Demain est un grand jour. Avec la Bundesliga (et la 2.Bundesliga) en porte-étendard, le football entame enfin son déconfinement, non sans son lot d’interrogations aussi bien économiques et logistiques que morales. L’occasion de dresser un premier bilan de ce football confiné.
Atterrissage
Le confinement a d’abord marqué le football par une réévaluation des priorités à deux étages. À l’échelle sociétale, d’une part, le ballon rond s’est vu destitué de sa première place sur la liste des priorités. Il pensait sa manne économique et sociale intouchable et fut frappé de plein fouet, s’inscrivant même parmi les premières victimes côté industries. Pourtant si habitué du contraire, il n’aura bénéficié d’aucun traitement de faveur et, s’il a tenté un temps de résister, aura vite dû se résoudres aux lois gouvernementales. Le football fut confiné comme le reste des citoyens.
À l’échelle individuelle, il semble que le football, ou plutôt son absence, ait trouvé deux sortes de résonance chez ses amateurs. Peut-être êtes-vous de ceux qui, entre deux marathons-séries des classiques du genre si adapté au confinement, ont remarqué que le beautiful game et sa 152e saison ne vous manquaient pas tant que vous auriez pu penser dans une période pré-confinement où l’image d’un quotidien sans football vous terrorisait. Gambader dans un pré à la poursuite d’un ballon dégagé trop loin vous manque, mais le Big-5 et les rumeurs mercato, pas le moins du monde.
Mais il y a également l’exacte inverse. D’autres, si attristés par l’absence de football et emmenés par leur application de résultats en direct favorite, sont en effet devenus experts des irréductibles championnats biélorusses : la Pershaya et Vysshaya Liga, qui continuent encore de co-exister avec l’envahisseur coronavirus. Déjà revigorés par la récente reprise de la Korean League, le retour d’un football plus familier et de meilleur niveau avec la Bundesliga est une véritable bouffée d’oxygène pour ces amateurs tout terrain.
Vol stationnaire
Un autre aspect du confinement est le surplus de temps libre à combler pendant que les loisirs – tels que le football – ne sont plus en mesure de le faire. Dans le monde du ballon rond ou plus généralement du sport, cela s’est traduit par une disponibilité exacerbée de ses acteurs. Tout autant en manque d’activités, les sportifs comblent cette demande. Ils se sont rapprochés de leurs fans et ont pu continuer d’occuper le devant de la scène grâce aux réseaux sociaux à travers différents lives en duo, événements caritatifs ou simples foires aux questions. D’autres peuvent aussi se targuer d’avoir réussi une reconversion temporaire. On peut ainsi penser à Antoine Griezmann, Gaël Monfils ou encore une bonne partie des pilotes de Formule 1, qui ont animé le confinement via du live streaming de jeux-vidéo à la maîtrise quasi professionnelle.
En outre, les joueurs se sont montrés plus ouverts à d’autres médias et à d’autres manières de raconter leur sport. Puisque réseau, plateaux et caméras n’étaient plus de vigueur, des médias moins tentaculaires que l’Equipe ou Canal ont pu, bien plus qu’en temps normal, obtenir les faveurs des joueurs. Les diffusions Instagram de Walid Acherchour, du Club des 5, avec entre autres Adrien Tameze et Samir Nasri, ou la participation de Gaël Monfils à l’émission Popcorn présentée par le streamer Domingo, en sont d’éloquents exemples.
Un vent de fraîcheur plutôt appréciable d’autant que les angles varient avec les formats. Moins formatés, les joueurs se révèlent sous un autre jour et expriment leur passion vivement et à leur aise. Moins cadrée, cette communication peut aussi s’avérer plus risquée – au grand bonheur des ennemis de la langue de bois – et certains, comme Yann M’Vila à propos de Claude Puel, ont pu l’apprendre à leurs dépens.
Qu’en restera-t-il ?
Se pose alors la question de l’héritage de ce confinement. De la même manière que l’on envisage différents scénarios quant à la société post-confinement, la suite du football et du monde du sport dans la vie d’après soulève aussi ses interrogations. Que retiendra-t-on de ce jeun footballistique ? Va-t-on consommer le football de la même manière ? Voire même pire, avec les huis clos forcés, deviendrons-nous ce que les diffuseurs rêvent que nous soyons ? Ou bien cette réévaluation des priorités, à l’échelle sociétale ou individuelle, nous a-t-elle éloignés du football business et de ses multinationales pour nous pousser à le reformer ?
Plus légèrement, la médiation entre les acteurs du sport et le public vient-elle de se transformer ? Du point de vue de la communication, Twitch deviendra-t-il un indispensable du sportif professionnel ou ne reverra-t-on jamais Gaël Monfils streamer ? Enfin, le genre journalistique de l’interview, désormais plus proche de la discussion, vient-il de prendre un coup de jeune ?
Finalement, le football est un si bon reflet de la société que, même pour un événement aussi singulier que ce confinement, la même question demeure des deux côtés : tout redeviendra-t-il comme avant ?