Si la Coupe du monde 1966 est le zénith du football anglais, elle est aussi celui du football nord-coréen, dont l’épopée légendaire a fédéré tout Middlesbrough.
Les Chollimas à Boro
À plus de 8 000 kilomètres de Pyongyang, rien ne prédestinait cette « bourgade » du nord de l’Angleterre à devenir ville satellite de la Corée du Nord ni ses 170 000 habitants de se prendre largement au jeu le temps d’une compétition et même au-delà. Encore moins qu’il allait en résulter un exploit et une amitié franche qui perdure encore aujourd’hui.
Le voyage vers l’Angleterre n’était pas non plus une évidence côté nord-coréen. Cette belle histoire aurait d’ailleurs très bien pu ne jamais avoir lieu. La sélection nationale, qui disputait le premier match officiel de son histoire seulement deux ans auparavant, a dû bénéficier d’un immense concours de circonstances pour se voir catapultée vers le mondial anglais. En effet, les phases qualificatives à la Coupe du monde ont connu quelques accrocs.
Une qualification rocambolesque
D’abord, la FIFA réduit l’Afrique, l’Océanie et l’Asie à se partager une seule place. Un affront auquel les sélections africaines répondent unanimement par un boycott. Sauf l’Afrique du Sud, mais celle-ci est exclue de la compétition en raison de sa politique d’apartheid. Pas au bout de leurs surprises, les Nord-Coréens voient ensuite leurs voisins du sud décliner l’invitation – officiellement – suite à la décision de la FIFA de déplacer le tournoi qualificatif du Japon au Cambodge. Ne restent plus en lice dans ce tournoi qualificatif final que l’Australie et la Corée du Nord, qui se départageront la place. Largement favoris, les Australiens sont pourtant battus à plates coutures : 9-2 pour les Chollimas sur l’ensemble des deux matchs.
Bien qu’auteure de cet exploit retentissant, la sélection nord-coréenne n’est pas au bout de ses peines. Sa qualification en phase finale passe mal outre-manche puisque, depuis la guerre de Corée treize ans plus tôt et alors que nous sommes en pleine guerre froide, le Royaume ne reconnait toujours pas la légitimité de la Corée du Nord. Difficile, dans ce cas, de faire flotter son drapeau et jouer son hymne dans les stades anglais. Plane alors la menace de voir les visas des joueurs retirés et le gendre idéal australien repêché.
Heureusement, le gouvernement britannique et la FA – cette dernière poussant en faveur de la Corée du Nord, de peur de voir leur phase finale retirée pour un autre pays – trouvent un compromis peu avant le début du tournoi. Bien que l’on ne jouera pas l’hymne de l’État communiste, les Nord-Coréens seront bien admis en Angleterre, avec leur nom et leur drapeau !
Cheer Leader
Pour la première Coupe du monde de leur histoire, la Corée du Nord hérite du costaud groupe 4, composé de l’URSS, de l’Italie et du Chili. Un groupe de la mort, en somme. L’Union Soviétique est finaliste de l’Euro 1964. Le Chili a terminé troisième du dernier mondial. L’Italie fait quant à elle figure de favorite pour le gain de la compétition. Sa génération est abreuvée par la Grande Inter d’Helenio Herrera, qui marche sur l’Europe avec son catenaccio. On attribue alors à la Corée du Nord, au mieux, une place de figurant, au pire, celle de punching-ball à la Squadra Azzura lors du dernier match du groupe.
Les Moustiques, autre surnom des joueurs nord-coréen, sont logés, nourris, blanchis à Middlesbrough, et tous leurs matchs se disputent à l’Ayresome Park, antre du Boro FC. Ce premier élément narratif pourrait suffire à se mettre le public local dans la poche. Mais ajoutez à cela le fait que l’équipe arbore les mêmes couleurs que le club de la ville, que le story-telling présentant les joueurs comme des travailleurs parle bien à la classe ouvrière du coin, et bien sûr de la curiosité. Vous obtiendrez une foule en délire qui hurle « KOREA » pour pousser les coéquipiers de Pak Doo-ik.
L’équipe « à domicile » s’incline néanmoins lourdement dès le début du tournoi contre l’URSS. Un 3-0 clair et net où la différence physique fut préjudiciable. Le match suivant ne commence guère mieux. Un penalty en début de match transformé par le Chili calme soudainement les ardeurs des désormais locaux. Mais à quelques minutes de l’élimination, Pak Seung-zin égalise et embrase le stade. Les Middlesbroughiens, en liesse à chaque touche de balle, adoptent définitivement les Nord-Coréens. Et ces derniers leur rendent bien.
« Ils ne chantent même pas autant pour Middlesbrough ! »
Dans le même temps, la défaite de l’Italie face à l’URSS donne à ce Corée du Nord – Italie de clôture un parfum plus décisif que prévu. Les observateurs restent toutefois très loin de donner aux Chollimas un autre statut que celui d’outsider. Si la ferveur de Middlesbrough pour ses nouveaux protégés intrigue, les Italiens peuvent compter sur une tribune de 3 000 tifosi. Seulement voilà, Bulgarelli se blesse à la demi-heure de jeu alors que les changements en cours de match ne sont pas encore autorisés : l’Italie est réduite à dix pour une heure !
Les Moustiques n’attendent même pas la seconde mi-temps pour en profiter, puisqu’une frappe de Pak Doo-ik trouve le fond des filets peu avant la pause. Les cadors européens reviennent motivés, prennent le jeu à leur compte, tentent de revenir. Mais, bousculés par des petits gabarits dans les transitions, ils ne parviennent pas à renverser la vapeur. Au coup de sifflet final, c’est tout Middlesbrough qui exulte. La Corée du Nord élimine l’Italie et file en quart de finale.
Goodison Park Seung-zin
Le quart se déroule contre le Portugal, à Liverpool, où pas moins de 3 000 fans de Boro convergent vers le Goodison Park. La belle histoire pourrait s’arrêter ici par une victoire sèche de la Seleçao d’Eusebio. Que nenni. L’ouverture du score nous vient de Pak Seung-zin, encore, qui trouve le chemin des filets dans les toutes premières secondes du match. Mieux, à la 25e minute, les Chollimas mènent 3-0 ! Malheureusement pour eux, c’est aussi l’heure que choisit Eusebio pour débuter son récital. Le quadruplé de la panthère noire amorce la remontée portugaise pour un score final de 5-3 et achève l’idylle nord-coréenne de supporters de Middlesbrough.
L’après tournoi reste flou. Si les Moustiques rentrent bien en héros en Corée du Nord et que certains joueurs, dont le salvateur Pak Doo-ik, reçoivent décorations militaires et sportives, plusieurs sources parlent d’un transfert en camp de travail pour une bonne partie de l’effectif, entre guerre idéologique et accusations d’espionnage.
Quoiqu’il en soit, l’amitié entre Middlesbrough et la Corée du Nord fut ravivée en 2001, lorsque Dan Gorgon et Nick Bonner décident d’en tourner un documentaire. Projeté jusqu’en Corée du Nord, le film fait redécouvrir cette belle histoire grâce aux interviews exceptionnelles d’anciens joueurs. Sous l’impulsion du député local, de l’ambassadeur et du maire de Middlesbrough, décision est prise d’inviter les anciens héros en Teesside. Accueillis une nouvelle fois triomphalement, les quelques Moustiques survivants sont reçus au nouveau Riverside Stadium pour donner le coup d’envoi fictif, puis à la mairie, qui hisse le drapeau nord-coréen pour l’occasion, histoire de boucler la boucle.