« L’homme riche, oisif, et qui, même blasé, n’a pas d’autre occupation que de courir à la piste du bonheur, l’homme élevé dans le luxe et accoutumé dès sa jeunesse à l’obéissance des autres hommes, celui enfin qui n’a pas d’autre profession que l’élégance, jouira toujours, dans tous les temps, d’une physionomie distincte, tout à fait à part. » Jamais une phrase n’a aussi bien, sans doute définie le dandy footballeur. Celui qui regarde, assis dans sa loge au Parc des Princes ou en plein milieu du mur jaune du Westfalenstadion. Qui regarde et qui se délecte du spectacle ayant lieu sous ses yeux.
Un personnage atypique
Le dandy footballeur est un personnage atypique. Dans les milieux sociaux dans lesquels il évolue, le football n’est pas un sujet de conversation. C’est plutôt un sujet d’argent, un sujet de business, d’économie, de transferts qui rapportent des incentives aux parties prenantes. La phrase de Baudelaire vue plus haut, dans son analyse artistique sobrement intitulée Le Dandy, est sans conteste l’illustration la plus malicieuse et la plus précieuse du drame qui se dresse sous nos yeux. Cet homme qu’est le dandy footballistique ne se soucie pas vraiment de ce qui se passe autour de lui, de comment les joueurs vont bouger leurs corps sur le terrain. Tout cela lui est, d’une certaine façon, bien égal. Cela n’est pas son principal sujet de préoccupation. Ce qui l’agite vraiment, c’est de voir si tous ses obligés vont lui obéir.
Car le dandy footballeur pense détenir la vérité du football. Il pense que ses opinions sur le football importent plus que celles de n’importe qui. Et peu importe si en pratique il n’y connaît rien et ne sait pas vraiment qui sont les joueurs ou à quoi rime un passement de jambe au milieu du terrain. Le dandy footballeur préfère le dribble individuel qui échoue à l’action collective qui passe tout près du but adverse.
Pour eux, ce qui compte, c’est le spectacle pour leurs beaux yeux, pas pour ceux des spectateurs massés dans le stade, qui attendent les rencontres comme des grand’messes. Ils s’en moquent bien, du bas-peuple. Ce n’est qu’une manière de s’enrichir – sans trop travailler, bien évidemment. Qui oserait travailler, d’ailleurs ? Et pour faire quoi ? Pour s’occuper, il y a la plèbe, et c’est un spectacle fascinant. Et tant pis si son action, à ce dandy footballeur, vient écraser une, deux ou trois vies au passage.
Quand il joue
Mais la particularité du dandy footballeur, c’est que malgré tout ce qu’il peut penser, il aime se mêler au peuple pour disputer une partie de football. Son niveau n’est pas forcément mauvais. Mieux, il peut même être, à défaut de bon, tout à fait honorable. Même le parangon du dandy dédaigneux hautain a toujours aimé s’encanailler avec les gueux. Quand il dispute un match, plutôt que de parler des rencontres de son équipe favorite, le dandy footballeur préférera malgré tout montrer sa supériorité. Son film de football favori n’est sans doute pas Les yeux dans les bleus, beaucoup trop populassier. Il ne connaît sans doute pas le fabuleux Wit is Troef, blanc est atout, de Jan Vanderheyden avec l’arbitre John Langenus et le footballeur Raymond Braine.
Non, il parle sans doute d’un mauvais documentaire pseudo-intellectuel qu’il a vu avant sa diffusion. Vous comprenez, le fils d’un ami de papa possède une chaîne télévisuelle. Car c’est ça, la réalité de la vie d’un dandy footballeur. Il est dans la soie, et ne veut pas en sortir, ne peut pas en sortir. Dix minutes dans la vie réelle tous les jours, c’est à peu près tout ce qu’il peut s’offrir. Plus, cela risquerait de l’endommager. Moins, il risquerait de déprimer. Vous comprendre assez aisément : il faut un peu de réalité, un peu de football pour pouvoir tranquillement briller en société, un verre de Champagne en cristal dans la main gauche et un cigare dominicain – les cubains sont communistes ! – dans l’autre.
Bien sûr, tous ne sont pas comme cela, et ce portrait à l’acide n’est pas celui d’une personne réelle. Mais malgré tout, on retrouve ces traits de caractère et de personnalité chez certaines personnes. Un mal pour un bien, parce qu’on comprend mieux la réalité après eux !