Un rêve qui est presque devenu réalité. Nous sommes le 23 octobre 1956, les chars soviétiques rentrent dans Budapest et répriment la Hongrie en même temps qu’ils mettent fin à la meilleure équipe de l’Histoire (selon une étude de la BBC). L’âge d’or de cette équipe parait bien loin tant le chaos règne au pays. Pourtant, quatre ans auparavant, elle remporte les Jeux Olympiques à Helsinki face à la Yougoslavie dans une affiche qui s’apparentait plus à la politique qu’au sportif. Une victoire qui prouve la puissance de l’Aranycsapat (« onze d’or » en hongrois) qui n’a plus perdu depuis 1950. Ils garderont cette invincibilité jusqu’au mondial 1954, soit trente et une rencontres sans défaite ! C’est donc logiquement en grands favoris que les hommes de Gustáv Sebes arrivent au mondial Suisse.

Le match du siècle

Avant d’aller en Suisse, les Hongrois passent par Londres en novembre 1953 pour affronter l’Angleterre. Les Three Lions jouent, comme toutes les équipes de l’époque, en WM. Les cinq joueurs défensifs forment un W et les cinq de devant, eux, un M. Gustáv Sebes veut rompre avec la rigidité de ce schéma tactique et aborde ainsi les matchs avec un onze audacieux qui s’apparente à un 3-2-5 et se transforme en 4-2-4. Le système du WM permettait aux équipes de se calquer les unes sur les autres pour savoir quel joueur marquer. La tactique hongroise sert à se démarquer du marquage individuel.

Face aux Anglais, Hidegkuti, en premier faux numéro 9, décroche tout le match et crée des trous béants dans la défense adverse. Johnston, le défenseur chargé de le marquer, ne sait pas où donner de la tête. La Hongrie gagne 6 à 3 et cette leçon tactique change ce sport à tout jamais. Stanley Matthews, acteur impuissant de la débâcle dira que « l’histoire du football s’est écrite devant [eux] ». La dimension idéologique est importante entre un régime communiste et un pays impérialiste. Le cinéaste Jean Luc Godard déclara même : « Est-ce que le communisme a existé ? Oui, pendant deux fois quarante cinq minutes, à Wembley, lorsque la Hongrie a battu l’Angleterre ».

Avant le coup d’envoi, Puskás, numéro 10 floqué sur sa tunique rouge, jongle nonchalamment dans le rond central comme pour montrer que rien ne faisait peur à ces Hongrois. C’est avec cette confiance en eux qu’ils abordent la Coupe du Monde 1954 et qu’ils impressionnent au premier tour. Deux victoires en autant de rencontres (9-0 face à la Corée du Sud et 8-3 contre la RFA), dix-sept buts inscrits, onze de Kocsis et Puskás. Seul point noir, ce dernier sort blessé face à l’Allemagne de l’Ouest et sera forfait pour le quart et la demi. Cela permettra à Hidegkuti de prendre la lumière, pour une fois, car il brillera lors des deux matchs respectivement face au Brésil et à l’Uruguay.

Le quart de finale se dispute donc face aux Auriverdes qui jouent en WM et se reposent sur un jeu individuel. En attente d’exploits, les brésiliens ne se comportent pas en équipe comme leurs adversaires. Le match est âpre, la Hongrie est chahutée tant le Brésil joue dur. Ce qu’on appelle aujourd’hui la « bataille de Berne » se finit avec dix Hongrois, neuf Brésiliens et des bagarres jusque dans les vestiaires. Joueurs, staffs, supporters, journalistes et photographes y participent avant que la police n’intervienne. Bilan : quarante-deux fautes, deux penaltys sifflés et cinq blessés dont Gustav Sebés lui-même qui écope de quatre points de suture au visage.

Hongrie-RFA, la fin du rêve

Un match physique mais remporté par les romantiques hongrois (4-2). Fatigués de ce quart de finale, ils doivent tout de même encore se défaire de l’Uruguay. La Céleste, championne du monde en titre, est encore meilleure que le Brésil et, encore une fois, la Hongrie peine à trouver son rythme. Contrairement au Brésil, l’Uruguay joue le même football que la Hongrie. Ce qui rend le match bien plus agréable à regarder que celui du tour précédent. À la fin du temps réglementaire, le score est de deux buts partout. Les deux pays doivent retenir leur souffle trente minutes de plus et ce sont les Magyars qui pourront relâcher la pression après les deux coups de boule de « Casque d’or ». En effet, Sándor Kocsis s’envole par deux fois dans le ciel suisse et envoie son pays en finale afin de retrouver l’Allemagne de l’Ouest.

Ferenc Puskás, blessé lors des deux matchs précédents, joue la finale sur une jambe. En plus de cela, l’Aranycsapat arrive fatigué face à la RFA. La faute, sûrement, à Gustav Sebés qui n’a quasiment pas changé son onze titulaire durant la compétition. En parallèle, Sepp Herberger, le tacticien allemand, a mieux géré son effectif, quitte à connaitre une débâcle au premier tour… face à la Hongrie. Le match commence toutefois idéalement pour ces derniers qui mènent très vite 2-0.

C’était avant que le « miracle de Berne » ne débute. Une pluie violente s’abat sur la capitale helvète, les Hongrois touchent plusieurs fois les montants et se font bousculer par les allemands qui recherchent les duels. Morlock et Rahn, par deux fois, marquent et font plier les invincibles Magyars. Puskás se verra refuser un but en fin de match pour un hors-jeu – dont même la VAR ne saurait prendre la bonne décision –, signe que rien n’allait dans leur sens dans cette finale. Une défaite jugée injuste, encore aujourd’hui, suite aux soupçons d’injections d’amphétamine des joueurs de la RFA. Gustáv Sebes voulait une victoire du jeu sur le physique. En plein contexte de Guerre froide, c’est en tout cas la victoire symbolique du Bloc de l’Ouest sur celui de l’Est.

Répression en Hongrie, le rêve éclate

Après le mondial, le régime soviétique prend ses distances avec les hommes de Sebes. Tandis que Grosics est interdit de sélection durant deux ans pour ses convictions catholiques et anticommunistes. De plus, d’autres joueurs comme Hidegkuti ou Czibor étaient également sceptiques à l’idéologie communiste. L’équipe enchaînera tout de même dix-huit matchs sans défaite, sans la même envie, jusqu’au 23 octobre 1956, lorsque les chars soviétiques mettent définitivement fin à l’Aranycsapat. La Hongrie était un pays communiste qui n’avait pas vocation à l’être. Le « onze d’or » était une équipe d’artistes sous la tutelle d’un régime autoritaire.

Le sociologue, Miklós Hadas, dit d’ailleurs que « le succès de cette équipe résulta d’un subtil mélange de discipline et de créativité, très typique d’une société stalinienne totalitaire mais où les individus, entraîneur en tête, conspirent de manière surréaliste afin d’affirmer leur liberté ». Au pays, deux ans après le mondial, la population s’est également battue pour cette liberté. Des manifestations d’abord menées par les étudiants et intellectuels avant qu’une grande partie du peuple n’y prenne part comme en témoigne l’affluence de 200 000 personnes devant l’esplanade du Parlement. Cette foule, le 23 octobre, ira démolir une gigantesque statue de Staline avant d’aller à la Radio Hongroise afin de faire lire les seize mesures politiques et économiques souhaitées.

C’est lors de cette intrusion que les chars déployés sur place ont fait feu. Le lendemain, Khrouchtchev donne l’ordre d’entrer dans Budapest et de commencer le conflit armé. Une lutte entre la milice soviétique et les manifestants hongrois qui se poursuivra, officiellement, jusqu’au 10 novembre. Elle fera 2 652 morts du côté de la résistance, 720 du côté soviétique. La répression mettra fin à cette résistance mais cet événement est marquant puisque c’est la première fois qu’un pays du bloc de l’Est manifeste contre l’URSS jusqu’à ce que celle-ci intervienne militairement. Gustáv Sebes dit à propos de cela que « si la Hongrie avait gagné la Coupe du Monde, il n’y aurait pas eu de contre-révolution, mais une foi durable dans le développement du socialisme dans ce pays ».

L’équipe se voit divisée puisque la plupart des joueurs passent à l’Ouest, Puskás à Madrid et Kocsis à Barcelone notamment. Une dernière lutte face au régime car les joueurs de cette génération dorée hongroise était plus que d’excellents footballeurs, ils étaient le symbole de l’unique espoir hongrois. Ce pays d’artistes sous la domination de son impitoyable grand frère qui était bien moins romantique, sur comme en dehors du rectangle vert. Malheureusement pour eux, ce rêve s’envola, d’abord à Berne, puis à Budapest.

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"Le football est un jeu qui se pratique avec le cerveau.Ce n'est pas le joueur qui doit courir, c'est le ballon" Johan Cruyff.