Le football est une histoire simple, où le sang et les larmes viennent parfois ternir la couleur du  jour. Car si la vie est rude et souvent banale, même amputé, le bras de l’Homme le démange toujours. Voici l’histoire de Colin Bell, disparu pour toujours au monde du football le 5 janvier 2021, sur l’île de Sa Majesté la Reine.

Apprendre l’amour

L’histoire de Colin Bell est anodine comme toutes les histoires de footballeur. Elle commence, comme toutes les autres, dans une famille qui oscille entre la pauvreté à l’échelle de l’Europe de l’après-guerre et la classe ouvrière de cette époque. Son père est mineur de charbon, sa mère, elle, décède alors qu’il n’a que douze mois d’un cancer du colon. Nous sommes en 1947, et la vie de Colin Bell ne semble pas prédestinée à un avenir plus glorieux que celui de son père. Mais la tante de Colin Bell va jouer un rôle crucial. Elle récupère le jeune gamin et sa sœur, son aînée de douze ans. Habitant à quelques kilomètres à peine de chez lui, il ne voit jamais son père, et peu sa sœur. Alors, il descend dans la rue et joue à dribbler les poteaux indicateurs.

Quand son père le récupère, il vient d’atteindre l’âge de raison mais est déjà passionné de football. Bien sûr, une famille pauvre du Comté de Durham en 1954 n’a pas la télévision, alors le football, il le vit en vrai. Dans la rue, où il s’est fait des nouveaux copains, mais aussi au stade, avec son père et ses amis. Le grand club de la région, c’est Hartlepool, qui évolue aujourd’hui en cinquième division. A l’époque aussi le club végète dans les divisions inférieures britanniques, mais ça ne fait rien : en Angleterre, le football se vit aussi dans les petits stades.

Bien sûr, cela lui arrive d’aller voir Sunderland et surtout le défenseur Charlie Hurley, qui défendra les couleurs des Black Cats pendant près de douze saisons. Le temps, finalement, que Colin Bell apprivoise avec l’East Durham et soit repéré par Darlington, qui possède un statut semi-professionnel et va lancer dans le grand bain Colin.

Le cœur abimé

Colin Bell a beau avoir adoré Hurley, il veut jouer haut sur le terrain et marquer des buts. C’est pour cette raison qu’il refuse, avant même de jouer pour Darlington, une place dans les équipes de jeunes de Sheffield Wednesday, qui lui propose d’être gardien de but. Et cela serait en effet bête de gâcher son talent, sa patte droite si précise et son pied gauche délicat. Après un échec lors d’un essai à Arsenal, il rejoint finalement Bury en 1963. Après à peine quelques matchs avec l’équipe réserve, il débute en professionnels face au club dont il deviendra la légende, Manchester City, alors plutôt cantonné à la deuxième division qu’aux fastes de la Coupe des Clubs Champions. A seulement dix-neuf ans, Colin Bell devient capitaine de Bury, et le plus jeune de Second Division. Une montée en grade qui attire le regard de clubs de plus grand standing.

Dont, justement, Manchester City. Après d’âpres négociations, les Citizens parviennent à enrôler le jeune meneur de jeu aux pieds d’or pour la somme record de 45 000 £. City est alors en Second Division, et la marche n’est pas trop haute pour Colin Bell. Dès sa première saison, il remporte la promotion en First Division. Et, coup de tonnerre impensable dans le football moderne, le club parvient à remporter la First Division dès sa deuxième saison dans l’élite du football britannique. Un titre impensable quelques mois plus tôt, et dont Bell est un des grands artisans. Avec plus de dix buts pour le meneur de jeu, Alf Ramsey, le sélectionneur anglais, sait quel joueur sélectionner pour l’Euro 1968 qui s’annonce.

L’Euro sera brillant pour les Anglais, vainqueurs récents de la Coupe du Monde : ils finiront troisième, et Colin Bell marquera notamment un but face aux Pays-Bas. Toute l’Europe sera bientôt aux pieds du milieu offensif, qui remportera la Coupe des Coupes 1970 avec les Skyblues.

Une douleur profonde

Mais l’année 1970 finira mal pour Colin Bell. En effet, il est vivement critiqué lors de la défaite anglaise 3-2 face à l’Allemagne au cours du Mondial 1970 au Mexique. Entré en jeu à la place de Bobby Charlton, il verra, impuissant, les siens encaisser deux buts et sombrer face aux Allemands. Même s’il conserve sa place en équipe nationale, il ne parvient pas à se faire un nom avec les siens en sélection. La non-qualification au Mondial 1974 est la goutte de trop : il ne gagnera jamais de titre international avec l’Angleterre, il en est désormais convaincu. Et tant pis s’il porte parfois le brassard, permet à son équipe d’humilier l’Autriche par sept buts ou mène son équipe à la victoire face au Champion du Monde allemand lors du centième match à Wembley en 1975.

Et sa carrière prendra du plomb dans l’aile à cause d’un certain Martin Buchan. Nous sommes en 1975, et City reçoit United pour un anodin match de League Cup. Et soudain, Buchan tacle Colin Bell violemment : il ne se relèvera pas. Sa cheville droite a cédée, sa carrière internationale s’interrompt et il lui faudra une saison blanche avant de revenir avec City. Ses deux dernières saisons n’auront plus le même goût : malgré quelques buts, il n’est plus que l’ombre de lui-même, et décide de mettre fin à sa carrière. George Best le convaincra d’une pige aux San José Earthquakes en 1980, mais il n’y disputera que cinq rencontres, à court de forme et d’énergie mentale.

Sa carrière s’arrête comme elle avait commencée : un peu n’importe comment. Mais les hommages, eux, ne s’arrêtent jamais. D’abord, il est élu dans les 100 meilleurs joueurs de l’histoire de la Football League, avant d’être fait MBE par la Reine d’Angleterre. Et à l’inauguration de son nouveau stade, Manchester City nomme une des tribunes latérales en son honneur. Le meilleur milieu anglais de tous les temps survivra à sa mort.

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