Le football, le beautiful game, ne semble pas avoir d’horizon temporel. Même, son infinité est le fruit des plus folles attentes et des espoirs les plus indicibles. Son essence, faite d’errements et de soubresauts, de vitupérations excentriques et de pied-de-nez à la marche du temps, est un de ces corolaires qui nous intriguent plus que le problème en lui-même. Pourtant, cette allure folle, cette avancée incroyable, peu à peu, se dirige vers un obstacle et vers des cahots immenses. Car nombre de décisions prises par les dirigeants de l’instance mère du football, et par leurs sbires disséminés entre fédérations internationales et nationales, semblent peu à peu casser l’harmonie du football. Chronique ordinaire de la déliquescence programmée d’un football en pleine désuétude.
Chapitre 1er : la mort du hasard
Le hasard est la vertu première du football. Ce petit mot arabe, si détestable pour les statisticiens, si étrange pour les physiciens, si anodin pour le commun des mortels, si excitant pour les adeptes des jeux qui en tirent leur nom, est au moins aussi important pour le football que l’est la rondeur du ballon. Et pourtant, aujourd’hui, le hasard est petit à petit en train d’être bouté en dehors des limites du terrain. Pendant longtemps, les éléments du match tout comme son résultat ont été des éléments empreints de hasard, de poésie et d’incertitudes. D’abord parce que l’on ne connaissait pas ses adversaires, parce qu’on ne pouvait pas les connaître. Puis parce que l’on ne savait pas comment les connaître, ni comment les analyser. Et enfin parce que les analyses ne sont pas toujours justes. Ce hasard, cet inconnu, rejaillit à la fois sur le résultat du match mais aussi sur sa physionomie.
Et puis, un beau jour, on s’est rendu compte que le hasard diminuait de plus en plus. Que très lentement, il se réduisait comme peau de chagrin. Les adversaires ont été tout de suite plus connus, plus vus, plus analysés. Avec la diffusion de la télévision et des matchs par dizaines, les incertitudes sont passées de globales à tactiques, puis de tactiques à techniques, puis de techniques à… ? Les surprises n’existent plus, ou alors elles ne durent pas plus longtemps que quelques matchs. Et même, les surprises ne le sont que pour ceux qui sont insuffisamment et médiocrement préparés. Car telle est la nouvelle essence du football, une essence enrichie non pas en carburant mais en statistiques. La préparation, infiniment plus qu’il y a cinquante, vingt, dix ou même cinq ans, a pris une part cruciale. On ne peut plus négliger son importance.
Chapitre 2nd : l’impéritie des instances
Les instances dirigeantes du football n’ont pas la lucidité, ou plutôt ne veulent pas avoir la lucidité inhérente au jeu en lui-même. Car quand on pense en millions – de morts, de vies, d’euros, de tonnes, de paquets de gnocchis à poêler –, on oublie facilement l’échelle à laquelle on pense. Un mort de plus ou de moins, qu’est-ce à l’échelle de la bataille de Verdun ? Une naissance de moins, qu’est-ce à l’échelle de la Chine ou de l’Inde ? Un million d’euros, qu’est-ce à l’échelle du PIB de la France ou de la Russie ? Bref, les milliers et les millions ne font pas bons ménages à l’échelle d’un cœur brisé, d’une naissance sous le manteau, d’une ligne de production dans une entreprise en faillite. Eh bien, en pensant par milliers de matchs, par millions de supporters, par milliards d’euros de transferts, les instances du football ne pensent plus à l’échelle individuelle.
Nombreuses sont les décisions qui ne prennent pas en compte la réalité des terrains. Et nombreuses sont les décisions qui oublient carrément qu’elles s’adressent à des êtres humains et non pas à des machines ou à des intelligences guidées par un seul but et une seule passion. L’être humain est fait de contradictions. Et loin de faire tomber le football en déliquescence, ces décisions font au contraire la part belle à une certaine idée du football. Une idée où ce sport, le sport-roi, serait gouverné par une instance collective. Où les décisions – arrêt d’une saison, Coupe du Monde dans des pays controversés, etc. – ne seraient pas prises à l’emporte-pièce. Et où les décisions ne seraient pas là pour plaire à la majorité, où à celui qui gueule le plus fort, mais bien répondre entièrement à la justice. L’égalité et la justice, telles sont les deux missions fondamentales des instances dirigeantes du football, malheureusement bien trop préoccupées par d’autres concepts plus douteux.
Chapitre 3ème : faire trépasser l’espoir
Mais parmi les plus absurdes et incompréhensibles décisions qui émaillent le football, ce sont sûrement celles qui font trépasser l’espoir des supporters qui sont les plus surprenantes. Et pourtant, elles font écho dans ce football qui manque profondément de recul et de présence d’esprit. Car si les éléments précédents faisaient déjà craindre une perte d’esprit pure et simple pour le football, la mort de l’espoir signifie plus que la simple déliquescence du football, mais bien sa négation.
Mais c’est pourtant bien ce qui est en train de se passer. En effet, le football est en train de courir vers des systèmes à l’américaine de ligue fermée. Mais justement, ce qui fait la particularité du football, c’est qu’il conserve à la fois une raison historique et une possibilité de tout bouleverser en quelques années à peine. L’incertitude fondamentale d’un match de football en est l’élément déclencheur. Et c’est pour cela que le modèle d’une ligue fermée ne peut pas convenir au football, mais au contraire risque d’amener celui-ci à sa perte.
Le football, en effet, au contraire par exemple du basketball, mais aussi du tennis ou du handball, se fonde sur un très petit nombre de points et d’occasion. Cela permet à une équipe moins forte de s’imposer. Les exploits sont de ce fait plus nombreux en football, et donc, l’affrontement entre deux équipes de niveaux très dissemblables – et donc la promotion-relégation – a un sens profond. En souhaitant faire disparaître cela, au profit, bien évidemment, de ligues fermées, le football court à sa perte. Car en effet, en ayant perdu la possibilité de réaliser ce pourquoi le football est conçu, le sport-roi court à sa perte.