La formation de jeunes joueurs est un élément essentiel dans la constitution d’un ensemble cohérent, au niveau national, de joueurs de football. Afin de mieux comprendre le rôle des formateurs, et comment ils inculquent leurs principes de jeu, nous avons demandé à Julien Forget, responsable préformation au Nort AC, de nous expliquer les coulisses de son métier.
Bonjour Julien, merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview. En quelques mots d’abord, est-ce que tu peux te présenter ?
Julien Forget : Bonjour, Je m’appelle Julien Forget, 34 ans, je suis originaire de Sion les Mines, une petite commune de Loire Atlantique entre Nantes et Rennes. Je suis éducateur au club de Nort sur Erdre AC Football depuis août 2011 et cette saison, je suis responsable préformation. Je m’occupe des entraînements U12/U13 et U14/U15. J’ai en charge le samedi l’équipe U15 A qui évolue au niveau régional. Je suis en CDI à mi-temps au club depuis août 2019 et j’ai un autre travail à temps partiel où je fais de la logistique.
Comment est-ce que tu en es venu à entraîner des jeunes joueurs ?
J’ai très vite commencé à m’occuper des jeunes car j’ai passé mon JAT lorsque je devais avoir 16 ans. Le football étant ma passion depuis tout petit, j’essayais de passer le plus de temps possible sur le terrain et j’ai très vite aimé transmettre cette passion. De plus, les blessures m’ont éloginées des terrains dès mes 16/17 ans. Le rôle d’éducateur me permettait de continuer à garder contact avec le football.
Avant ce poste, est-ce que tu en as occupé d’autres ?
J’ai commencé à l’âge de 16 ans avec les débutants aux Voltigeurs de Châteaubriant (44) qui était mon club en tant que joueur. J’ai passé 3 saisons avec les débutants. Ensuite l’année où j’ai passé mon Initiateur 1, le club m’a proposé les U15B qui étaient en D1. J’ai occupé ce rôle pendant six saisons. Lors de la dernière saison aux Voltigeurs, je suis devenu en parallèle responsable de l’école de football de l’AS Retiers (35). J’y suis resté 5 saisons en étant responsable des séances le mercredi après-midi, en organisant quand je pouvais des mini-stages pendant les vacances.
J’ai continué à intervenir sur deux clubs durant toutes ces cinq saisons car après mon départ des Voltigeurs, je suis devenu responsable U15 à Nort sur Erdre. Depuis quatre saison, j’intervenais en plus sur les catégories U16, U17 et U18. Et donc depuis cette saison, la préformation, U12/U13 et U14/U15.
Comment est-ce que tu parviens à concilier la partie éducative, puisque tu es sur des jeunes joueurs, avec la partie entraînement et résultat ?
J’ai conçu dans le passé des séances non adaptées et je ne comprenais pas pourquoi ça ne marchait pas. J’essaye désormais de comprendre comment fonctionne un être humain et plus particulièrement un enfant pour offrir des contenus qui me semblent adaptés. Je pense que cet apprentissage est essentiel. Le développement des joueurs et des enfants est la priorité. L’objectif est bien sûr de former les joueurs pour qu’ils atteignent leur meilleur niveau, mais aussi et surtout de leur transmettre des valeurs.
Nous souhaitons que les enfants s’épanouissent à travers la pratique de leur sport, aux entraînements et en match. Le plaisir à pratiquer est essentiel pour leur progression et pour leur bien-être. On retrouve aussi beaucoup d’aspects de la vie dans le sport : la réussite, l’échec, le dépassement de soi etc. Cela leur permet d’apprendre à appréhender tout ça. Le résultat d’un match fait totalement partie du jeu. Nous aspirons à ce qu’ils comprennent ce résultat et qu’ils s’en servent pour avancer.
Est-ce que c’est pas un petit peu compliqué de parvenir à trouver le juste équilibre entre vision à long terme et immédiateté ?
Les résultats d’une équipe restent l’aventure d’une saison. Mais les victoires facilitent la bonne ambiance au sein de l’équipe. Les joueurs veulent gagner tous les matchs et c’est bien normal. J’ai par contre de plus en plus l’impression qu’ils aiment gagner facilement. A nous de leur donner le goût de l’effort, de la victoire dans la difficulté et de leur apprendre à se battre pour qu’ils aillent chercher le meilleur d’eux-mêmes car pour moi c’est le plus important. Est-ce qu’être meilleur qu’un autre est le plus important alors que je pourrai encore faire mieux ?
Ils ont besoin d’objectifs à court terme pour qu’ils puissent visualiser leur progression. Mais il faut aussi leur dire que ce n’est pas la finalité et qu’il faut aussi voir plus loin et qu’on définisse ensemble leurs objectifs à moyen et long terme.
Comment est-ce que tu définirais ton identité de jeu ?
Tout d’abord je pense que mon idée du jeu évolue sans cesse. Lorsque j’ai commencé, j’étais jeune et j’avais en charge une équipe B, donc je reprenais l’identité de jeu de l’équipe A et du club en général. En changeant de club et en devenant responsable de catégorie, j’ai commencé à réfléchir au jeu par moi-même. J’ai voulu mettre en place un jeu dans lequel je me reconnaissais. De plus j’ai commencé à lire pas mal de livres, à regarder ce qui se passait ailleurs et à échanger avec beaucoup de personnes. Comme je continue cet apprentissage, ma vision évolue.
En ce moment, je dirai que j’aime avoir une équipe qui a beaucoup le ballon, qui cherche des solutions à ce que propose défensivement l’adversaire. Je veux des joueurs qui soient le plus autonomes possible sur le terrain pour s’adapter à la situation. Les joueurs cherchent des situations avantageuses pour avancer avec le ballon et au final se créer des occasions de but réelles. Je souhaite avoir une équipe protagoniste, pas une équipe qui attend simplement l’erreur de l’adversaire. Pour cela, j’aime les sorties de balle propre car je pense qu’il est plus facile de se créer des occasions quand la sortie de balle est bien organisée et qu’on a la maîtrise du ballon.
C’est-à-dire ?
Il faut manipuler l’adversaire pour lui faire croire que quelque chose va se passer alors qu’on prépare l’inverse. C’est important que tous les joueurs soient actifs à tous moments car ils ont en permanence quelque chose à faire pour l’équipe. Comme j’aime quand mon équipe à le ballon, je souhaite que mes joueurs pressent l’adversaire dès la perte du ballon. Quand nous n’avons pas le ballon, l’objectif est de le récupérer le plus vite possible. Après, ils nous arrivent que l’adversaire nous empêchent de pouvoir mettre tout cela en plus. Comme nous entraînons des êtres humains, il faut aussi comprendre que notre propre équipe peut ne pas réagir comme on avait prévu les choses. Il faut accepter de ne pas pouvoir tout maîtriser dans un match. Je citerai ici Mario Enguidanos qui dit qu’un entraîneur ne doit pas avoir peur de ne pas contrôler toutes les situations de jeu pendant un match.
Quels sont les aspects les plus importants pour toi chez un joueur ?
Je dirais l’intelligence de jeu en premier. Si on veut avoir une équipe qui joue bien, il est essentiel d’avoir des joueurs qui comprennent les situations. Après bien sûr, il faut que les joueurs puissent exécuter ce qu’ils souhaitent entreprendre. L’idée ensuite est de faire vivre à ces joueurs un maximum d’expériences différentes à l’entraînement pour qu’ils puissent ensuite les résoudre en match.
Est-ce que tu as déjà eu à faire face à des joueurs réticents, rétifs à tes idées ?
Oui, évidemment. C’est parfois difficile de les convaincre, de les séduire. Surtout avec des jeunes de douze à quinze ans qui peuvent entendre un autre discours à la maison. Ce que les autres pensent d’eux est très important, alors si en plus les résultats ne sont pas tout de suite présents… Beaucoup de personnes n’analysent que le résultat final du match. J’ai aussi certaines fois trop voulu que les joueurs s’adaptent individuellement à ce que je voulais. Parce qu’ils jouaient à un poste, je souhaite qu’ils jouent de telle manière. Cela ne pouvait malheureusement pas fonctionner et c’était de ma faute. A moi de trouver les forces du joueur et de le mettre dans les meilleures dispositions par rapport à ses qualités, tout en gardant mon idée de jeu. Je pense que les séduire deviendra ainsi plus facile car sur ses qualités, il a plus de chance d’être en réussite.
Est-ce que tu gardes un regard particulier sur les joueurs que tu as laissé partir dans les catégories supérieures ?
Je vois régulièrement les matchs des catégories supérieures car ils jouent généralement après nous. Cela permet de voir leur évolution. Je trouve important à ce sujet qu’ils aient un autre éducateur qui va leur apporter autre chose, avoir un autre discours. Et cet éducateur va avoir une autre vision du joueur et peut-être voir des choses que je n’avais pas ressenti. Par contre, il faut que la vision du jeu soit la même. La difficulté, c’est d’avoir une véritable identité de jeu commune d’une catégorie à l’autre. Cela me paraît essentielle pour un club mais cela reste difficile à mettre en place.
Parmi tous ceux qui te sont passés par les mains, un dont tu es fier ? Une génération qui t’a marqué ?
Je me dis chaque saison que si j’avais su tout ce que je sais maintenant, avec la ou les générations précédentes, on se serait entraîné et on aurait joué différemment et plus progresser. Et comme le savoir est infini et l’évolution permanente, je me dirais la même chose dans un an. Ces passages ont été néanmoins essentiels pour arriver à ma vision du moment. C’est toujours agréable qu’une génération adhère au message et que ça porte ses fruits. J’ai particulièrement aimé travailler avec certains joueurs ayant la même sensibilité du jeu que moi. J’espère avoir apporté quelque chose à chaque génération car eux m’ont beaucoup apporté chaque saison.
Comment est-ce qu’en tant qu’éducateur on parvient à mettre en phase sa philosophie avec les différentes maturités physiques des joueurs selon leurs morphologies, leurs mois de naissance, etc. ?
A vrai dire, je ne fais pas forcement attention à tout cela, car ce que je regarde en premier, ça va être l’intelligence de jeu du joueur. D’ailleurs dans notre équipe cette saison, on retrouve des très grands et des très petits. Si un joueur comprend ce qui se passe sur le terrain, participe activement au jeu de l’équipe, peu importe qu’il soit grand ou petit… Lors d’un podcast que j’ai écouté il y a peu, Pierre Mazet citait Oscar Cano pour dire « qu’il fallait repenser la complémentarité et qu’il était préférable de la penser en terme de similitude. » Cela me semble intéressant comme idée. Mettons en même temps sur le terrain des joueurs qui se comprennent, peu importe leurs morphologies.
Est-ce que tu as des modèles pour le poste d’entraîneur mais aussi pour celui d’éducateur ?
J’ai été bercé par le jeu à la Nantaise quand j’étais petit, donc je dirais Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix qui étaient non seulement des entraîneurs mais aussi des éducateurs. Sinon je citerai Johan Cruyff, Pep Guardiola ou Marcelo Bielsa.
Et j’ai pu rencontrer lors de conférence ou sur Twitter beaucoup d’éducateurs très compétents qui m’ont beaucoup inspiré et donné beaucoup d’idées. Nous avons eu des échanges passionants.
C’est quoi pour toi un match référence ? Est-ce que tu as un exemple ?
Pour moi, un match référence serait un match où les joueurs ont trouvé tout seul les solutions aux problèmes posés par l’adversaire. Cependant, il faut savoir analyser ce qu’on pourra en retirer pour la suite car le prochain match se jouera face à un autre adversaire, dans un autre contexte et nos joueurs seront aussi peut-être dans d’autres dispositions. On dit souvent qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Je pense plutôt qu’il faut trouver l’équipe qui appréhendera au mieux le prochain match qui se jouera dans un contexte différent. Pour l’anecdote, je me rappelle d’un match de coupe contre une équipe qui jouait 2 divisions au-dessus de nous. Nous étions menés 1-0 à la mi-temps. En discutant avec les joueurs durant la pause, on a décidé de mettre des choses offensives en place par rapport à la façon de défendre de l’adversaire. Cela s’est bien déroulé car on gagne le match 4-2. Mais c’était la vérité d’un seul match.
Enfin, pour terminer, trois questions très rapides : Ton équipe de cœur ?
Le FC Nantes ainsi qu’une affection toute particulière à FC Schalke 04
Ton premier match au stade ?
FC Nantes – Valenciennes en Mai 1993 à la Beaujoire, victoire de Nantes 3-1.
Un joueur qui t’as inspiré et qui t’a donné envie d’aimer le football ?
J’étais fan de Tomas Brolin et Kennet Andersson à la Coupe du Monde 1994 car cela fait partie de mes premiers souvenirs football à la TV. Puis Zidane. Et Johan Cruyff m’a donné envie d’aimer encore plus le football plus tard.
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