Parce que nous savons que les présents du père Noël à monsieur Ancelotti ne vous intéressent que très peu (quoi que), ce n’est pas ce dont traitera cet article. Le « sapin de Noël » est tout simplement le nom du dispositif utilisé par le tacticien italien lors de ses années milanaises.
L’avant
Outre sa forme plutôt satisfaisante voire amusante, le sapin de Noël est en réalité un système de jeu assez classique. Il s’agit en effet d’une sorte de 4-3-3 où les ailiers sont des milieux offensifs intercalaires. Et pourtant, ce dispositif comporte une révolution. Elle s’opère dans le rôle d’Andrea Pirlo. Arrivé en 2001, en même temps que Carlo Ancelotti, le milieu offensif de formation se retrouve ici en position de numéro 6. C’est l’avènement du regista, un rôle auparavant incarné par des Pep Guardiola ou Fernando Redondo et qui sera popularisé sous Ancelotti grâce à son utilisation de Pirlo. Mais alors qu’il semble plus pratique de rapprocher le meneur le plus possible de la surface adverse, à quoi bon le reculer si bas sur le terrain ?
À la manière des mouvements artistiques, cette idée du retour à l’usage du regista se fait en réaction à une mode de l’époque. Et qui dit début des années 2000 dit années Makélélé au Real Madrid. Positionné lui aussi en numéro 6, le natif de Kinshasa occupait avec une rare efficacité le rôle de sentinelle pure. Un robot uniquement consacré aux tâches défensives et dépourvu de toute obligation créative, qui ratisse sans relâche les lignes de passes adverses et les imprudents dribbleurs à bloquer. En agissant dans la zone du numéro 10, où l’on retrouvait alors le très populaire meneur de jeu, Claude Makélélé et les autres joueurs s’en inspirant étaient de véritables poisons pour la création adverse. Ils ne sont d’ailleurs pas étrangers à la disparition progressive du rôle de 10 tel qu’on l’entendait à l’époque.
Une idée réactive
Vous voyez venir l’idée. Si la zone du 10 est invivable, pourquoi ne pas en éloigner mon meneur ? Ancelotti ne s’est pas posé la question bien longtemps. Certains l’excentreraient : on peut penser à Hakim Ziyech actuellement. Mais il resterait assez proche du 6 et un double-pivot pourrait le gérer. D’autres le reculeraient d’un cran, en poste de 8 créatif : c’est la norme actuellement. Le Mister fut plus radical : Andrea Pirlo sera numéro 6, dans le rôle de regista.
Le regista, donc, est un meneur de jeu évoluant devant sa défense, et non devant la défense adverse. Cette position très reculée lui permet de prendre le jeu à son compte avec plus de liberté. En effet, il est moins gêné par le pressing adverse, puisque la zone est dépourvue de joueur à vocation défensive. En outre, il s’octroie une vision plus large du terrain, multipliant ainsi ses angles de passes. Revers inévitable de la médaille, le regista s’infiltre hélas moins souvent et moins facilement dans la surface adverse. Et si l’animation offensive est mal gérée, l’attaque peut être sevrée de ballon. Enfin, attention également à l’animation défensive. Si la zone du 6 est bel et bien occupée, le rôle n’est en fait pas assuré par le (parfois frêle) meneur de jeu. On préconisera donc la présence à ses côtés d’un ratisseur, ici, Gennaro Gattuso.
Visionnaire
« Avant qu’Ancelotti me place devant la défense, c’était un poste que seuls les joueurs à vocation défensive occupaient, rappelait Andrea Pirlo dans une interview au journal espagnol ABC. À l’époque, ils n’avaient qu’une chose en tête : détruire avant de construire. À partir du moment où j’ai commencé à jouer en pivot, il y a eu un changement de tendance. On a démontré qu’on pouvait gagner sans cynisme, tout en jouant bien au football. »
Après-coup, on ne retrouve finalement que peu de disciples d’Andrea Pirlo, tout simplement car peu de footballeurs ont atteint ce niveau. Ancelotti lui-même n’a d’ailleurs jamais trouvé de remplaçant. Le regista n’a en effet pas le droit à l’erreur dans un positionnement si bas sur le terrain. Si d’un côté un calme olympien est nécessaire pour organiser le jeu depuis l’arrière. De l’autre, les efforts défensifs pratiqués par un joueur non accoutumé du fait ont tendance à puiser sur ses réserves et à amputer sa lucidité.
Bien que le rôle de regista soit resté marginal a posteriori, l’évolution du rôle du milieu et de la mentalité tactique générale est indéniable. L’affaire de la base de la pyramide n’est plus uniquement de détruire. Construire d’en bas est aussi primordial et est devenu une prérogative de recrutement, que ce soit pour le numéro 6 ou pour le défenseur. Aujourd’hui, on demande même aux gardiens une certaine qualité de relance, et ce que fait Guardiola d’Ederson en est la tête d’affiche.
Étoiles
Parmi les autres faits qui légitiment une innovation tactique, les trophées occupent une place de choix. Le Milan d’Ancelotti se porte bien avec un scudetto – et c’est peut-être un peu décevant – et une Coupe d’Italie mais surtout trois finales de Ligue des Champions dont deux remportées. De son côté, Andrea Pirlo, toujours dans ce rôle et même en MLS, glanera cinq scudetti supplémentaires (un autre avec le Milan post-Ancelotti, le reste avec la Juve), une Coupe d’Italie et bien sûr une Coupe du monde.
Le milieu italien est devenu une légende dans l’historie du football et a associé son nom au rôle de regista. Un statut qu’il doit donc en partie à Ancelotti, mais aussi à… Claude Makélélé.