Il est d’une légende urbaine que le Borussia Dortmund, s’il était et est un grand club, n’aurait pas pu le rester sans une intervention financière du rival historique, le Bayern Munich. Qu’en est-il réellement ?
Le Borussia au plus bas
Au tournant des années 2000, pourtant, tout va bien pour le Borussia Dortmund. En triomphant des championnats allemands 1995, 1996 et 2002 et même de la Ligue des champions 1997, les Schwarzgelben satisfont grandement leurs emblématiques supporters. Ce succès est cependant beaucoup moins radieux en coulisses. Le BVB vit financièrement largement au-dessus de ses moyens. Son président et son directeur exécutif de l’époque, respectivement Gerd Niebaum et Michael Meier, voient grand, trop grand, pour le club de Westphalie. Si les investissements colossaux et parfois extravagants qui nourrissent leurs non moins grandes ambitions peinaient déjà être épongés par les participations annuelles à la Ligue des Champions, tout s’effondre logiquement lorsque Dortmund manque par deux fois le coche de la C1 en 2004 et 2005.
En creusant sa dette aux alentours des 200M€, le club tutoie la faillite. Le stade est cédé à 75% à la Commerzbank, les droits de marketing de la marque BVB sont vendus à une compagnie d’assurance, les droits de certains joueurs sont échangés contre des prêts secrets auprès de magnats… On tente d’économiser le moindre centime. C’est alors à ce moment-là que serait venue l’intervention salvatrice du grand rival, le Bayern Munich. En effet, le grand prince bavarois, déjà connu pour avoir aidé le FC Sankt Pauli et le 1860 Munich, et à l’aimable demande des dirigeants dortmundois, offre un prêt de 2M€ dont les trois quarts sans intérêt à un BVB si mal en point qu’il n’est plus en mesure de payer le salaire de ses joueurs.
Salvateur ou humiliant, ce conte de la Bundesliga prendra ensuite plusieurs interprétations.
Merci qui ?
Tout d’abord, si ce prêt de 2M€ fut peut-être décisif sur le moment, il ne représente jamais que 1% de la dette totale contractée par le Borussia Dortmund. Le club doit davantage son salut à l’activisme de ses fans, qui ont convaincu certains des investisseurs du BVB à différer les paiements d’intérêts et de loyer. Surtout, la nouvelle équipe dirigeante qui prend les rennes du club sous l’égide de Hans-Joachim Watzke, toujours président aujourd’hui, remet les finances à flot, non sans certes une nouvelle intervention du Bayern, puisque la dette s’éponge grâce à l’achat par les Bavarois de Torsten Frings pour un peu plus de 9M€.
Du reste, les supporters jaunes et noirs doivent bien la survie de leur club au plan de redressement de Watzke. Lui et son équipe assainissent les comptes et apportent des liquidités grâce à un prêt à la banque Morgan Stanley, en partie pour racheter le Westfallenstadion, et à un contrat très longue durée avec la société de marketing Sportfive. Pionnier dans cet écosystème footballistique du trading de joueurs, le BVB a ensuite pu développer une politique sportive ambitieuse et saine économiquement en s’appuyant sur son centre de formation et un recrutement de jeunes espoirs. De nouveau conquérant, le Borussia Dortmund renoue avec le haut du tableau et réalise même un doublé en étant champion d’Allemagne 2011 et 2012 sous les ordres de Jürgen Klopp.
Balance des pouvoirs
Seulement voilà, ce prêt de 2M€ a suffit pour faire rentrer dans l’imaginaire collectif le sauvetage du Borussia Dortmund par le Bayern Munich. Peut-être en était-ce d’ailleurs le but. Avec ce prêt, Uli Hoeness, président bavarois, s’assurait certes la continuité d’une rivalité très attractive pour la Bundesliga et donc son club, mais il rappelait aussi qui était le plus fort et le plus riche dans la maison du football allemand. Une manière de suggérer que lorsque le BVB brille, c’est aussi en quelque sorte le Bayern qui prend la lumière.
Bien sûr, il reste impossible de savoir si ce geste du Bayern relevait de l’altruisme pur, des intérêts économiques liés à l’attractivité de la ligue ou du projet d’embarrasser plus tard le BVB. Il aura toutefois fallu attendre 2012 et des signes d’une suprématie bavaroise en berne combinés à un Borussia en tête pour que Hoeness ne remette les couverts à ce propos.
« C’était une situation unique pour le Borussia. Quand ils ne pouvaient même pas payer les salaires, nous avons pensé que nous devions aider. J’adore la tradition dans le sport et je pense que c’était la bonne chose à faire », déclare Uli Hoeness.
Il n’est donc pas surprenant de voir les dirigeants dortmundois minimiser l’importance de ce prêt, histoire que les supporters ne se sentent pas redevables de l’ennemi à chacune de leurs futures joies. Des années après, Watzke ne comprend d’ailleurs toujours pas la décision de ses prédécesseurs : « j’irais dormir sous un pont et mendier plutôt que quémander l’aide de notre plus grand rival ».