Arrivé fin décembre à Nantes avec l’objectif de sauver le club d’une relégation menaçante, Raymond Domenech n’a toujours pas gagné en Ligue 1. Alors qu’il reste 14 matches à disputer aux Canaris, les rumeurs de départ se propagent, envenimant une situation déjà difficile. Ce dossier tente d’apporter quelques éléments de réponse à une problématique managériale épineuse.
Domenech, le dinosaure
22 mai 1993. La date de la dernière victoire de Raymond Domenech en Ligue 1. Un certain nombre de lecteurs n’étaient même pas encore nés, et moi non plus. Pourtant Domenech, sortait d’une carrière de joueur professionnel et allait encore entraîner jusqu’en 2010, date de la célèbre débâcle française en Afrique du Sud. Dix ans plus tard, donc, l’entraineur de 69 ans reprend du service. À la lecture de ces chiffres, on ressent immédiatement la pression écrasante qui pèse sur les épaules de l’ancien sélectionneur des Bleus. Au-delà de tout avis à propos de Domenech en tant que personne ou tacticien, cette longue absence pose question sur les facultés d’un homme d’une autre époque à pouvoir encore coacher une équipe de jeunes joueurs, tant au niveau managérial que tactique.
Domenech, personnalité préférée des français
Avec un peu d’ironie dans le sous-titre, on constate que Domenech fait négativement l’unanimité auprès des suiveurs du ballon rond. Vous trouverez difficilement quelqu’un qui apprécie Raymond Domenech et les raisons à cela sont multiples. On relèvera en particulier sa responsabilité dans l’épisode de 2010 mais également ses récentes sorties provocantes dans les médias et sur les réseaux sociaux. Sans s’attarder trop longtemps sur le pourquoi, le fait que Domenech soit majoritairement détesté par les fans de football est un facteur important qui influence la situation actuelle au FC Nantes.
En effet, l’opinion publique rend toute communication extrêmement difficile pour l’ensemble du club. Le projet sportif est surveillé de très près et les résultats sont jugés avec autant de fermeté que d’impatience puisque tout le monde attend la déroute pour Raymond Domenech, y compris du côté des supporters. Cette impatience contagieuse oblige alors les dirigeants à réagir, provoquant ainsi une crise interne d’une rapidité inédite. Il n’est donc pas étonnant qu’après sept matches sans victoire, les rumeurs de départ commencent déjà à fuser.
Le bilan de Domenech indéfendable ?
S’il semble difficile d’expliquer sa nomination autrement que par un système de réseaux et de copinage, on peut malgré tout analyser le bilan de Domenech sur ses sept premiers matches. À l’aide d’un certain nombre de chiffres, l’idée est de creuser au-delà du prisme du résultat et de déterminer si le FC Nantes a intérêt ou non à changer à nouveau d’entraineur de manière urgente.
Que vaut le FC Nantes ?
Cela peut sembler trivial mais si l’on veut juger les performances d’un entraineur, encore faut-il qu’il ait un objectif. Pour les équipes de haut de tableau, un titre ou une qualification européenne sont des objectifs faciles à mettre en place d’autant qu’on peut aisément évaluer le succès ou l’échec. Néanmoins, pour le « ventre mou », la coupe d’Europe se situe souvent bien trop haut et le maintien constitue, à l’inverse, un objectif dangereusement bas. Une place spécifique reste donc la meilleure option même si la réussite ou l’échec ne sont pas sanctionnés d’une différence notable tant sur le plan du palmarès que des finances.
Aussi, plutôt que de donner une place arbitraire, on peut utiliser la masse salariale qui, selon Kuper et Szymanski, est un indicateur extrêmement significatif dans l’optique de prédire le classement final des équipes en championnat. D’après Sportune, le FC Nantes possédait en 2019-2020 la dixième masse salariale de Ligue 1. On peut donc considérer qu’après un mercato peu mouvementé quant aux départs, tout classement éloigné de la 10e place consiste en une sur ou sous-performance – selon de quel côté l’on s’éloigne. Ceci est renforcé par les prévisions de début de saison du célèbre site FiveThirtyEight qui donnait le FC Nantes 9e en 2020-2021.
Avec un baromètre désormais fixé, on constate que Raymond Domenech arrive à Nantes alors que l’équipe est 16e de Ligue 1. Ainsi, on pourra considérer que si Domenech parvient à rétablir l’équipe en direction de la 10e place, son influence sera déjà positive. Néanmoins, même s’il est le seul à perdre son poste au sein de l’ensemble de la section sportive, l’entraineur n’est jamais l’unique responsable en cas de sous-performances majeures. Il semble donc utopique d’imaginer le FC Nantes se rétablir miraculeusement et concrètement accrocher la 10e place en fin de saison – peu importe la personne sur le banc. Le mal est plus profond.
Un jeu resserré mais pas tellement meilleur
Lorsque Raymond Domenech arrive à Nantes, l’équipe tourne à 1.28xG par match (1.06 but) et 1.76 xG contre (1.76 encaissé). À supposer que xG et buts coïncident, cela donnerait sur 38 journées environ 49 buts marqués pour 67 encaissés. Ce type de ratio a été observé à plusieurs reprises en Ligue 1 depuis 2014.
- Strasbourg 2017/2018 : 44 buts 67 encaissés (15e)
- Montpellier 2016/2017 : 48 buts 66 encaissés (15e)
- Lorient 2016/2017 : 44 buts 70 encaissés (18e)
- Toulouse 2014/2015 : 43 buts 64 encaissés (17e)
De manière légitime, Raymond Domenech a donc cherché à changer ces résultats et a décidé de renforcer l’aspect défensif. Depuis son arrivée, le club ne concède plus qu’1.29 buts par match (1.20xG) – ce qui en fait la 9e défense de Ligue 1 sur la période. Malheureusement, une telle prouesse se situe souvent au centre d’un gambit tactique délicat : sacrifier sa production offensive pour une meilleure assise. Sans surprise, donc, le FC Nantes pointe à la dernière place niveau attaque avec 0.57 buts marqués (0.89xG). On notera malgré tout qu’au niveau des xG, le club gagne quelques places et se trouve 16e.
Plus succinctement, ce que Domenech a gagné défensivement, il l’a perdu offensivement. Le graphique ci-dessous montre ce phénomène avec des courbes qui décroissent en parallèle. On observe malgré tout un resserrement, certes ponctuel mais inédit depuis 11 matches entre les moyennes, ce qui peut donner un peu d’espoir aux dirigeants. Ceci étant, l’écart s’est creusé à nouveau suite au match contre Lille.
Pour approfondir au niveau offensif, on constate que le FC Nantes possède sur les sept derniers matches le pire total de Deep Completions (passes vers les 20 mètres adverses). Avec une dégradation de 4.35 par match à 1.86, l’animation offensive des Nantais s’est sévèrement rigidifiée et il semble difficile d’envisager que le club pourra sortir de sa torpeur offensive dans un futur proche.
En tout et pour tout, l’indicateur d’Expected Points d’Understat voit peu de différence au classement pour les deux approches avec 1.13 xPT sur la période pré-Domenech et 1.08 xPT depuis son arrivée. On peut donc conclure que si le style a changé, la performance est toujours en-dessous des objectifs. Et ce, malgré un léger manque de réussite dans la finition. Pour autant, la situation ne s’est pas nécessairement dégradée même si on peut considérer qu’il est difficile de tomber plus bas.
Un calendrier difficile
Pour Raymond Domenech, le calendrier est une épée à double tranchant. Le temps qui passe dans la contre-performance est autant de pression mise sur son poste mais des adversaires de qualité peuvent également faire espérer une amélioration. En effet, on a constaté sur le graphique précédent que les chiffres étaient encore inquiétants pour le FC Nantes mais si l’on s’attarde sur le calendrier, on constate que le club a affronté de nombreuses équipes du haut de tableau. Si l’on s’intéresse à la position de ces équipes au moment où Nantes les a affrontées, on observe que Domenech a joué contre des formations à la position moyenne de 7.57/20. Ce calendrier assez difficile, qui se conclut par la réception de Lille, peut donc constituer une excuse temporaire et une explication légitime à l’absence d’amélioration drastique.
Il faut par ailleurs noter que le FC Nantes prévoit d’affronter Angers (8e) et Marseille (9e) dans les prochains jours. Un bilan à la suite des matches critiques contre Nîmes (20e) et Reims (14e) serait donc plus opportun pour les dirigeants Nantais, d’autant que Nîmes et Dijon sont pour l’instant à l’arrêt complet en championnat. Les points engrangés par Lorient et Strasbourg peuvent faire peur mais il faut noter que les Merlus bénéficient d’une grande réussite depuis l’arrivé de Domenech (11 buts pour 5.87 xG) tandis que les Strasbourgeois ont été en sous-performance pendant la première moitié du championnat et ne méritent donc pas de se battre pour le maintien dans tous les cas.
Conclusion
Au vu des chiffres et du contexte, la pression pour Raymond Domenech risque de s’accroitre d’autant que le calendrier immédiat devra attendre deux matches avant de régresser vers une difficulté normale. On note malgré tout une proposition claire dans le jeu, à savoir verrouiller la défense au détriment de l’attaque. Selon les éléments mis en avant dans l’analyse, ce changement de paradigme n’a eu que très peu d’influence sur les projections et ne semble pas permettre de ramener le FC Nantes vers ses objectifs. La forte dégradation de l’indicateur Deep Completions est particulièrement inquiétant et laisse penser que l’attaque nantaise pourrait bien rester stérile sur le long-terme. Domenech, pour l’instant et avec la circonstance atténuante d’un calendrier difficile, ne fait pas mieux que son prédécesseur mais pas moins bien.
Au vu de son image dans l’opinion publique, il semble donc à terme raisonnable pour les dirigeants nantais de corriger cette grossière erreur commise lors de sa nomination. Le facteur calendrier incite néanmoins à une certaine patience, même si le maigre matelas d’avance sur la relégation peut vite faire céder n’importe qui à la panique. De manière générale, les changements en milieu de saison restent d’une pertinence faible et si deux entraineurs voient leurs performances coïncider malgré des méthodes différentes, il est difficile de concevoir qu’un troisième tacticien parviendrait à débloquer la situation. Le FC Nantes, selon mon humble avis, devrait plutôt accepter sa situation et faire bloc (y compris avec les supporters) afin de garantir son maintien puis changer – en profondeur – de personnel en vue de la préparation estivale et de la saison prochaine.
Aparté sur le marché des entraineurs
On note à travers ce papier qu’après 10 ans d’absence, Raymond Domenech parvient à être compétitif dans le bas de tableau de la Ligue 1. Les chiffres du FC Nantes ne tranchent pas de manière absurde avec le reste du spectre et on peut se poser la question de savoir si dans un sport en pleine révolution – que ce soit au niveau du jeu, du management ou de l’analyse de données – il est normal que Raymond Domenech (69 ans dont 10 loin d’un banc) soit toujours en poste mais également en capacité d’exercer. À l’image de son stéréotype socio-démographique, l’entraineur de football (et en particulier de Ligue 1) est un ancien joueur pro masculin, blanc d’environ 50 ans.
Cette observation laisse donc penser que le marché des entraineurs est en réalité peu efficace – ou en tout cas loin d’être optimal. En effet le manque de diversité permet d’induire l’existence de barrières volontaires ou non mises en travers d’un certain nombre de candidats potentiels, ce qui protège par conséquent les profils qui profitent de ces barrières. La conséquence finale est donc un manque de renouvellement et de concurrence qui ne permet pas d’améliorer le niveau moyen des entraineurs – si l’on emprunte à des thèmes schumpétériens. Difficile de dire si l’observateur a d’autres recours que multiplier les critiques quant à la gouvernance du football français ceci étant, mais il est temps que les choses changent…
Sources : fbref.com, understat.com