Si le football brésilien est parvenu à se frayer une place de choix dans l’échiquier mondial du football, c’est grâce à des grands joueurs connus de tous, mais aussi grâce à des pionniers. Algisto Lorenzato, dit Batatais, fait partie de la deuxième catégorie.
Le sens du travail
Le Brésil est un de ces pays où tout se mélange. Les histoires simples, les récits compliqués. Sous ce climat où la pluie diluvienne alterne parfois avec la chaleur étouffante, des destins se nouent en quelques secondes. Algisto Lorenzato a un destin brésilien par nature. Mais avant d’être Batatais, gardien titulaire de l’équipe nationale du Brésil, Algisto Lorenzato est un bébé, qui voit le jour le 20 mai 1910 dans la petite ville de – justement – Batatais, aux confins de l’Etat de São Paulo. Sa mère cumule des petits emplois d’employée de maison et de lavandière, tandis que son père, assez pauvre, sert tour à tour de garçon de café, de vendeur ambulant et d’employé d’une maison de commerce. Algisto connaît une enfance calme et heureuse, où il alterne entre les bancs de l’école et le bord de la route.
Mais à treize ou quatorze ans, Algisto doit travailler, et ramener de l’argent à la maison. Bien sûr, il joue au football depuis quelques années avec ses amis dans la rue, et c’est plutôt un bon dribbleur. Mais le football ne ramènera jamais d’argent à personne ! Tout au plus, quelques entorses et ecchymoses sur les jambes. Alors son père le fait embaucher d’abord comme charpentier pendant quelques années, puis comme vitrier. Et puis un jour, il entend qu’il y a, non loin de là, à Barretos, une entreprise de conditionnement de viandes, la Frigorífico Anglo, qui embauche. Alors Algisto se débrouille pour parcourir les kilomètres qui séparent Batatais de Barretos, et se fait immédiatement recruter. A peine son contrat signé, il est immédiatement recruté dans l’équipe de l’usine.
Un bon ailier…
Ses collègues sont heureux : un bon ailier gauche, tout juste ce qu’il manquait à l’équipe. Et d’ailleurs, Algisto Lorenzato fait des prouesses balle au pied. Mais un beau jour, le jeune homme tombe malade, et ne peut tenir sa place sur le terrain. Pour ne pas laisser ses coéquipiers en infériorité pour la rencontre de la journée, il décide de tenir sa place, mais dans la cage. Algisto n’en bougera plus jamais. Sa performance, ce jour-là, est digne de celles des plus grands gardiens de l’histoire du football brésilien. Son niveau dans la cage le fait remarquer de tout le monde, et, alors qu’il rentre dans la ville natale, il est recruté par le Batatais FC pour garder les cages de l’équipe. Il n’y restera pas longtemps : le Comercial de Ribeirão Preto veut faire d’Algisto Lorenzato son nouveau gardien.
Là encore, son passage ne sera qu’une question de quelques semaines, car son niveau est bien au dessus de celui des autres joueurs. Lorenzato est vite transféré dans un des grands clubs de São Paulo, l’Associação Portuguesa de Desportos. Dès son premier match, une victoire 4-2 contre Santos, il convainc tout le monde de ses qualités. Vif et agile, il se place bien dans la cage et pare de nombreuses tentatives qui semblaient prendre le chemin des filets. Pendant un an, le jeune homme de vingt-trois ans réalisera des prouesses dans le championnat pauliste, et deviendra la coqueluche des supporters de l’équipe. Lors de son dernier match, le 26 novembre 1934, malgré la défaite 1-0, ses coéquipiers lui font faire un tour d’honneur du stade. Jamais ils n’ont eu un gardien aussi fiable et efficace ! Et ce n’est pas la suite de sa carrière qui leur fera penser le contraire.
La muraille de Chine
Pendant le mois de janvier 1934, courtisé de part et d’autre, Algisto Lorenzato signe un contrat de six mois pour une somme importante avec le Palestra Itália, actuel SE Palmeiras. Sous les couleurs vertes et blanches, il dispute onze rencontres, et n’encaisse que neuf buts. Les siens parviennent à s’imposer à huit reprises, concèdent une seule défaite et deux matchs nuls. Algisto Lorenzato, qui a entre-temps glané le surnom de Batatais, en référence à sa ville d’origine, est un des grands artisans de ces bonnes performances de l’équipe. Ses coéquipiers lui donnent même le surnom de « muraille de Chine », tant son grand gabarit dans la cage lui donne l’air de contrôler tout le périmètre. Avec son mètre quatre-vingt, il peut aisément s’imposer dans les airs, et la surface de réparation devient une zone de chasse gardée. Gare aux attaquants qui osent mettre les pieds dans la surface de Batatais !
Le mois de juillet 1935 le voit rejoindre Fluminense, le club avec lequel il bâtira, pendant douze longues années, sa réputation. Il dispute plus de trois-cent matchs sous les couleurs rouges et vertes, encaisse un peu plus de quatre-cent-cinquante buts – une performance honorable à une époque où les scores sont nettement plus prolifiques qu’aujourd’hui – et réalise soixante-dix-neuf clean sheets. Algisto enrichit sérieusement son palmarès de cinq championnats cariocas, à l’époque parmi les plus prestigieux du pays, et de nombreux tournois d’ampleur régionale ou semi-nationale.
Algisto Lorenzato en profite aussi pour découvrir les joies de la sélection brésilienne. Entre 1938 et 1939, il est le gardien numéro un du Brésil. Batatais dispute notamment la Coupe du Monde en France, où il est un des grands artisans de la troisième place du Brésil. Mais sa carrière internationale prend fin un an plus tard, des suites d’une déroute 5-1 contre l’Argentine en Copa Roca.
L’art et la manière
Algisto Lorenzato met finalement fin à sa carrière de footballeur professionnel en 1947, près de quatorze années après avoir débuté sous les couleurs de la Portuguesa. Mais malgré un cours passage de quelques mois à l’America au cours de l’année 1942-1943, le nom d’Algisto Lorenzato reste intimement attaché à celui de Fluminense.
C’est d’ailleurs en tant qu’idole du Flu que, lorsqu’il prend sa retraite, Algisto devient titulaire du Prêmio Belfort Duarte. En 1946, le Conselho Nacional de Desportos a en effet institué cette récompense pour honorer les joueurs les plus fair-plays du championnat. Le Prêmio Belfort Duarte récompense les joueurs ayant évolué pendant au moins dix ans dans un championnat brésilien, amateur ou professionnel, ayant disputé au minimum deux-cent matchs et n’ayant jamais reçu de carton rouge ou de suspension. Outre la médaille et le diplôme honorifique, ce prix garantit une entrée gratuite à vie dans tous les stades du Brésil !
Quelques années après sa retraite, Algisto Lorenzato fera encore montre de son fair-play sans bornes, en qualifiant son successeur au Fluminense Carlos José Castilho de « meilleur gardien brésilien ». Peu chauvin, c’est le gardien tchécoslovaque František Plánička, iconique portier des années 1920 et 1930, que Lorenzato considère cependant comme sa source d’inspiration première au cours de sa carrière.
Le jour de son décès, le 16 juillet 1960 à seulement cinquante ans, à Rio de Janeiro, Algisto Lorenzato disparaît dans un dénuement extrême. Pauvre, aidé seulement par le portier du Maracanã qui lui offre un poste de gardien des tribunes, Lorenzato s’en va comme il a toujours été : droit dans ses bottes, impeccable, sans faire de bruit.