Hier, lors de son discours devant les députés pour détailler les modalités du déconfinement à venir, le premier ministre Édouard Philippe a aussi glissé quelques mots pour le monde du sport professionnel, éloignant toute reprise au moins jusqu’en août. Que cela signifie-t-il pour le football ?
Le plan A du plan B vole en éclats
D’un point de vue sanitaire, c’était probablement la décision la plus sage à prendre. Elle ne plaira cependant que très peu aux supporters et encore moins aux instances de cette industrie qui vit sur un fil et attend non sans angoisse ses énormes revenus pour payer ses tout aussi énormes charges. Dès la suspension des saisons – fait déjà exceptionnel – à cause de la pandémie de COVID-19, la première volonté a toujours été de terminer les saisons, avec ou sans public. Même avec des perspectives de plus en plus floues et des timings de plus en plus serré, l’UEFA et toutes les Ligues, à l’exception des belges, néerlandaises et écossaises, n’avaient que la reprise en tête, comme au-dessus des lois, avant même de connaître les directives gouvernementales.
D’abord débutant en mai, puis en juin, avec la Ligue des Champions en août, les calendriers fictifs attendaient leur officialisation, presque insouciants. Non sans ambition, cela supposait encore qu’aucune des quelques 240 personnes nécessaires pour la tenue d’un match n’apporterait le virus au stade, ni qu’une recrudescence probable de blessures suite à une préparation folklorique ne dérangerait les hôpitaux ces temps-ci.
Jeudi dernier, l’UEFA réaffirmait encore cette priorité dans un communiqué faisant suite à la réunion de son comité exécutif. Mais avec un des cinq championnats majeurs, en attendant les autres, privé de reprise, ce plan A de finir les saisons prend du plomb dans l’aile. Heureusement, ce même communiqué détaille aussi pour la première fois ce qu’il ne faut pas faire en cas d’impossibilité de terminer la saison, ouvrant ainsi cette possibilité une semaine après avoir réprimandé la ligue belge à ce propos. Voilà qui, pour nous Français, prend aujourd’hui plus de signification. Reprenons-le.
Et maintenant ?
Alors, qu’a préconisé l’UEFA en cas d’impossibilité de finir la saison ? Substantiellement, rien. L’instance européenne de football a établi les conditions valables pour un arrêt définitif de la saison – une interdiction gouvernementale ou des dangers financiers en cas de reprise – et évoqué un moyen basé sur le « mérite sportif » pour choisir les prochains qualifiés européens, sujet ô combien sensible. Sans plus de définitions, elle demande une procédure « fondée sur des principes objectifs, transparents et non discriminatoires » sans un « sentiment public d’injustice ». Maintenant, aux ligues nationales de faire tourner leur imagination afin de calculer ce fameux mérite sportif.
Scenario 1 : Remettre à plus tard
Si la décision similaire du gouvernement néerlandais avait aussitôt résulté en un arrêt définitif de l’Eredivisie, il n’est pas certain que la Ligue de Football Professionnel suive le même chemin. Dans la lignée de la volonté à terminer la saison coûte que coûte, la LFP pourrait effectivement décider de finir la saison quand l’état de la pandémie le permettra, par exemple de septembre à décembre. Cela engendrerait un décalage dans les calendriers des prochaines saisons qui sera résorbé en plusieurs années. Ce serait un moindre mal pour le monde du football, en sachant que la Coupe du monde 2022 en hiver demandait de toute façon quelques modifications.
Afin de gagner du temps, seules les places cruciales pourraient être départagées dans un système de playoffs.
Points positifs : On respecte à la lettre l’équité sportive et on s’évite des tonnes de débats ; pas de problème de droits TV.
Points négatifs : Il faudra que l’UEFA, ses compétitions et les autres Ligues suivent cette décision, sans quoi il faudra quand même choisir des qualifiés en C1 et C3 autrement que sur le terrain ; Une organisation temporelle bouleversée (calendrier, contrats, mercato…).
Scenario 2 : Prendre les classements actuels
La saison est arrêtée définitivement car on juge que les matchs joués sont représentatifs et les classements actuels, soit à la journée 27, dernière journée complète, soit à la J28 où le match manquant est simulé par un quotient de points par match, font foi. La Ligue se garde de couronner ou non le premier et applique les montées et décentes.
Point positif : Merci, au revoir, on passe à 2020-2021.
Point négatifs : Les matchs joués sont-ils si représentatifs ? Des clubs seront lésés, d’autres avantagés ; débats sans fins, actions en justice possibles ; problèmes de droits TV.
Scenario 3 : Saison blanche
2019-2020 n’a jamais existé et on commence 2020-2021 sur les mêmes bases. Les mêmes clubs seront en lice dans les mêmes compétitions que cette année. Pas de titre, pas de relégation ni montée.
Un scenario 3,5 serait de s’appuyer sur le coefficient UEFA pour choisir les clubs qualifiés en C1 et C3. C’est une proposition qui a pris du poids mais qui fait là aussi débat. Comment expliquer à Sheffield qu’ils ne seront pas européens sur les bases de performances dans une compétition qu’ils n’ont jamais disputée ?
Les points positifs et négatifs sont les mêmes que pour le scenario 2.
Scenario 4 : Établir un classement avec le quotient de points par match
Cette solution fait du bruit outre-Manche car quatre équipes à des places cruciales et dans un classement serré ont un match de retard sur les autres. Ainsi, on calculerait un ratio de points par match pour créer un nouveau classement. Arsenal gagnerait une place sur Tottenham (mais ne toucherait pas l’Europe) et Wolverhampton reculerait d’une place au profit de Sheffield mais tous les deux iraient en Europa League.
En France, c’est encore plus expéditif : cela ne changerait rien. Strasbourg passerait certes devant Angers, mais y gagnerait plus – une place européenne – à tenter de battre le PSG, certes par trois buts d’écart, sur le dernier match de la J28.
Point positif : Illusion d’une saison complète.
Points négatifs : Les échantillons de matchs pour calculer ce quotient restent inégaux et injustes. Cela ne prend pas en compte la difficulté des calendriers de chacun ; tout ça pour ne rien changer au classement actuel ; problèmes de droits TV.
Bien avancés
Vous l’aurez compris, aucune solution voyant la Ligue 1 2019-2020 ne pas aller à son terme ne garantie vraiment l’équité et le « mérite sportif », surtout quand il est question de choisir les clubs qualifiés pour les prochaines compétitions européennes. Ceux-ci changent en effet drastiquement ne serait-ce qu’entre la J27 et la J28. Seul le scenario 1, dont on lit dans le Parisien qu’il est soutenu par Jean-Pierre Rivière et Jean-Michel Aulas, semble être à l’abris d’interminables débats. Néanmoins, il reste lui-même très hypothétique, tant la coordination qu’il suppose entre toutes les instances est complexe. D’ailleurs, le président de la FFF Noël Le Graët a écarté hier cette hypothèse après discussion avec l’UEFA à cause d’un problème de logistique des calendriers, les compétitions UEFA commençant en août. Cette « utopie » pourrait en revanche éventuellement revenir à l’ordre du jour si ces décisions gouvernementales se généralisaient.
Mais surtout, ce scenario suppose déjà qu’on puisse jouer au football en septembre.