Après douze semaines d’investigation dans les méandres du football et du golf, nous vous partageons désormais les dessous des cartes, avec le premier entretien intégral que nous avons réalisé. En fonction du sportif que nous interrogions, nous avons évidemment adapté le questionnaire au sport qu’il pratiquait entre le golf, le football ou le footgolf.

Le sujet C. est agent de joueurs. Il a notamment été conseiller de certains membres de l’équipe de France de football victorieuse de la Coupe du Monde 1998. C. est également le frère d’un ancien footballeur professionnel.

Quels sont les premiers stéréotypes qui vous viennent à l’esprit à l’évocation du monde du sport ?

« Moi, je vais te parler principalement du football parce que c’est ce que je connais. Ça fait à peu près entre mes deux frères et moi quarante ans qu’on est dans le milieu, et j’ai un peu l’impression d’avoir vu de tout. Tu me parles de stéréotypes, mais déjà je pense qu’il faut parler de l’ambiance qu’il y’a. Si y a des gens qui sont, voilà, pas forcément très sympathiques avec toi, c’est parce qu’il y a une compétition énorme. Enfin, je vois, moi je n’ai pas fait la même carrière que mes frères parce que aussi je n’ai pas su gérer la pression. Et les stéréotypes comme tu dis, moi je vais plutôt dire des clichés, ils naissent parce que tu as cette pression… »

C’est-à-dire ?

« C’est-à-dire que, bon, mettons que tu as trois ou quatre blacks dans l’équipe, et bah eux-mêmes ils vont plus facilement insister sur leur puissance physique parce que c’est sur ça qu’on va les juger. Y a un racisme latent dans le football, il ne faut pas se voiler la face. Je suis persuadé que certains joueurs dans certains pays peuvent… Enfin bon. Mais quand tu vois certains critères, tu restes songeur. Je connais assez bien le milieu, et c’est plus facile de négocier un gros transfert pour un blanc. Attention, je ne dis pas que ce n’est pas le cas partout, mais… Enfin… Je veux accuser personne, mais certains clubs… On a souvent dit que le Real avait laissé partir Makélélé parce qu’il ne vendait pas assez de maillots, pas assez vendeur. Y a peut-être des autres raisons, pas forcément conscientes. »

Pour vous, donc, dans le football, les stéréotypes sont inconscients ?

« Je ne sais pas s’ils sont inconscients ou pas, oui, peut-être que c’est ce que tu vas écrire quand tu vas faire ton étude. Quand j’étais jeune, en tout cas, c’est sûr qu’on allait plus facilement rechercher la facilité technique chez un maghrébin, la puissance physique chez un black et l’intelligence de jeu chez un blanc. Attention, je te ne dis pas que les clubs sont racistes, je dis juste que c’est naturel. Parce que depuis soixante-dix ans, c’est comme ça. Les gens sont formatés, ils ont l’habitude. C’est normal. Parce que tu regardes la Ligue 1, et que tu reproduis ce qui existe déjà… Quand on voit ce que Willy [Sagnol] avait dit il y a quelques années… Je ne pense pas qu’il soit raciste, je pense que c’est naturel. Mais regardes des équipes de milieu de tableau de Ligue 1… Bon, tu comprends ce que je veux dire. »

Il n’y aurait pas que des stéréotypes mais donc une reproduction des schémas ? C’est un peu la même chose, non ?

« Ouais, en fait c’est ça. Tu refais toujours la même chose, d’année en année. Et dans les centres de formation, c’est ça. Et puis comme je te disais au début, y a la pression dans les centres de formation, c’est ça aussi qui est responsable d’un peu tes… tes schémas. Et puis tu as aussi le sexisme, hein, bien sûr, dans le football. C’est complètement naturel, parce que très clairement y a un écart de niveau énorme entre les filles et les garçons. Je lisais il n’y a pas longtemps un truc, ou c’était peut-être à la télévision, mais des U15 qui avaient éclaté 30-0 une équipe nationale féminine… Et du coup bah ça déteint sur les gens, les femmes sont inférieures dans le football quoi, dans le sens « moins bonnes », et donc après faut pas s’étonner des stéréotypes. En plus, il ne faut pas oublier que quand tu es en centre de formation tu passes toute ta vie qu’avec des mecs comme toi, de ton âge, t’as quinze ou seize ans, c’est normal de penser à ce genre de trucs et d’être un peu matrixé. A ton avis, pourquoi est-ce qu’il y a autant de violences envers les femmes de la part de joueurs de foot, hein ? Parce qu’on ne leur a pas appris à se comporter correctement. »

La place des femmes dans le football évolue, quand même, non ?

« Oui, bien sûr, c’est évident. En France, aux États-Unis, ils sont très forts. En Allemagne et dans les pays du nord aussi. Mais franchement, y a quatre-vingt-dix pourcents des gonzes qui regarde le football féminin juste pour voir des nanas courir en short. »

Vous allez regarder la Coupe du Monde de football féminin en France cet été ?

« Peut-être. »

Et pour vous, avoir un peu de sexisme, un peu de stéréotypes, ça peut affecter l’image du football ?

« Non. Je ne pense pas. Le football c’est quand même le sport numéro un dans tous les pays du monde. Regarde, même les États-Unis ils s’y mettent, les chinois aussi. Non, franchement je ne pense pas. »

Le sport est-il un facteur de rapprochement social ou au contraire d’exclusion de certains ?

« Les deux. Tu te rapproches parce que tu viens de partout en France, de partout dans le monde, et encore plus aujourd’hui depuis l’arrêt Bosman. Forcément, ça te fait sortir de ton quartier, de ton environnement. Mais en même temps, y a des gens que tu ne vois jamais dans un vestiaire. A part De Préville, je ne connais pas beaucoup de joueurs avec des particules sur leur nom de famille, tu vois ce que je veux dire. »

Donc, ça rapprocherait des gens des mêmes milieux sociaux mais d’univers différents ?

« Si tu veux c’est un peu ça, oui. »

Quand on parle de stéréotypes hors du terrain, on parle souvent des présus, est-ce que pour vous c’est un phénomène qui existe vraiment ?

« Oui. Et, on ne va pas se mentir hein, c’est majoritairement des africains. Quelques brésiliens aussi, y en avait eu un à Lyon il n’y pas longtemps [Amorim] ; mais c’est quasiment que des africains. C’est un cercle vicieux. Quand tous tes U19 sont nés le 1er janvier, il faut se poser la question. Mais le truc, c’est que tu joues toujours avec des gens qu’on deux ans de plus que toi, trois ou quatre même parfois, donc tu es obligé de tricher aussi. Faut voir les conditions de vie, le football c’est une chance. En Europe on aime beaucoup critiquer parce qu’on est né une cuillère d’argent dans la bouche. Mais imagine un peu que tu es né en Côte-d’Ivoire et que tu as aucune perspective d’avenir. Bon, bah si tu as une toute petite chance, qu’il faut tricher, tu la prends et tu ne réfléchis pas. »

Est-ce qu’il y a d’autre stéréotypes qui vous viennent en tête ?

« Non, je ne vois pas. Ah, si, dans le football féminin, on dit toujours qu’elles sont lesbiennes. Mais c’est ce que je te disais, hein, c’est vu comme un sport de mecs, donc forcément si tu en fais c’est que voilà. Mais ça commence à changer, j’entends de moins en moins ça. »

Quels sont pour vous les principaux obstacles à la négation des stéréotypes ?

« Pour moi, pff… Franchement je vais te dire, je ne sais pas. Lentement, peu à peu, on parvient à faire bouger les mentalités. Mais je ne pense pas qu’il y a de recette miracle. Il ne faut pas forcément espérer changer les choses, parce qu’il y aura toujours des conditionnements à mon avis. »

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