ne sommes rassasiés de son parfum : matches aller-retour entre les meilleures équipes d’Europe au milieu de la semaine, en période hivernale ou à l’éclosion des bourgeons, dans les plus grands stades et les meilleures ambiances du continent, et avec les plus grands joueurs de la planète.
Ce charme a cependant été quelque peu rompu l’été dernier : matches secs à Lisbonne, sans public et au beau milieu de l’été. Le parfum des grands rendez-vous était certes là et les scénarios des matches – fous pour certains – ont été à la hauteur de la compétition, mais personne ne peut nier ce léger manque de saveur qu’il n’est pas simple d’exprimer. Si certains qui, sont moins attachés au football, ont du mal à comprendre l’utilisation de termes comme « parfum » ou « saveur » pour une compétition sportive, il est toujours possible de l’expliquer par l’assimilation à l’atmosphère et le pouvoir fédérateur d’une Coupe du monde.
Au final, le huis clos change à la fois peu de choses – l’essence de notre passion, le jeu, étant toujours là – et tout. Car le « douzième homme » a quitté la partie, et le jeu n’est plus le même lorsqu’on enlève un pion.