Mercredi soir, alors que l’équipe de France livrait sa première contre-performance contre l’Ukraine à trois mois de l’Euro 2020 (et-un), une trame secondaire se jouait en coulisses. Celle-ci implique une transaction entre le staff ukrainien et une mystérieuse organisation lyonnaise à la gloire d’un enfant du pays.
Jeu, secte et match
La carrière de Farès Bahlouli et l’admiration de ses adorateurs sont vissées sur des montagnes russes. Et aussi incongru que cela puisse paraître, la récente signature de l’attaquant lyonnais en troisième division ukrainienne représente une propulsion en impesanteur des plus importantes de sa (malheureusement modeste) carrière professionnelle. En effet, toujours en quête de sensations fortes et malgré les premières désillusions, les adeptes lyonnais du « bahloulisme » de la première heure ont continué de soutenir, majoritairement sur Twitter et contre vents et marées, l’espoir déchu du centre formation de l’OL depuis son éclosion.
Une petite décennie de culte bienveillant plus tard, le capital sympathie reste intact et une frange des supporters lyonnais jure toujours fidélité à leur petit gone de Mermoz, comme une reconnaissance à celui qui les a fait jadis croire aux plus magnifiques monts et merveilles. Au point même de remuer ciel et terre pour acheter son maillot du FC Metal Kharkiv. Un bout de tissu pur, sans badge ni sponsor, au nom du prodige floqué en cyrillique et qui ne peut même pas s’acheter sur une boutique en ligne.
S’il faut lui confesser une bonne dose d’exagération sur le ton de l’ironie, le « bahloulisme » est aussi une belle histoire de gentillesse et de confiance sincères. Une rencontre entre l’amour et l’humour à laquelle l’intéressé ne reste d’ailleurs pas insensible : « C’est incroyable. Je suis reconnaissant envers tous ces gens qui, malgré toutes ces années, sont toujours là », se confie Farès Bahlouli auprès de l’Équipe.
De Vesoul…
Les pentes sinueuses du manège Farès Bahlouli sont si remarquables qu’il en était l’« espoir déchu » inaugural de notre série. Après tout, le « bahloulisme » est aussi l’histoire d’un vaccin, auto-réalisateur malgré lui, contre les engouements trop intenses et trop précoces pour de jeunes joueurs pas même professionnels. Ces ferveurs épidémiques pour quelques performances entre adolescents ont fait et font encore plus de mal que de bien, que ce soit auprès des jeunes ou des supporters. Perpétrer le « bahloulisme », c’est donc perpétrer cette sorte de double autoprotection.
Pour Farès Bahlouli, la flamme des réseaux sociaux a transmis ses premières vraies chaleurs alors qu’il ne jouait qu’en CFA. Une partition particulièrement aboutie contre Vesoul achève de convaincre une communauté lyonnaise par tradition très aux aguets quant à son centre de formation, qui tient d’ailleurs encore la compilation de son match pour Bible du « bahloulisme ». Bien sûr, tout n’est pas que le fait d’un match. L’emblématique formateur de l’OL Armand Garrido, déclarait ainsi à son sujet : « Il a un gros potentiel qu’il n’exploite pas au maximum. S’il n’explose pas, ce sera du gâchis. » Signes avant-coureurs d’une excellente carrière ? Ses seuls quatorze matchs sous les couleurs rhodaniennes infirmeront cette supposition.
Parfois injustement accusé de fainéantise et en proie à des prises de poids, il ne s’impose ni sous Rémi Garde ni sous Hubert Fournier et quitte l’OL pour l’AS Monaco contre 3,5 millions d’euros. Son séjour en Principauté, tout comme son prêt au Standard de Liège, seront des échecs cuisants en partie à cause d’une pubalgie. Nous voilà donc en 2017 lorsque Bahlouli tente une dernière fois de lancer sa carrière en Ligue 1 en signant chez le LOSC de Marcelo Bielsa, qu’il a séduit lors d’un Tournoi de Toulon lorsque ce dernier entraînait l’OM.
… à Karkhiv
Il y aura certes un temps de jeu plus conséquent et même un premier but, mais là encore, il peine à convaincre Christophe Galtier et est poussé vers la sortie. À date, le Lille-Amiens du 1er avril 2018 demeure son dernier match professionnel disputé. Mais toujours pas de quoi éteindre le « bahloulisme », d’autant qu’il se rapproche ensuite de la ville-sainte en signant au club amateur de la Duchère, nouvellement nommée Sporting Club de Lyon. Mais le covid douche les espoirs de revoir l’enfant prodigue briller sur ses terres.
Alors que beaucoup auraient peut-être entamé une reconversion, Farès Bahlouli persévère : il prendra du plaisir et aura une carrière grâce au football. Cette force de caractère le mène à plus de 2 000 kilomètres de Lyon, en troisième division ukrainienne, et plus précisément au FC Metal Kharkiv.
Précisons tout de même que, si cette signature a tout de la surprise générale, le FC Metal n’est pas une équipe de troisième division comme une autre. Ce club de la deuxième ville ukrainienne n’est autre que le tout nouveau successeur d’un club que l’on a pu rencontrer en Europa League – il a notamment anéanti le Sochaux de Boudebouz – ces deux dernières décennies : le Metalist Kharkiv, tombé en ruines pour insolvabilité en 2016. Fondé en juillet 2020 par le directeur sportif du défunt Metalist et actuellement entraîné par Oleksandr Kucher, ancien capitaine de la sélection et du Shakhtar, le FC Metal Kharkiv écrit donc la première page de son histoire avec un séjour en troisième division mais vise la remontée dans l’élite en deux saisons. Son effectif est donc assez supérieur à la moyenne du championnat qu’il est en passe de remporter largement.
Andriy Shevchenko en apôtre
L’histoire est déjà rocambolesque en soi, mais nos montagnes russes (devrions-nous les renommer montagnes ukrainiennes, à l’instar du chocolat liégeois ?) ont encore quelques montées à avaler. Le 12 mars, quelques jours à peine après l’annonce de sa signature et un match amical retransmis sur YouTube devant un tchat étonnamment pourvu de messages en alphabet romain, un illustre « bahlouliste » répondant à l’alias de Jean_Fion vient vers la communauté pour prendre la température concernant un achat groupé de maillots du FC Metal, floqués « Bahlouli 9 », suite à des correspondances avec le président en personne. Une vague débordante d’enthousiasme et un formulaire plus adapté à l’importante organisation requise plus tard, il tire 100 heureux élus parmi une demande de 840 supporters. Et ce n’est pas fini.
La deuxième partie du plan, et pas des moindres, entre en action. Pour gérer l’acheminement de ces maillots jusqu’en France, un bête envoi postal ne collait pas assez au surréalisme de la situation – et coûtait surtout un peu cher. Vous vous rappelez de notre introduction, par rapport à France-Ukraine ? Oui, comme révélé sur le compte Twitter de l’entremetteur « bahlouliste », ce n’est autre que la sélection ukrainienne, par le biais d’un membre du staff ami avec le PDG du FC Metal, qui emporte avec elle dans ses bagages une cargaison de maillots floqués Bahlouli à destination d’une secte lyonnaise. De là à dire qu’Andriy Shevchenko, sélectionneur et Ballon d’Or 2004, aura livré des maillots de Farès Bahlouli, il n’y a qu’un pas.