Ricardo La Volpe est l’un de ces tacticiens qui fascinent mais qui divisent également. Au même titre qu’un Marcelo Bielsa, un débat sévit : est-il un génie ou un usurpateur ? Il est passé sur seize bancs différents en trente-six ans de carrière d’entraîneur et n’a dans son palmarès que deux titres, un championnat mexicain en 1993 avec Atlante et une Gold Cup en 2003 en tant que sélectionneur du Mexique. Une carrière de joueur insignifiante magnifiée par le sacre argentin au mondial 1978 où il était le gardien remplaçant. Une carrière d’entraîneur révolutionnaire mais excentrique et peu reconnue. Sa reconnaissance vient surtout de ses « disciples » comme Pep Guardiola, qui s’inspirent grandement des tactiques insufflées par La Volpe. Des idées fortes mais peu de résultats, Ricardo La Volpe serait-il avant tout un théoricien ?
La Volpe et son exigeante demande
L’entraîneur argentin à la moustache la plus emblématique d’Amérique du Sud a une tactique très stricte qui demande de la réflexion et un certain niveau technique aux joueurs. Ses entraînements ne sont que répétitions. Que la passe n’arrive pas ou qu’ils ne soient pas assez étirés sur le terrain, les joueurs doivent recommencer l’exécution jusqu’à ce que celle-ci soit parfaite. Pablo Lavallen, qui a évolué sous ses ordres à l’Atlas peut en attester :
« La méthode, c’était la répétition. Par exemple, on exécutait une chaîne de passes, et La Volpe corrigeait nos positions, nous replaçait, et on refaisait le même exercice jusqu’à atteindre la perfection. Mais attention, il ne s’agissait pas d’une répétition bête et méchante, on devait s’adapter aux mouvements de l’adversaire. En règle générale, on s’entraînait entre 2h30 et 3h30, d’une traite. On continuait jusqu’à temps que La Volpe soit satisfait. »
En plus d’une condition physique exemplaire, les joueurs de La Volpe devaient également posséder un QI foot et une technique au dessus de la moyenne. Pour lui, les joueurs doivent comprendre le jeu tout en étant réactifs et audacieux. Son style de jeu repose sur ses défenseurs, notamment centraux, qui se doivent de maîtriser parfaitement les fondamentaux de la demande de Ricardo La Volpe.
Une méthode très exigeante mais toujours suivie par l’ensemble de l’effectif, conscient qu’elle était bénéfique pour tous. Selon Pablo Lavallen, toujours, les joueurs paraissaient plus techniques qu’ils ne l’étaient réellement lorsqu’ils adhéraient à sa méthode. La demande intransigeante de l’entraîneur à l’ego bien gonflé ne doit pas obscurcir la révolution tactique dont il est l’auteur.
Les relances lavolpiennes
L’un des fondamentaux de la demande du technicien est la remontée de balle. En effet, son idéal est de sortir proprement et en supériorité numérique. Une pensée relativement simple mais une application plutôt complexe. Ricardo La Volpe ne joue que dans un seul système de jeu, le 3-5-2. En phase offensive, celui-ci s’articule de façon à ce qu’une ligne de trois se crée devant le gardien. Les deux centraux excentrés doivent alors s’espacer pour que les latéraux se retrouvent pistons. La supériorité à la relance est trouvée car aucune équipe ne presse avec trois attaquants, et grâce à une bonne occupation de la largeur pourtant difficile dans ce système.
Passer la zone de pressing adverse en avançant avec le ballon requiert une parfaite conducción (conduite). Cette idée est le fait de porter le ballon et fixer un adversaire pour qu’une zone se libère, une fois vide, elle sera prise par un coéquipier auquel la passe pourra être transmise. S’ajoute à cette conducción une recherche perpétuelle du troisième homme afin de pouvoir créer des circuits de passes.
Cette sortie permet de créer un espace derrière la première ligne de pression mais se révèle très exigeante. Une interception est vite arrivée et il faut donc de la concentration, de la compréhension et de la technique pour avoir l’audace de ce système. De l’audace, Ricardo La Volpe en a à revendre, et sa Coupe du Monde 2006 le prouve.
L’exemple du Mexique
Lors des huitièmes de finale, El Tri est opposé à la belle Argentine, maître de l’art du toque. N’ayant pas peur de son adversaire et avec la volonté d’être protagoniste du jeu, Ricardo La Volpe gagne la bataille idéologique en confisquant le ballon. Le match tactique durera jusqu’en prolongation où Maxi Rodriguez met fin aux espoirs de son compatriote assis sur le banc adverse. C’est d’ailleurs avec le maillot argentin que La Volpe apprit les bases sous les ordres de César Luis Menotti. Dans son pays natal, il ne connaîtra que très peu d’expériences : trois, dont une ratée à Boca.
Lors de ce mondial, le plus abouti au niveau du jeu pour la formation mexicaine, il peut s’appuyer sur la meilleure base défensive de sa carrière : Carlos Salcido, Ricardo Osorio et Rafael Marquez. Ces trois-là permettaient de ne jamais perdre le ballon au départ de l’action avec Salcido et Marquez qui s’espaçaient alors qu’Osorio faisait vivre le ballon entre les lignes. Personne n’avait osé prendre le ballon à l’Argentine de Pekerman et de Riquelme. Le Mexique l’a fait et de fort belle manière.
À la suite de l’élimination, une tribune est publiée sur El País louant les mérites du Mexique mais regrettant la faiblesse des attaquants comparativement aux défenseurs. Son auteur : Pep Guardiola. Il écrit que « la différence de niveau entre ses joueurs défensifs et offensifs est trop importante. Aucune équipe n’est arrivée autant de fois que le Mexique aux trois quarts du terrain. Et à cet endroit, tout s’est effondré systématiquement ». Selon le futur tacticien de Barcelone, l’équipe de La Volpe méritait de passer au tour suivant et cela aurait été le cas si tout l’effectif avait été au niveau des trois centraux.
La Volpe et ses disciples
Alors que Guardiola termina sa carrière aux Dorados Culiacan, au Mexique, il apprit à connaitre Ricardo La Volpe et son style de jeu incontournable. Il reconnaîtra plus tard s’être « inspiré de sa relance à trois ». En effet, s’il opte assez rarement pour un système de jeu à trois derrière, il est fréquent de voir sa sentinelle venir se placer entre les deux centraux. La recherche de l’homme libre est également un fondamental de la tactique « guardiolesque » et semble être, en partie, emprunté à La Volpe.
Comme Guardiola, d’autres élèves de « l’école lavolpista » sont devenus professeurs. C’est le cas, au Mexique, de Ruben Omar Romano, Daniel Guzmán, José Guadalupe ou encore Miguel Herrera, actuel sélectionneur d’une sélection du Mexique qui n’avait jamais été aussi belle depuis le départ de La Volpe. En Europe, hormis le surdoué catalan, Marcelo Bielsa est l’autre adepte reconnu. En bon extrémiste, il va même encore plus loin que son compatriote et aîné avec une défense à trois étirée, à laquelle s’ajoutent des latéraux qui viennent dans le cœur du jeu comme des relayeurs.
Pablo Lavallen, toujours dans ce champ lexical scolaire, dit que « La Volpe est l’université du football ». C’est dans ce rôle qu’il se plait. Il n’a peut-être pas l’armoire à trophée la plus fournie mais sa victoire réside dans celle de ses disciples. Quand Guardiola, Bielsa ou Herrera gagne, c’est un peu La Volpe qui gagne. Peu de résultats et un palmarès quasi-vierge, mais des idées fortes et du romantisme. Non, Ricardo La Volpe n’a rien d’un usurpateur. Ce n’est peut-être pas non plus un génie mais il est indéniablement un remarquable théoricien.