L’été dernier, le Conseil international du football association, aussi appelé l’IFAB, officialisait une batterie de nouvelles règles appliquées au football à compter de la saison 2019-2020. Parmi elles, la possibilité de jouer plus court, dans la surface, les six mètres. Quels effets cela a-t-il eu sur le monde du football qui tenait déjà de plus à plus à relancer court ?
Un changement bien venu
Pour rappel, il y a encore un an, la règle du coup de pied de but était la suivante. Le ballon est en jeu dès qu’il quitte la surface de réparation et personne d’autre que le relanceur qui se charge du coup de pied arrêté ne doit être à l’intérieur de la surface. Aujourd’hui, le ballon est en jeu dès qu’il quitte les pieds de l’exécutant et qu’il a clairement bougé. Et, changement significatif, les coéquipiers du gardien – car c’est bien souvent au gardien que revient cette tâche – ont le droit de stationner et de recevoir le ballon dans la surface de réparation.
Les restrictions mises en place par l’ancienne règle servaient à prévenir l’antijeu. Pour le contexte, avant 1992, le gardien avait encore le droit de reprendre à la main toutes les passes de ses coéquipiers. Imaginez les possibilités d’antijeu s’il pouvait en plus trouver un défenseur dans sa surface à qui faire la passe lors des six mètres. La règle ordonnait donc une certaine prise de risque à la relance pour débloquer la situation et éviter les pertes de temps volontaires.
Mais depuis 1992 et la règle empêchant un gardien de reprendre à la main une passe d’un coéquipier, la règle des six mètres, pourtant devenue plutôt inutile voire caduque n’avait pas été changée. La raison du changement qui vint finalement en 2019 est simple : l’air du temps. Il y avait non seulement cette volonté de rendre le jeu plus fluide avec des relances rapides, mais aussi l’idée de permettre aux équipes de suivre la tendance de la relance courte, amenée par l’avènement du jeu de position. En outre, une faille au règlement dérangeait. Si un joueur recevait un six mètres dans sa surface, même sciemment et par antijeu, le geste était simplement à refaire.
Renvoi aux métriques
Seul un petit échantillon de statistiques est disponible compte tenu du relativement faible nombre de matchs joués depuis cette nouvelle règle. Surtout, il n’y a eu qu’un court laps de temps pour que les staffs techniques planchent sur de nouvelles possibilités tactiques, et la crise sanitaire n’a pas aidé. Néanmoins, le fait que les six mètres relancés courts soient plus efficaces que ceux relancés longs n’est pas un secret. Opta estime ainsi à 49 mètres la progression moyenne du ballon sur une relance courte, contre 39 unités sur une relance longue. Encore plus qu’avant, car elle est facilitée, jouer court est la meilleure option. Et si certaines équipes résistent encore à cette tendance, la plupart a effectivement augmenté sa part de remises courtes dans ses six mètres.
Tout est dans le calcul de la récompense possible en fonction du risque encouru. Certes, relancer long, c’est la sécurité, le gardien fait un temps tomber la pression. Mais cela engendre une moins bonne progression du ballon et crée moins d’occasions. Alors qu’en relançant court, les statistiques sont formelles : on se crée de meilleures et plus fréquentes occasions. Bien que l’on s’expose beaucoup en cas de perte de balle, ce pan du football ne peut être ignoré. Les six mètres représentent en effet le troisième coup de pied arrêté le plus fréquent par match, derrière les touches et les coups francs, avec 16.2 occurrences.
Des changements sur l’essence du jeu
Lorsque l’on s’intéresse aux changements dans l’absolu sur jeu, qui sont eux plutôt d’ordres visuel et sensible, on se rend compte que la manière de presser l’adversaire est plutôt bousculée par cette nouvelle règle. L’espace à couvrir quand l’adversaire effectue un six mètres commence désormais plus haut et s’étend davantage. Pour appliquer la pression sur les défenseurs relanceurs le plus vite possible, les attaquants, en première ligne pour presser, se postent aux abords de la surface adverse. Conséquence directe, de l’espace est libéré au milieu de terrain.
De fait, on observe en réaction un changement sur la manière de dégager. De plus en plus de gardiens optent pour un dégagement mi-long vers ces zones délaissées, qui contiennent en plus généralement les hommes les plus doués avec un ballon. Voilà de quoi accentuer la demande sur les compétences balle au pied des gardiens. C’est pour l’instant l’enseignement majeur que l’on tire de ces quelques mois d’implémentation. D’autres changements pourraient intervenir plus tard, avec, pourquoi pas, des extrémistes sur la question.
Et si cela favorisait… les relances longues ?
Par ailleurs, et c’est un postulat qui peut surprendre, autoriser des relances plus courtes pourrait en fait générer plus d’intérêt pour les six mètres longs. Avec la volonté pour les équipes qui pressent d’être compactes et ce terrain de jeu à quadriller plus large, l’espace, quand il n’est pas délaissé au milieu comme nous l’avons vu sur notre point précédent, l’est à l’opposé du terrain. Ainsi, comme on ne peut pas être hors-jeu sur un six mètres, une nouvelle idée d’aller alerter des attaquants qui partent en flèche dès le coup de pied de but se développe. Le Manchester City de Guardiola, très réputé et très attendu pour repartir court de l’arrière, s’est mis à exploiter cette faille.
Reste encore à savoir si ce piège deviendra une nouvelle facette tactique aux six mètres ou s’il n’est possible que sur une période limitée grâce à l’inexpérience générale vis-à-vis de la règle. Mais une chose est sûre, celle-ci amplifie encore l’importance des transitions. Savoir les contrôler et en tirer profit était déjà le b.a.-ba du football moderne, il vient de s’exacerber sur cette phase de jeu précise. C’est donc vraiment un changement de règle qui correspond à l’air du temps. Bientôt, on aura oublié que l’on devait sortir de la surface lors d’un six mètres.