Pep Guardiola est sans aucun doute l’un des meilleurs entraineurs de l’histoire du football. Entre génie tactique et réussite sportive, quasiment rien ne lui résiste. Actuellement sur le banc de Manchester City, Guardiola a également entrainé les équipes A et B du Barça et le Bayern. Cette expérience munichoise est très compliquée à analyser. En effet, sur la scène allemande, le Bayern de Guardiola a tout remporté et cela en produisant un jeu différent de celui qu’il pratiqué à la tête de l’équipe barcelonaise. Seulement, en trois saisons, il n’a pas su remporter la Ligue des Champions, qui est l’un des objectifs les plus importants du club bavarois quintuple vainqueur de la compétition.
Dans quel club arrive t-il ?
Nous sommes en juin 2013. Pep Guardiola a déjà annoncé son arrivée sur la banc du Bayern Munich depuis janvier, mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’il est présenté officiellement devant les médias venus en nombre pour l’événement. Il sort de cinq ans au Barça (B puis A, Guardiola déteste que l’on oublie son année avec l’équipe réserve barcelonaise) couronnés de succès et d’émotions puis d’une année sabbatique. Le club bavarois, lui, est fort d’un triplé Bundesliga-Coupe d’Allemagne-Ligue des Champions grâce à son désormais ex-coach, Jupp Heynckes. Ce n’est que la deuxième C1 du Bayern depuis 1976 mais Guardiola a déjà la pression de devoir la remporter une nouvelle fois.
Il est toutefois nécessaire de noter que l’équipe de Heynckes a réalisé un triplé historique mais n’était pas très régulière. En effet, elle n’avait remporté que la Supercoupe d’Allemagne en 2012 avant les trois trophées de 2013. Nous savons, aujourd’hui, que Guardiola n’a pas glané la Ligue des Champions avec le Bayern mais il a apporté une certaine régularité au club. Avec huit titres en dix ans, dont trois à Munich, on connait cette caractéristique de la carrière du technicien mais elle s’est révélée lors de ses années allemandes. Il a aussi fait en sorte que l’équipe ne lève pas le pied après le sacre de la Nationalmannschaft en 2014 où beaucoup de joueurs bavarois triomphèrent.
Une entière réussite ?
Lors de son arrivée, Rummenigge avait déclaré vouloir « passer premier au classement UEFA » et pour cela remporter au moins une fois la Ligue des Champions. Nous l’avons vu, il n’a pas réussi à retrouver le sommet européen atteint par Heynckes. Cependant, il construit une équipe compétitive avec une identité forte et, sur le long terme, c’est sûrement plus stable pour le Bayern. Le long terme est important dans la méthode Guardiola. En effet, lors de la première saison, Franz Beckenbauer est très critique avant d’être plus mesuré au moment où l’espagnol quitte Munich : « Dire que Guardiola aurait échoué, ce serait totalement exagéré. En trois ans, il gagne trois fois le championnat. Ce titre est, pour moi, encore le plus important. Vous êtes le plus fort sur trente-quatre journées. [En C1] une journée peut tout gâcher ».
Cependant, durant trois saisons, Guardiola ne se fit pas que des amis outre-Rhin. Dès la première saison, il connait une énorme désillusion en demi-finale retrour de C1 où son Bayern perd 0-4 face au Real. Ce jour là, il aligne un 4-2-4 trop direct qu’il qualifiera lui même de « pire foirage de [sa] carrière ». Une de ses déclarations a également provoqué beaucoup de critiques. Il avait effectivement dit être obligé de s’adapter à 100% à son nouveau club. Culotté quand on sait que le Bayern s’est aussi beaucoup adapté à lui, notamment sur les achats de Xabi Alonso, qui devint un cadre de Guardiola après la vente de Kroos, et de Thiago Alcantara pour qui le coach déclarait « je veux Thiago ou rien ».
Pour certains, Pep Guardiola impose trop sa vision des choses sur le plan médical. Il part au bras de fer avec le docteur Müller-Wohlfahrt ce qui mènera à une hécatombe de blessures (vingt-sept en trois saisons contre seulement sept sur les trois précédentes). Les premières tensions sont apparues sur le cas Thiago – encore – où le technicien catalan voulait un traitement radical tandis que le docteur allemand un traitement plus lent. Le joueur revint rapidement, se blessa et ce choix l’éloigna loin des terrains durant un an.
Le Bayern de Guardiola en deux rencontres
Deux matchs symbolisent parfaitement le Bayern Munich à la sauce « guardiolesque », Roma-Bayern du 21 octobre 2014 et Atletico-Bayern du 3 mai 2016. Le premier est un chef d’oeuvre, l’un des plus beaux de la carrière de Guardiola, le plus différent dirons-nous. Le 3-2-3-2 asymétrique, avec Bernat, Götze, Muller et Lewandowski qui occupe la moitié gauche, pose problème. La Roma doit soit défendre soixante mètres sur la largeur soit laisser Robben seul. Ce dernier se joue de Cole tout le match et son positionnement ouvre les lignes de passes pour Götze et Muller. Götze est aussi le joueur clé du match avec son poste de relayeur gauche qui remonte une multitude de ballon grâce à sa parfaite gestion du pressing de Pjanic. Le score large (7-1) ne reflète presque pas la magie tactique affichée ce jour-là.
Contrairement au match à Rome, face à l’Atletico, le milieu est surchargé en 3-4-3. Le positionnement de Lahm en ailier droit permet à Douglas Costa une plus grande liberté pour rentrer dans l’axe. Sûrement le meilleur match de l’ère Guardiola. Pas le plus beau esthétiquement, mais le plus dramatique mais le plus symbolique. Avec un mélange de jeu de position et de profondeur incarnée par Xabi Alonso. Un mélange d’attaque sur les ailes comme il en avait l’habitude au Barça et de jeu à l’intérieur pour pénétrer dans les zones centrales. Martí Perarnau dit que « ses attaques sont réfléchies mais rapides ; il n’y a aucune précipitation mais de la vitesse ».
La symphonie était majestueuse mais inachevée. Guardiola travaillait depuis le match aller pour réduire l’incertitude le plus possible mais vit son travail balayé par de petits événements non prévus. L’Atletico lui avait posé des problèmes la semaine précédente et lors de la manche retour, il a réussi à contrecarrer tous les plans de Simeone. La statistique Expected Goals donne un chiffre mirobolant de 4,24 pour le Bayern. Seulement, les bavarois n’en marquent que deux, en encaissent un, ce qui suffit à ne pas se qualifier en finale de C1 pour la troisième année consécutive. Le regard dans le vide à la fin du match, Guardiola est frustré. Le football, lui, en ressort grandit.
Son évolution personnelle
Sa plus grande réussite lors de son passage au Bayern est d’avoir imposé jusqu’au bout son style de jeu. Un style qu’il a fait évoluer depuis sa période barcelonaise. Selon Roman Grill, agent de Lahm et analyste du football allemand, « il ne vient pas au Bayern pour créer une copie du Barça ». Une évolution plus cruyffiste avec le ballon, dans les passes ou dans le positionnement mais moins dogmatique avec vingt-trois systèmes utilisés. Il dit d’ailleurs, que « les systèmes n’ont pas d’importance contrairement aux idées qui les animent ». Parmi ces systèmes, certains laissent de côté le rôle des milieux de terrains, chose impensable au Barça. Dans son livre Pep Guardiola, The Evolution, Martí Perarnau livre un de ses échanges avec lui : « tu étais un fondamentaliste des milieux de terrains, tu aimerais jouer avec onze milieu si tu le pouvais ». Ce à quoi répond Guardiola : « je l’ai été, mais j’ai évolué. Aujourd’hui je suis un entraineur qui aime jouer avec cinq attaquants [comme le montre le match contre Rome]. C’est un changement que je dois à l’Allemagne ».
En plus de cela, beaucoup de choses changent par rapport à la Pep Team barcelonaise. L’option du faux 9 n’est pas oubliée mais elle n’est pas systématique. Il y a plus de longs ballons notamment grâce à Javi Martinez au cœur de la défense adverse. Certaines rencontres se déroulent sans défenseurs centraux, ce sont alors souvent trois latéraux qui composent une défense à trois. Quand, au Barça, il étirait le bloc adverse afin de créer un espace dans l’axe pour Messi. Au Bayern, il densifie davantage l’axe pour créer des espaces pour les ailiers. Ce qui ne change pas, c’est toujours l’envie d’être protagoniste du jeu avec environ 65% de possession de moyenne, près de 700 passes et plus de 17 tirs à chaque rencontre. Dès son arrivée, Matthias Sammer dit, dans le livre Herr Pep, qu' »il s’est énormément réinventé. En six mois, il a changé plus de choses au Bayern qu’en quatre ans au Barça ».
Le football allemand consiste avant tout à bien défendre avant d’attaquer très vite. L’objectif de Guardiola a été atteint à la fin de son mandat, calmer le jeu, réduire la vitesse adverse sans freiner ses joueurs. Un jeu plus vertical qu’à Barcelone mais toujours avec de longues séquences de passes, des changements de rythmes ou encore des lignes compactes. De plus, il fait bien assimiler à ses joueurs l’importance des permutations. Pour Domènec Torrent, « Pep indique les positions, mais sur le terrain, ce sont les joueurs qui décident sur le moment qui occupe telle ou telle position. C’est une formule flexible ». Signe d’un énorme pragmatisme chez celui qu’on pensait dogmatique au possible. Aller vers l’avant mais toujours en contrôlant l’éventuel contre adverse est également le signe que c’est un coach bien plus défensif que l’on ne l’imagine. « L’organisation défensive est la pierre angulaire de tout ce que je veux faire dans le foot » répondra le principal intéressé.
Guardiola a changé le foot allemand
Lors du départ de Guardiola, le journaliste Uli Kölher dit qu' »il a révolutionné le Bayern, l’a remis à jouer au foot. Il a atteint un niveau inconnu jusque là ». Une phrase lourde de sens quand on sait qu’il prend les rênes de l’équipe à la suite d’un triplé historique. C’est vrai que Guardiola a changé l’identité du jeu du club avec un jeu de position égal au Barça de 2011 ou à l’Ajax de 1996 qui sont les modèles du genre. Pour l’analyste Tobias Escher, « avant Guardiola, personne ici n’avait entendu parler du jeu de position. Il n’a jamais fait partie de notre culture, contrairement à la Catalogne ou aux Pays-Bas […] Nous avons donc tardé à réaliser l’influence tactique considérable de Guardiola ». On peut noter cette influence par l’émergence de nouveaux entraineurs allemands comme Tuchel, Nagelsmann, Schubert ou encore Rose. Pour Kevin Hatchard, journaliste anglais spécialiste de Bundesliga, « [Grâce à Guardiola] les équipes ont commencé à vraiment se concentrer sur la tactique. Il a rendu la Bundesliga plus intéressante tactiquement ».
Il a également énormément fait progresser les joueurs du Bayern en leur enseignant des choses différentes de ce qu’ils savaient faire. Lahm devient un milieu incontournable, Boateng atteint un niveau inespéré, Neuer devient un joueur à part entière tant il participait au jeu tel un libéro. Kimmich a éclot, Douglas Costa est devenu un élément clé du collectif huilé. En un an, il a apprit les bases à Kroos pour être une superbe rampe de lancement. Alaba devient hyper polyvalent car Guardiola l’a encadré au lieu de le laisser trop libre. Un Bayern éclectique capable de changer de système en cours de jeu grâce à ce genre de joueur. Quand il demandait à chaque joueurs barcelonais de savoir jouer à trois postes différents, Rafinha en joue cinq, Alaba six, Lahm et Kimmich neuf ! Même Müller et Lewandowski, les joueurs les moins malléables de l’effectif ont évolué. Ce dernier affirme : « grâce à Guardiola, je suis devenu meilleur. Après trois mois à ses côtés je me suis rendu compte que j’avais franchi plusieurs paliers. Au niveau tactique, je peux évoluer à plusieurs postes, mieux me déplacer sans le ballon… ».
Des résultats très bons dans l’ensemble, un jeu quasi parfait où il a su évoluer et enfin une grande influence sur le football allemand. Tant de facteurs qui prouvent que les trois ans passés en Bavière pour Pep Guardiola auront été bénéfiques pour lui et pour ce sport. Cependant, il n’aura pas réussi à glaner la Ligue des Champions et donc réaliser le même triplé que son prédécesseur. Un triomphe inachevé mais un triomphe tout de même.