Une idée reçue, appuyée ou engendrée par la photo de l’écusson orné d’un svastika durant la période de l’Allemagne nazie, tend à dépeindre le Bayern Munich comme un club ayant collaboré avec le régime hitlérien. Cela semble en fait être tout le contraire.
Le Bayern, un club à la tradition juive
Le Bayern Munich naît dans le quartier bohémien de Schwabing, une partie de la ville aux fortes racines juives. De plus, deux des dix-sept signataires de la fondation du club sont de confession juive. Avant la seconde guerre mondiale, le Bayern est donc, avec un président et un entraîneur juifs, ce qu’on pourrait appeler un club juif, sans la connotation méprisante que prendra ce terme après la prise de pouvoir du NSDAP. Le club remporte d’ailleurs son premier championnat en 1932, un an avant l’accession au pouvoir absolu d’Adolf Hitler.
Ces racines et héritages juifs rendent sans surprise le ciblage du club par le NSDAP. Catégorisé péjorativement de Judenklub (club juif) par le pouvoir, il devient alors beaucoup moins populaire que le TSV 1860 Munich et, comme partout en Allemagne, plusieurs dirigeants dont le président Kurt Landauer et joueurs juifs doivent quitter le club.
L’ère de la résistance passive
Le Bayern en tant que club et institution réussit tout de même à survivre. Le club se permet même quelques actes de résistance passive. Par exemple, aux Jeux Olympiques de Berlin, l’ailier du Bayern Willy Simetsreiter prend la pose aux côtés du quadruple médaillé d’or Jesse Owens, qui enragea Hitler. Le défenseur Sigmund Haringer s’échappe de la cellule où il était emprisonné pour avoir qualifié une parade nazie de « spectacle d’enfants ». L’action de résistance la plus importante est probablement effectuée par le couple Heidkamp, dont le mari était le capitaine du Bayern. En effet, alors que les trophées du club devaient être fondus pour participer à l’effort de guerre, ceux-ci refusent et les cachent dans la ferme d’un ami.
Mais l’acte le plus symbolique, le plus collectif aussi, s’opère en 1943. Le président Landauer, d’abord emprisonné à Dachau pendant plus d’un mois, se réfugie en Suisse dès 1938. C’est cette destination, Zurich plus précisément, que choisit le Bayern pour disputer un match amical contre l’équipe nationale suisse. À la fin du match, les joueurs du Bayern s’alignent devant la tribune où était Landauer et le saluent. L’information ne manque pas de faire le tour d’Allemagne.
Illuminer les zones d’ombre
Si Landauer reprend ses fonctions en 1951, cet héritage de discrimination et de résistance passive passe aux oubliettes. En effet, les livres du club mentionnent des départs « aux motifs politiques », rien de plus, et évitent le mot « juif ». Le Bayern met sciemment cette partie du passé sous le tapis. Ce n’est qu’à la fin du siècle, avec l’ouverture des archives, que l’on mène des recherches scientifiques sur l’ère Landauer. Et même à cette époque, les dirigeants Uli Hoeness et Fritz Scherer bottent en touche. « Nous n’étions pas nés à cette époque » dit le premier pour snober une interview. Plus tard, le second admettra ne pas vouloir mettre l’accent sur les origines juives du club par peur de réactions négatives.
Dietrich Schulze-Marmeling, notable chercheur sur cette période de l’histoire et auteur du livre « Le Bayern et ses Juifs », soupçonne aussi des intérêts financiers à ne pas ébruiter cette affaire. Le Bayern viserait à préserver ses accords commerciaux en Asie en passant sous silence ce passé juif. Quoi qu’il en soit, la posture du club a depuis changé. Karl-Heinz Rummenigge et les ultras ont reconnu Landauer comme « le père du Bayern moderne » et le club a financé la construction du stade du club amateur juif TSV Maccabi Munich, qui prendra le nom de Kurt Landauer. En outre, le musée du club à l’Allianz Arena ainsi que son site internet mentionnent désormais, avec une fierté prudente, ces épisodes de résistance.
Si ce n’était qu’un mythe ?
Évidemment, un Bayern faisant de la résistance passive au milieu de nombre d’autres clubs s’appliquant à obtempérer au régime nazi fait bonne figure pour générer l’attachement à l’institution. C’est cet aspect-là que dénonce Markwart Herzog dans son ouvrage. Il prétend, recherches à l’appui, que le Bayern a optempéré à la manière des clubs concurrents. Comme les autres, il se serait plié aux exigences du nouveau régime. Comme les autres, il se serait empressé d’évacuer les Juifs de ses rangs, au-delà même des attentes du NSDAP. En somme, il présente le Bayern comme un club qui a agit comme tout le monde à cette période et qui a procédé à son aryanisation. Il accuse les recherches précédentes, et notamment celles de Schulze-Marmeling et Dirk Kämper, de négligence voire de propagande.
Il ajoute même que ces informations sont sous nos yeux depuis longtemps, qu’il ne suffisait que d’ouvrir les statuts des associations du FC Bayern. C’est justement ce point qui agite la controverse autour des recherches de Herzog. « Il s’agit moins de recherches scientifiques que de scandalisation », rétorque Schluze-Marmeling. Herzog reprendrait « 75% des faits déjà cités dans « Le Bayern et ses Juifs » » et en changerait l’interprétation « en omettant voire en spéculant volontairement certains points pour maintenir ses conjectures comme cohérentes. »
On peut en effet se questionner sur la méthodologie. Se reposer quasiment exclusivement sur l’étude des registres n’apporte qu’une partie de la vérité, loin d’être suffisante, surtout quand Herzog considère tout ce qui ne figure pas dans les dossiers comme n’étant pas. Schulze-Marmeling dénonce à ce propos une méthodologie non seulement mauvaise mais incomplète.
Un ouvrage fustigé
Dans une longue réponse aux frasques de Herzog dans le Spiegel en marge de la sortie de son article, Schulze-Marmeling continue de fustiger ses recherches en se défendant d’abord. Il réfute avoir présenté le Bayern comme une troupe de résistants irréprochables dans son livre. Il prouve comme fausses les allégations de Herzog concernant une prétendue nazification zélée du Bayern, à propos de laquelle Herzog s’était d’ailleurs corrigé. Enfin, il réfute également avoir écrit que le Bayern n’a jamais pratiqué l’aryanisation – ce fut le cas effectivement.
En outre, il pointe d’autres incohérences dans le travail de Herzog. Là où ce dernier affirme la fédération allemande de football n’a pas exclu les joueurs juifs, le professeur Lorenz Peiffer indique que ces derniers se sont organisés en associations et ont joué des matchs entre Juifs à partir de 1933. Or, il semble difficile à croire que des Juifs se soient subitement découverts une passion pour le football après 1933 et ne se soient mis à le pratiquer qu’entre eux. Il s’agit bien d’ex-joueurs de clubs allemands exclus.
L’historien conclut en précisant que « l’antisémitisme existait tant en Allemagne qu’au FC Bayern avant 1933, après 1933 et encore après 1945 » et que « la vérité absolue ne sera jamais connue ni de Herzog ni [d’eux] ». Bien que « les recherches continuent et que les nouvelles découvertes sont et seront intéressantes même si elles remettent en cause les fait attribués, la démarche de scandalisation de Herzog n’est néanmoins ni scientifique ni sérieuse ». De son côté, le FC Bayern, qui a bien fait de se montrer prudent dans sa version officielle, a mandaté en 2016 un institut indépendant pour faire toute la lumière sur cette ère.