Lorsqu’en 1987 Silvio Berlusconi nomme Arrigo Sacchi à la tête de l’AC Milan, c’est l’incompréhension chez les supporters Rossoneri. En effet, lors de l’arrivée de l’homme politique un an plus tôt, il leur promet de remettre le club sur le devant de la scène. Or, Sacchi n’est alors qu’un jeune entraîneur avec pour seule expérience deux petites années sur le banc de Parme et est loin d’être celui que l’on surnommera plus tard le « mage de Fusignano ». Durant quatre ans, Sacchi donna raison à son président, remettant le Milan en haut de l’affiche mais surtout en révolutionnant le football. Retour sur son expérience milanaise et sur la révolution qu’il a mené au cœur du pays du Catenaccio.
Sacchi ou l’art de se démarquer
On ne vous apprendra rien en écrivant que Silvio Berlusconi avait la volonté de toujours se démarquer des autres. Arrigo Sacchi est également de cette trempe et le prouve lorsqu’il dit, en 1990, que « l’Italie a une culture défensive […] Je sais déjà que personne n’oubliera Milan. Dans dix, vingt ou trente ans, on se souviendra de cette équipe qui jouait dans l’esprit. C’est un style conquérant, offensif que l’on gardera en mémoire ». Berlusconi et lui arrivent dans un club qui n’a ni gagné de compétition européenne depuis 1973 ni de Serie A depuis 1979. Et, ensemble, ils vont glaner huit titres en quatre ans.
En plus de ces huit trophées (un Scudetto et deux Coupes des clubs champions notamment), c’est le jeu qui fait du Milan de Sacchi l’une des meilleures équipes de l’Histoire. Lorsqu’il arrive sur le banc lombard, l’équipe est imprégnée de la tradition italienne. C’est-à-dire avec le marquage individuel mais aussi avec la défense à trois et l’importance du libéro. Sacchi décide de passer à quatre derrière, instaure la défense en zone et met donc fin au poste de libéro, qui ne peut exister que par le biais d’un marquage individuel.
1989, l’année parfaite
Sacchi connait des débuts compliqués. Ancelotti, qui était à ce moment joueur milanais, explique à ce propos que « les six premiers mois ont été difficiles car il voulait transmettre des idées auxquelles nous n’étions pas habituées ». Mais peu après, le Milan remporte le Scudetto en 1988. Néanmoins, c’est l’année suivante que la méthode Sacchi porte ses fruits sur la scène européenne. En effet, en 1989, l’équipe remporte sa première C1 depuis vingt ans et illumine l’Europe entière par son jeu. Un mélange italien et néerlandais qui sait tout faire autant au sol que dans les airs.
La double confrontation face au Real Madrid en demi-finale (1-1 au Bernabéu, 5-0 à San Siro) impressionne l’Europe et prouve à l’Italie qu’il est possible de gagner avec une défense en zone. Le pressing milanais est suffoquant et le Real n’arrive pas à s’en défaire. Quel que soit le score, lorsque le ballon est dans les pieds adverses, l’équipe de Sacchi doit le récupérer. L’exemple le plus flagrant est la pression mise par Ancelotti et Rijkaard lors de la remise en jeu du cinquième but milanais au match retour.
En 1990, Milan remporte pour la deuxième fois consécutive la Coupe d’Europe des clubs champions. Seulement, le succès est moins joli. Il y a des matchs fermés, d’autres moins maîtrisés que l’année précédente. C’est notamment le cas de la demi et de la finale, respectivement face au Bayern (2-2 qualification grâce au but à l’extérieur) et face à Benfica (1-0). De plus, quelques animosités se font ressentir dans un vestiaire usé par les strictes méthodes de Sacchi. Van Basten dit d’ailleurs que « c’était dur d’évoluer sous ses ordres car c’était un perfectionniste qui demandait qu’on donne tout à chaque entraînements ». Des séances qui sont passées de quatre par semaine à deux par jour lors de l’arrivée de Sacchi.
Sacchi se repose sur ses lieutenants
Arrigo Sacchi est l’homme d’un système, le 4-4-2. Malgré cette base fixe, Milan est capable de s’adapter à n’importe quelle situation. « Notre système, c’est le mouvement, pas le 4-4-2. Quand on attaquait, c’était en 4-1-5, un 3-1-6. Quand on défendait, on était en 5-4-1 ou en 5-3-2 », explique le coach italien. Pour réaliser ces changements en cours de match, il fallait s’appuyer sur des joueurs qui les assimilent. Or, on sait que dans le choix des joueurs, il a toujours privilégié l’intellect au talent. Le « Grand Milan » est un savant mélange d’intelligence tactique et de talent pur avec Franco Baresi, Carlo Ancelotti, Frank Rijkaard, Roberto Donadoni, Ruud Gullit et Marco Van Basten.
Baresi est le véritable leader de la défense. Son adaptation dans son nouveau rôle de central est notable puisqu’il était auparavant libéro. Ancelotti est, lui, la tête pensante du milieu en parfait complément de Rijkaard. Ce dernier, justement, est un travailleur de l’ombre qui équilibre l’équipe par son talent de récupération. Devant lui, Donadoni est doué d’une grande technique qu’il allie à une science du jeu impressionnante. Enfin, les deux de devant sont indissociables tant leur complémentarité est aussi grande que leur talent.
Dans son 4-4-2, il y a une réelle importance des joueurs et de leur imagination mais toujours en rapport avec le schéma initial. Maldini et Tassoti peuvent faire ce qui les inspirent sur leur aile respective à condition qu’ils restent sur cette partie du champ de jeu. Sacchi ne limite pas l’imagination mais évite seulement l’anarchie.
La révolution du marquage
En 1988, Milan remporte le Scudetto grâce notamment à une victoire (2-3) face au Naples de Maradona et Bianchi. Cette victoire est emblématique puisque Sacchi fait de l’équipe napolitaine le symbole de ce qu’il combat. Ottavio Bianchi utilise le marquage individuel et compte beaucoup sur l’unique talent de Maradona en phase offensive. Le loquace coach milanais déclare que « c’était l’opposition de deux styles. D’un côté, l’improvisation, le brouillon autour d’une individualité, et de l’autre une équipe ». Ce soir là, Sacchi se détache complètement du marquage individuel. En effet, il décide de ne pas mettre de joueur précis au marquage de Diego Maradona. Car ne pas le faire pour un tel phénomène prouve qu’il ne le ferait pour aucun autre joueur.
Durant les quatre années passées à la tête du « Grand Milan », Sacchi mena la plus grande révolution défensive de l’histoire du football. Dans une Italie marquée par le Catenacio, il décida d’y instaurer un marquage en zone. Cette méthode défensive, admettant que chaque joueur a une zone à couvrir et non pas un joueur spécifique à marquer, divisa grandement les amateurs de football -italiens ou non- à la fin du vingtième siècle.
Protagoniste du jeu en défendant
Le Milan d’Arrigo Sacchi est l’une des seules équipes que l’on qualifie d’offensive d’abord pour sa manière de défendre. Grâce à son animation globale, il prouve qu’il est possible d’attaquer même sans le ballon. En effet, le bloc positionné très haut permet soit de jouer le piège du hors jeu, soit de récupérer le ballon grâce au pressing. L’alignement défensif est fondamental car le hors-jeu passif, encore sifflé à cette époque, permet une récupération rapide et haute. À l’aide des principes défensifs de Sacchi, le pressing du Milan est plus organisé et plus équilibré que celui de l’Ajax des années 70, qui était un modèle du genre.
Le piège du hors-jeu théorisé par Sacchi demande une parfaite coordination des joueurs. Une chose complexe qui parait pourtant simple lorsque l’on regarde leurs actions. Le bloc remonte tel un seul homme dès que Baresi en a donné l’ordre. Le porteur adverse se retrouve soudain avec six milanais autour de lui et avec comme seules solutions, la passe en retrait – presque impossible tant la densité est grande dans sa zone – ou la passe à un joueur devenu hors-jeu. En plus de cette malice défensive, le bloc rouge et noir a pour objectif d’être toujours lié et de se déplacer constamment ensemble. Cela rend la tâche offensive adverse encore plus compliquée.
Grâce à cela, les lignes sont extrêmement resserrées, ce qui permet un pressing encore plus efficace. Un pressing qui réduit au maximum le temps et l’espace à l’adversaire. Un pressing asphyxiant qui permet d’être toujours en supériorité numérique dans la moitié de terrain adverse. Le Milan de Sacchi n’a donc pas le ballon mais il est tout de même protagoniste du jeu. C’est avec cette philosophie qu’il remporta deux Coupes des Clubs champions consécutives et qu’il mènera la plus grande révolution défensive de l’histoire du football.