L’Italie, le pays du catholicisme. Troisième pays mondial avec le plus de Catholiques dans ses rangs, le premier européen. Roberto Baggio y est né en février 1967 dans une famille très croyante. S’il est venu au monde, c’était avant tout pour devenir un nouveau dieu de la mythologie romaine. Il s’est finalement retrouvé maudit. Un ange déchu, devenu roi de province alors qu’il était destiné à régner dans les plus grandes chapelles transalpines.
Baggio, Dieu du football…
Baggio avait tout pour rentrer au Panthéon du football – s’il n’y figure pas déjà – au même titre que Pelé, Maradona ou Cruyff. Très technique et rapide, il faisait gagner ses équipes à lui tout seul, le fuoriclasse par excellence. Ronaldo a dit de lui qu’ « il est fantastique. J’ai déjà joué avec beaucoup de grands joueurs mais aucun n’était comme lui. Si intelligent, si bon, si fort ». Comme R9, tous ou presque sont tombés sous le charme de Robigol après l’avoir côtoyé, affronté ou admiré.
L’écrivain Ray Bradburry disait que «l’intellect est un grand danger pour la créativité […] Il ne faut jamais réfléchir à la machine à écrire, il faut ressentir». El Divin Codino (le divin à queue de cheval, surnom et nouvelle comparaison divine) mettait parfaitement cela à exécution sur le terrain vert. Il ne réfléchissait pas, il sentait. Du simple mauvais placement adverse jusqu’à l’appel d’un coéquipier pourtant dans son dos, Baggio voyait tout. Une sensation de facilité illustrée lors de son but face à la Tchécoslovaquie en 1990 où il passa en revue tout la défense adverse en partant du milieu de terrain.
Durant vingt-deux ans de carrière, il fut adulé partout où il allait. En 1990, il emmène la Fiorentina en finale de la Coupe UEFA face à la Juve. Les Turinois s’imposent et officialisent le lendemain l’arrivée de Baggio qui n’en revient pas d’être vendu pour des raisons économiques. Les tifosi manifestèrent durant plusieurs jours en demandant la tête du président de La Viola et le retour du prodige. Ses buts, ses passes et ses dribbles élégants les avaient rendus fous. Ils firent de même à Turin, à Milan (AC puis Inter), à Bologne et à Brescia. Durant cette carrière il remporta le Ballon d’Or 1993, deux championnats, une Coupe UEFA et une d’Italie.
… pourtant maudit
À cela, il aurait pu ajouter le mondial 1994. En effet, il porte l’Italie, d’abord en huitième en marquant un but synonyme de prolongation face au Nigeria, puis en quart en mettant le but victorieux contre l’Espagne et enfin en finale en inscrivant un doublé contre la Bulgarie. Seulement, une image ressort de cette compétition et a mal vieilli avec le temps. Celle de Baggio, seul, mains sur les hanches, baissant la tête. Il vient alors de manquer le tir au but décisif lors de la finale face au Brésil. Le premier et le dernier de sa carrière.
Ce tir au dessus de la transversale du stade californien Rose Bowl restera tragiquement comme le moment marquant de son histoire footballistique. Néanmoins, il est nécessaire de noter que comme beaucoup de matchs dans sa vie, il a joué cette finale blessé. En effet, Baggio était très fragile. Il a connu six opérations au genou qui l’empêchaient carrément parfois de marcher après l’entraînement. Dès ses 18 ans, une blessure au ménisque et aux ligaments croisés de sa jambe droite lui a valu 220 points de sutures !
Si le journaliste italien Paolo Levi voit ça d’un point de vue optimiste : « les injections de ce genou brinquebalant dessineront sa légendaire élégance sur le terrain », ce n’est pas le cas du principal intéressé. Baggio s’est souvent plaint d’avoir commencé sa carrière trop tôt. « Ma carrière a toujours été conditionnée par les blessures. On m’a forcé à mener une carrière trop précoce, ce qui m’occasionne des problèmes difficiles à combattre à mon âge », dit le virtuose qui commença à seulement 15 ans au niveau professionnel !
Une relation complexe à l’Olympe
La villégiature des dieux cache bien des choses en son sommet. L’Italie est semblable au jardin des divinités grecques. Seul changement : pas de Zeus ou de Poséidon mais les numéros 10 du football. En plus de Baggio, on peut nommer pêle-mêle Mazzola (père et fils), Rivera, Zola ou Totti, auxquels on peut ajouter Platini, Maradona ou Zico venus poser leurs valises sur la Botte. Baggio était comme eux, une idole, un apôtre, un prophète. Mais était aussi un ermite qui pensait n’avoir besoin de personne pour réussir. Un numéro 10 donc.
L’Italie semble être le Jardin d’Eden de cette frange de joueurs aussi fantasques que justes. Néanmoins, ce n’est pas vraiment le cas de l’Italie des années 90 où l’on voue le culte tactique et physique. Marcelo Lippi le trouvait trop frêle et trop libre. Sacchi, comme plus tard Ancelotti, ne le voyait pas rayonner sous son schéma. Rien de plus logique, Robi n’était pas un joueur de système ou de pressing, il était un numéro 10. Sa relation avec les autres membres de l’Olympe, les tacticiens, fut mouvementée tout au long de sa carrière.
Il a toujours déclaré que « le football moderne est de plus en plus dominé par les entraîneurs et leur narcissisme de se mettre au dessus de l’équipe et de leurs joueurs ». Une pique à Sacchi qui se transforma en affrontement lorsque ce dernier le remplaça la vingtième minute du premier match du mondial car le gardien italien s’était fait expulsé. Il trouve que les entraîneurs se sont distancés du talent des meneurs de jeu, lui qui ne voulait jouer qu’à ce poste. L’Odysée de Baggio fut tragique mais charmante. Heureux qui comme un 10 a fait un beau voyage.