Ernesto Guevara, dit le Che, au cours de ses trente-neuf années sur terre, s’est toujours montré fervent amateur de sport. De rugby, d’abord, sport où il s’est illustré. D’échecs, où son esprit hors pair se montre à son excellence. Et, entre autres sports, de football. Lié d’amitié avec Alfredo Di Stéfano, il montre cependant tout son amour pour un autre joueur : Enrique Garcia, le Chueco.
Magicien
Enrique Garcia, Chueco Garcia pour les intimes, tient son nom de ses jambes un petit peu tordues. Né en 1912 à Santa Fe, il commence très jeune sa carrière au Brown, un petit club de sa ville natale. Pendant deux ans, dans l’anonymat complet, avec à peine quelques centaines de supporters sur le bord du terrain, il se révèle comme un formidable attaquant à la qualité de dribbles chaloupés inégalée. Avec un pied gauche très fin, il affole les défenses de la région et offre de nombreux buts à ses coéquipiers, quand ce n’est pas lui qui les marque. Mais ce qui lui plaît le plus, c’est le dimanche d’aller supporter avec ses amis son club de cœur , l’Union de Santa Fe. Supporter inconditionnel d’un des deux grands clubs de la ville, il rêve de porter un joueur les couleurs rouges et blanches de l’Union.
Mais le destin est un malin farceur, et Enrique Garcia signe chez le grand rival, le Gimnasia y Esgrima à l’hiver 1931, après deux ans au Brown de Santa Fe. Dès sa première saison, la première de l’histoire de la Liga Santafesina, le Chueco va s’illustrer sur son couloir gauche, et son équipe avec lui. Premier au classement, le club ne concède que neuf buts en dix rencontres, en marque trente-six et s’impose à tous les matchs. Logiquement, le Gimnasia est l’équipe sensation de la Liga Santafesina. Aujourd’hui, le Gimnasia végète dans les profondeurs de l’ascenseur sportif argentin, dans une Liga Santafesina qui n’a pas le prestige de l’époque. Et les supporters les plus âgés se souviennent encore de leurs pères s’enthousiasmant devant les performances de leur ailier gauche qui aurait pu devenir une légende du club.
Dribbler
Aurait pu. Parce que le Chueco ne se sent pas à l’aise au Gimnasia. Il n’aime pas ce club, et il ne l’a jamais caché. Alors quand au détour de l’année 1932 le Rosario Central lui propose de rejoindre ses rangs, Enrique Garcia n’hésite pas une seule seconde. Bien sûr, il est d’accord pour rejoindre Rosario. Che Guevara, qui est de 1928, ne le connaît finalement que très peu, mais assez pour se rendre compte du talent de ce joueur. Heureusement pour l’histoire, Enrique Garcia reste quand même trois ans au Central, le temps pour Ernesto Guevara d’aller le voir le Fenómeno affoler tous les défenseurs adverses. Il n’y a pas que le jeune Che qui se voue d’amour pour Enrique. Il y a aussi Osvaldo Bayer, l’historien, journaliste et écrivain argentin, et personnalité politique assez importante de la deuxième moitié du vingtième siècle en Argentine.
« Quelles pirouettes du Chueco, quels effets et talonnades merveilleux, quels dribbles précis ! »
– Osvaldo Bayer
Sous les couleurs du Central, il joue une centaine de matchs officiels et marque près d’un but tous les trois matchs, mais surtout, il découvre, au cours de l’année 1935, la sélection argentine. Avec l’Albiceleste, il remporte ses premiers – et seuls – titres majeurs. Véritable poète sur son aile gauche, en club comme en sélection, il est courtisé par les plus grands clubs du championnat. C’est l’Independiente qui se montre le premier intéressé, avec une offre d’environ 30 000 pesos argentins, une somme colossale à l’époque. Après de longues et tumultueuses discussions, le Rosario Central décide de décliner l’offre. Mais cela ne sera que partie remise. Le club de Rosario sait qu’il ne peut pas conserver éternellement un joueur aussi courtisé, surtout avec l’apparition des premiers gros transferts.
Meilleur qu’hier
C’est finalement le Racing Club qui parvient à emporter l’enchère. Le club de la banlieue de Buenos Aires se distingue en payant – très précisément – 38 931 pesos argentins pour s’attacher les services d’Enrique Garcia. C’est alors le plus gros transfert de l’histoire du championnat argentin. Le Racing ne regrettera jamais son investissement. Pendant huit années, le Chueco va illuminer toute la ville de son talent. Il dispute plusieurs centaines de matchs (*), et marque des buts à la pelle (**). Son talent conduit le Grafico, en mai 1940, à le qualifier de termes élogieux.
« Nous avions un ailier qui savait dribbler sur son aile : Onzari. Nous en avons eu un qui faisait parler sa puissance : Orsi. Et nous en avions beaucoup comme Carricaberry, Guayta, Lauri, Tarasconi, beaucoup, beaucoup, mais un jour El Fenomeno [Enrique Garcia, ndlr] est arrivé et les a tous battus. Il a été mis hors compétition. C’est différent. Il a le meilleur de tous. Il dribble dans la surface, pénètre jusque dans l’axe, tire, joue, danse, adoucit le jeu, le froisse, le rétrécit, le rend fou. Et tout cela avec une seule jambe. C’est tout. De l’autre côté, il a une canne. Et il n’a besoin de rien d’autre. Une béquille à droite et ce pied gauche qui en vaut deux, qui tricote, brode et fait des vers ».
– El Grafico, numéro 1090, mai 1940
En 1944, ce joueur fabuleux qui a vu le pic de sa carrière être réduite à néant au niveau international du fait de la guerre, met un terme à sa carrière. Il laisse derrière lui une tripotée de sélections (trente-cinq, neuf buts). Un joli palmarès aussi, avec notamment deux Copa América. Et l’image d’un des meilleurs ailiers gauche du Brésil. Lors de son décès à cinquante-six ans en 1969, l’Argentine pleure un de ses plus grands joueurs. Le magicien de l’aile gauche.