« Charrette », « karting », « Formule 1 », les expressions dérivées d’un véhicule à quatre roues fleurissent dans le langage footballistique. Parfois, il arrive même qu’on « gare le bus ».
Car de finale
L’expression « garer le bus », ou son penchant anglophone « park the bus », est aujourd’hui bien ancrée mais doit finalement sa percée dans le langage footballistique international à des événements plutôt récents. Cette verbalisation de l’extrême propension à défendre nous vient du Portugal. Au pays de Salazar existait en effet d’abord la locution « estacionar o autocarro ». Celle-ci fut ensuite exportée par l’un, si ce n’est le, des plus illustres entraîneurs lusitaniens, José Mourinho. En 2004, pour critiquer la performance de Tottenham venu jouer le 0-0 à Stamford Bridge, l’entraîneur de Chelsea de l’époque traduit cette expression bien de chez lui pour la faire découvrir aux anglophones et donc au monde du football entier.
« Comme on dit au Portugal, ils sont venus en bus et l’ont laissé devant le but. »
« Garer le bus » était né. Mais ce qui aurait pu rester un qualificatif anecdotique pour une équipe peu joueuse de la part d’un entraîneur de mauvaise foi devait encore connaître son avènement. Ironie du sort, ce n’est autre que… José Mourinho, en 2010 à l’Inter, qui en fait une démonstration de force face au Barça de Pep Guardiola. Menant la danse 3-1 depuis l’aller de cette demi-finale de Ligue des Champions, le déplacement de ses hommes au Camp Nou tourne court lorsque Thiago Motta écope d’un carton rouge avant même la demi-heure de jeu.
C’est à partir de ce moment là que Mourinho décide non pas de garer le bus, mais de « garer l’avion », selon ses propres dires. Tout cela, évidemment, non sans s’attirer nombre de détracteurs qu’il enverra paître en clamant haut et fort qu’à l’aller, l’Inter avait « écrasé » Barcelone.
Air-bus
Mais qu’il s’agisse d’un avion ou d’un bus, le principe reste le même. Garer le bus, c’est se replier en un bloc très bas et très compact pour simplement défendre coûte que coûte un résultat. Et ce sans aucune ambition de contre-attaque, encore moins de but. Nombreux sont néanmoins les abus de langage, et l’expression a tendance à être de sortie sitôt qu’une équipe vient avec un peu plus de prédispositions défensives que d’habitude. Connotée péjorativement, elle suggérerait en plus une forme d’immoralité de cette tactique. Pourtant, n’importe quel plan de jeu à vocation défensive n’est pas un bus.
Plus qu’un bête attroupement autour de ses cages, garer le bus requiert un peu de travail et d’entraînement. Mais pour le définir correctement, citons… Johan Cruijff. Le partisan du football total caractérise à merveille le pan défensif du football, de quoi résumer parfaitement les motivations d’un bus :
« Défendre, c’est une question d’espace. Si je dois défendre tout un terrain, je suis le pire défenseur. Si je dois défendre une petite zone, je suis le meilleur défenseur. »
Comme les Bleus en 2010
L’intérêt d’un bloc compact s’illumine alors. Plus que de couper les lignes de passes, il s’agit de réduire au maximum le champ d’action d’un défenseur. Il est de fait moins assujetti aux erreurs ou aux dépassements. Et quand vos dix (ou neuf) joueurs de champ sont dans cet état, il y a plus de chances pour qu’ils ne laissent rien passer. Toujours dans cette optique, l’équipe garant le bus ne veut pas se charger du ballon. Elle ne veut ni le récupérer, ni le garder. Elle souhaite contraindre l’adversaire à une utilisation stérile du cuir, et si par mégarde elle s’en saisit, elle le balance. Cela encombrerait l’esprit d’une réflexion pour la relance et, en cas de perte, déstabilisera la formation.
La formation, parlons-en. Un bus alignera généralement deux lignes de 4 joueurs pour quadriller toutes les zones et rendre les prises à deux possibles. Idéalement, ajoutez un ratisseur en guise de milieu plus reculé et libre, et un joueur plus avancé, l’avant-centre originel, pour presser un minimum afin que l’adversaire joue majoritairement horizontalement. Le 4-1-4-1 semble donc parfait. Thiago Motta en moins, c’est en 4-4-1, voire 4-5-0, que Mourinho a tenu la furia barcelonaise, avec Wesley Sneijder au pressing.
Cependant, et malgré sa dimension théorique plus développée qu’il n’en a l’air, le bus garé restera l’éternel mal-aimé des fans du ballon rond. Il n’est certes peut-être pas joli. Ce n’est peut-être pas non plus ce qu’un spectateur recherche quand il se déplace au stade ou se pose devant son poste de télévision. Mais bien exécuté, il sait se rendre diablement efficace. Un pragmatisme exacerbé qui, si joué par votre équipe de cœur, saura peut-être vous convertir. Car, comme vu ci-dessus, José Mourinho lui-même s’en plaignait avant de l’utiliser sans vergogne :
« Je serais frustré si j’étais un supporter qui avait payé 50£ pour regarder ce match (Chelsea-Tottenham 2004, ndlr), car les Spurs sont venus pour défendre. »