Tout au long du calme de l’été, la rédaction de Demivolée.com vous propose de découvrir ou de redécouvrir quelques uns de ses articles des années précédentes.
« Au bout de dix minutes, quand j’ai encaissé le premier but, je savais qu’on allait passer une très longue soirée. » Gary Walsh, gardien mancunien, se souvient amèrement de cette nuit du 2 novembre 1994 au Camp Nou. Et pour cause, les étincelants Romario et Stoichkov, emmenés par Johann Cruyff, démolissaient par quatre buts la garde du Manchester United de Sir Alex Ferguson.
Contexte
Pourtant, ce mercredi-là, rien ne présageait un score fleuve pour les Mancuniens qui se déplacent au Camp Nou. Manchester United et le FC Barcelone sont tous les deux champions en titre domestiquement. Et les deux coachs engagés sont parmi les tout meilleurs de l’histoire du football. D’ailleurs, les deux formations s’étaient quittées sur un score de parité 2-2 au match aller. Du point de vue du classement, cette entame de la phase retour s’annonce aussi capitale que disputée. L’IFK Göteborg mène la danse avec six points, Manchester United figure juste un point derrière, et le Barça encore un point derrière, quand Galatasaray ferme la marche avec un maigre point.
Par rapport au match aller, Sir Alex Ferguson procède à quelques changements. En plus d’Éric Cantona suspendu (il l’était déjà à l’aller), Ryan Giggs effectue son retour de blessure et Peter Schmeichel perd sa place au profit de Gary Walsh à cause du nombre maximum d’étrangers sur la feuille de match. Il s’agit donc sur le papier d’un 4-3-3, Giggs et Kanchelskis suppléant Hughes sur le front de l’attaque. Enfin, on note sur le banc la présence de quelques jeunes dont les quasiment inconnus que sont alors David Beckham et Gary Neville.
Le 4-3-3 est aussi de mise côté barcelonais, même s’il est plus amovible que sa version mancunienne. Johann Cruyff apporte également des modifications avec l’intégration de son fils Jordi au trident offensif avec Romario et Stoichkov. Au milieu, Amor et Bakero, très mobiles, encadrent un certain Josep Guardiola. Il occupe quant à lui un rôle plus en retrait, tel un demi-centre, pour laisser le soin de la relance à Ronald Koeman.
Spider Koeman
En effet, Ronald Koeman est la pièce maîtresse de la construction du jeu barcelonais. En liaison directe avec Busquets, il est à l’origine de toutes les actions. Pour ce faire, Johann Cruyff le place à un poste comparable à celui du libéro. Devant lui, une toile d’araignée se forme dans un 1-2-4-3 dont il est le « 1 ». Les latéraux qui montent et Guardiola qui descend sur la ligne des défenseurs centraux forment un schéma dans lequel le porteur de balle a toujours au moins trois solutions. Ce système en losanges opposé au pressing peu ingénieux des visiteurs qui se contentent de presser sauvagement un Koeman à l’aise au milieu de sa constellation facilite grandement la tâche du Barça.
Les deux tiers du terrain sont parcourus sans la nécessité d’un moindre duel. Si bien que Stoichkov, Cruyff et Romario, pourtant bien pourvus dans ce domaine, semblent comme inspirés par le football pratiqué jusqu’à eux et ne dribblent finalement que très peu. D’abord parce que Cruyff junior n’est pas enchanté à l’idée de se mesurer directement à Parker. Mais surtout parce que les remises vers l’intérieur avant d’enrhumer la défense par une passe dans son dos se montrent particulièrement efficaces.
Super Romario
Pendant ce temps, Romario pourrit le travail de la défense mancunienne et agit comme un véritable poison pour les Red Devils. Son rôle n’est pas celui du numéro neuf classique. Lui qui est moins développé physiquement que Bruce et Pallister ne pourrait de toute façon que s’incliner dans la surface si tel était le cas. Johann Cruyff demande à son attaquant brésilien d’être légèrement plus en retrait. Ainsi, Romario navigue entre les intervalles qu’agrandissent les milieux adverses lorsqu’ils s’aventurent au large presser le porteur du ballon. De fait, le marquer de près représente un trop gros risque pour les deux défenseurs centraux. Mais même quand Pallister s’y essaie, Romario s’en défait systématiquement de son agilité au dribble.
Romario est donc souvent à disposition des deux milieux relayeurs, qui le recherchent constamment. Amor, dont le sens accru de la passe verticale n’est plus un secret, jouit non seulement de la disponibilité de Romario, mais aussi de celle de Stoichkov et ses déplacements en diagonale. Dans la zone d’Irwin, le Bulgare prend très largement le dessus. Il dispose d’assez de temps pour prendre sa décision. Dribbler, servir ou permuter avec Romario, tous les luxes sont permis dans le hall d’entrée de Manchester United. Très vite, la terre promise, la surface de réparation, est atteinte.
Déroute en vue
Le premier but ne tarde pas. Bien qu’il résulte d’un cafouillage, sa construction est l’archétype de la volonté de Johann Cruyff décrite dans les paragraphes précédents. Jordi, servi par Bakero, se déjoue simplement de Parker en repiquant dans l’axe avant de service Romario dans le dos de Bruce. Une sortie ratée, des dégagements imprécis et un contournement confus de la surface plus tard, c’est finalement Stoichkov qui propulse le ballon dans le petit filet opposé. On ne joue que depuis dix minutes, mais on voit déjà venir la déroute à Manchester. Il faudra tout de même attendre les arrêts de jeu de la première période pour voir le Barça faire le break. Moins inscrite dans la plus pure tradition du jeu au sol néerlandais puisque résultant d’un ballon long, la réalisation de Romario n’en demeure pas moins splendide de la passe à la finition, sans oublier le contrôle.
Par deux fois, et de deux manières différentes, United titube défensivement et ne parvient pas à offrir de plan de résistance viable. La mi-temps vient donc à point nommé pour Sir Alex Ferguson. De même, il y a aussi tout à faire offensivement. En effet, Hughes a vécu une très longue première période, complètement esseulé. Suivi par Abelardo et bloqué par le rideau Bakero-Guardiola-Amor, l’avant-centre gallois n’a jamais existé. Et lors du micro-temps fort mancunien à la fin de la première période, jamais le ballon n’a pénétré dans la surface catalane. La maîtrise des ailes est également parfaite de la part du Barça. Ferrer et Barjuan neutralisent totalement Giggs et Kanchelskis, ce dernier ayant reçu un nombre infime de ballons. Et le manque d’inspiration du milieu n’arrange rien. 37% de possession, zéro tir. En bref, aucune ligne ne fonctionne correctement: Ferguson a du pain sur la planche.
Remontada ?
Après la pause, les Red Devils veulent se montrer plus percutants et basculent en 4-2-3-1: Giggs en 10, Kanchelskis à gauche et Butt à droite. Hughes est enfin trouvé dans les intervalles et United semble réellement plus convaincant. Les deux ailiers aux rôles d’attaquants intérieurs sont plus actifs et sollicités. Giggs en 10 est une réussite. Les combinaisons entre les deux Gallois se font plus fluides et fréquentes, mais il manque encore le danger.
Toutefois, l’entrejeu est de fait moins dense, et l’espace devant la défense s’est agrandi. On pourrait alors croire que le trident offensif barcelonais allait s’en donner à cœur joie. En fait, on assiste pendant les vingt premières minutes à un récital défensif de la part des deux équipes. Les latéraux catalans contiennent les ajustements de Ferguson, la défense mancunienne rend Stoichkov, Romario et Cruyff muets. Ceux-ci n’atteignent même plus la surface adverse.
Johann Cruyff par K.O.
Cela dure peu, jusqu’à la 53′ minute. Sur un modèle de relance puis de contre-attaque, Stoichkov décale sur Romario à l’entrée de la surface. Le Brésilien la lui remet aussitôt d’une maligne talonnade, permettant au Bulgare de fusiller le gardien hors des seize mètres. La beauté de l’action nous fait pardonner sa cruauté, tant Manchester aurait pu tirer quelque chose de son temps fort. Trop tard, le sort du match ne fait plus aucun doute. Le schéma de la première mi-temps reprend ses droits. De là, United n’abdique pas et continue sans grande illusion de pousser, n’offrant en fait que l’occasion au Barça d’enfiler une quatrième perle. C’est chose faite à la 88′ avec la course de Ferrer, bien lancé dans son couloir, qui termine lui-même son action en reprenant son propre centre contré.
Sir Alex Ferguson pourra être déçu de ses joueurs, bien sûr, tous individuellement surpassés par leurs homologues catalans. Néanmoins, c’est aussi la victoire de Johann Cruyff. La gestion des intervalles et le blocage des offensifs furent fatals au jeu stéréotypé des Red Devils, qui n’ont en plus pas su trouver l’antidote contre Romario. Barcelone ne sera pas rattrapé au classement et sort donc sur ce match United de la Ligue des Champions. Ce ne sera pas une grande campagne pour le Barça, que Paris éliminera en quarts de finale, mais ce rendez-vous entre deux coachs de légende valait le détour.
Par MatthiasT, le 14 mai 2019.