L’Olympique de Marseille n’est pas dans la meilleure forme de sa vie, et c’est le moins que l’on puisse dire. Des résultats sportifs très en-dessous des attentes assortis à une situation économique qu’on pourrait facilement décrire de dégueulasse, emmenant sur le Vieux Port un climat tout sauf méditerranéen. Et le premier responsable de tout cela semble tout trouvé (tout du moins du côté des supporters marseillais) : Jacques-Henri Eyraud.
Palmarès de JHE : j’ai fait Harvard
Lorsque Frank McCourt rachète 95% des parts de l’Olympique de Marseille en août 2016, le plan est d’envoyer un maximum d’étoiles dans les yeux de supporters en totale dépression (les Olympiens étant très fans d’étoiles depuis presque trente ans maintenant). Pour cela, rien de mieux que de nommer un génie de la communication à ses côtés… Et après tout, qu’importe si son expérience dans le football soit de 20 ans ou de deux sauvegardes de Football Manager. Bref, c’est donc à ce moment qu’Eyraud fait son entrée dans ce monde si particulier du ballon rond, avec une sérénité semblant presque compenser son faible CV.
Un jeune entrepreneur parisien…
Faible CV, ce n’est en revanche pas le terme qu’on utiliserait pour décrire la carrière étudiante de Jacques-Henri. Diplômé de Sciences-Po en 1989, il obtient ensuite son Master 2 en « gestion des télécommunications et des nouveaux médias » avant de rejoindre… Euro Disney. Au poste de directeur de la communication, il participe à l’un des projets les plus importants d’Europe : EuroDisney Paris. Un projet qui attirera toutes les plus grandes marques du monde dans la signature d’importants partenariats et qui demandera la mise en place d’un gigantesque dispositif, notamment en termes d’organisation. Si JHE a connu des grandes oreilles, ce sont donc bien celles de Mickey plutôt que d’un prestigieux trophée européen que vous connaissez sans doute.
La suite de sa vie n’est pas moins intéressante : Eyraud part effectuer une Maîtrise en administration des affaires (MBA) dans une petite école peu réputée des Etats-Unis nommée Harvard, avant de devenir directeur des produits au Club Med. Au début du XXIème siècle, l’homme d’affaires fait partie de ceux qui anticipent l’explosion totale d’Internet et co-fonde Sporever, société d’information sportive digitale qu’il emmènera à la place de leader de son marché et que vous connaissez aujourd’hui sans doute sous le nom de Media 365. Dernière étape avant l’OM, il s’occupe des activités numériques de Turf Editions, groupe de médias liés aux paris hippiques.
Les premiers pas d’Eyraud
De nouveaux espoirs
Nous revenons donc en 2016, et la prise de poste de Jacques-Henri Eyraud en tant que président du club. Vous connaissez désormais bien le gars, vous savez donc qu’il s’agit d’un crack dans son domaine : la com’. Et à première vue, ses premiers pas dans ce nouveau rôle sont plutôt satisfaisants, ayant au moins le mérite de redonner espoirs aux supporters. Un étincelant « OM Champions Project » est lancé, et 200 millions d’euros sont promis par Frank McCourt afin d’y parvenir. Dans un championnat de France de Ligue 1 au niveau plutôt (très) faible ces dernières années, il s’agit donc là d’une somme suffisante dans l’objectif de retrouver le podium…et ainsi la Ligue des Champions. Des évènements sont également organisés avec certains influents Marseillais, comme pour montrer une envie de proximité avec les fans et directement faire contraste avec l’ancienne direction du club.
Exemple assez important de la restructuration médiatique du club, la chaîne officielle OMtv est supprimée. Pour communiquer, JHE préfère passer par les réseaux sociaux. Du changement également au niveau des équipementiers. Puma fait son arrivée sur le Vieux Port, remplaçant ainsi les célèbres trois bandes d’Adidas. Et tout de suite, la campagne de communication suscitera des réactions.
Les 44 premiers millions
Le mercato d’hiver 2017 est le premier réellement dirigé par l’axe McCourt – Eyraud – Zubizarreta – Garcia. Ces deux derniers, célèbres noms du football européen et dont l’arrivée est également l’œuvre de Jacques-Henri Eyraud, se trouvent dans une situation assez ressemblante à celle du club à ce moment-là : des anciens poids lourds du circuit (terme peut-être un peu exagéré pour l’ancien coach de la Roma), à la recherche de rédemption.
Le mercato hivernal 2017 donc, celui qu’utilisera Eyraud afin de montrer ses ambitions et de gagner la confiance de ses supporters dès les premiers instants. Dimitri Payet arrive pour un montant record de 30M€, quelques mois après son départ à West Ham. Morgan Sanson rejoint également le Vieux Port contre une dizaine de millions, aux côtés de Patrice Evra et Grégory Sertic. 44 millions dépensés dès le premier hiver. Ils ne seront que la bande-annonce d’investissements assez critiquables et parfois très peu réfléchis. Mais ça, on ne le sait pas encore.
Un projet « Fausse C1 » chez les phocéens
L’Europa League et rien d’autre
Les premières pierres sont désormais posées. De nombreux changements ont eu lieu sur la Cannebière, et ce à tous les niveaux du club. Et dans un football où l’économie est en grande partie générée par les agents et autres intermédiaires, intervient la fameuse « liste noire d’Eyraud ». Dans cette liste, le dirigeant place une vingtaine de noms d’agents avec lesquels il ne travaillera jamais, à la quête d’un environnement plus sain et d’une dépendance à ces derniers moins importante. Au fil des mercatos, l’OM semble tourner sa stratégie de recrutement sur des joueurs d’expériences, parfois à des salaires pouvant poser problème sur une vision à plus long-terme. Et même si la formation était l’un des quatre axes phares du projet McCourt – Eyraud, l’objectif semble clair : aller chercher la Ligue des Champions le plus rapidement possible, et déclencher un cercle économique vertueux grâce aux revenus importants engendrés par la compétition.
Le problème, c’est que le monde du football est complexe. Même si l’argent reste LE pilier principal dans la recherche du résultat, les 22 joueurs se disputent malgré tout toujours la victoire sur le terrain. Le club fait une bonne deuxième partie de saison à l’arrivée du nouveau board, allant chercher de justesse l’Europa League. La saison suivante, c’est en fin d’exercice que les hommes de Rudi Garcia craquent, laissant la place en Ligue des Champions au rival lyonnais, pour un simple petit point. Enfin, la saison 2018-2019 sera clairement la pire que Jacques-Henri Eyraud ait vécue à la tête de sa nouvelle entreprise équipe : une cinquième place en championnat et trois éliminations précoces en coupes, dans des conditions parfois frôlant le ridicule. Mais alors qui du diplômé de Harvard ou du coach est-il le plus fautif dans cette détérioration progressive de la situation du club ?
L’erreur Garcia
Il est évident que les deux hommes possèdent leur part de responsabilités, cependant c’est bel et bien le premier qui a prolongé le second en début de saison dernière. Une décision qui ne semblait sans doute pas si ridicule suite au parcours historique de l’OM en C3 la saison passée, mais manquant très clairement de recul : un nouveau contrat, et une prime de licenciement forcément revue à la hausse à l’aube d’une saison qui montrera l’erreur faite par Eyraud. De quoi empêcher tout renvoi du coach au long d’une saison qu’on peut quasiment définir de pathétique, ayant pour finalité l’accentuation d’une haine totale des supporters envers leur coach, mais surtout envers celui qui l’a embauché (puis prolongé). Dans cette faillite collective, la tête de turc possède des lunettes.
Je ne suis pas un Eyraud
Un bilan catastrophique
Après quasiment trois années maintenant, il est donc l’heure des premiers bilans. Et il faut dire que le mot « fiasco » ne serait pas éloigné de la vérité. Un fiasco économique, et l’obligation de conclure un deal avec l’UEFA dans le cadre du fair-play financier suite à un déficit de 70 millions d’euros. Un fiasco également sportif, avec pour seule satisfaction un bon parcours en Europa League, bien trop faible pour compenser les nombreuses désillusions. Mais aussi un fiasco sur le plan de la communication, pourtant domaine de prédilection du natif de Paris (parce que oui, en plus il vient de Paris) qui aura fait le pain béni des médias sportifs avec un enchaînement presque hebdomadaire de déclarations frôlant le ridicule.
Le football ce n’est pas FIFA, le football ce n’est pas Disney. Cerise sur le gâteau, Eyraud a également réussit à ternir l’image du club dans la bulle du foot, en utilisant parfois de drôles de méthodes juridiques afin de mettre un terme aux contrats de joueurs trop chers (qu’il a bien entendu signés au préalable).
Des torts partagés
Cependant, il n’est pas le seul coupable. L’Olympique de Marseille n’était déjà pas dans une situation géniale au moment de son rachat, et tout changer en trois ans semblait déjà impossible. Malgré tout, il est flagrant (et je vous l’accorde, c’est plus facile à dire qu’à faire) que JHE a raté son entrée dans un secteur où l’expérience lui manquait. Mais quid des personnes autour de lui, aux années dans ce monde du football et du sport plus nombreuses, ayant coulé en se cachant derrière « Jacques-Henri le débutant » ? De McCourt, qui place au premier plan et au poste le plus décisif un débutant ? D’Andoni Zubizarreta, le grand recruteur du Barça venant de découvrir qu’il était plus facile d’attirer des joueurs aux côtés de Messi que de Thauvin ? Ou bien de Rudi Garcia, dont les maux reflètent à merveille les lacunes des entraîneurs français dans leur quasi-totalité ?
Et maintenant ?
Aujourd’hui, nul ne sait ce que compte faire l’investisseur américain de Jacques-Henri Eyraud. Mais une chose est sûre : le Champions Project va mettre plus de temps que prévu. Et les mercatos à 44 millions, ça ne devrait pas être avant quelques années. Alors qu’un nouveau cycle démarre avec la venue d’André Villas-Boas au club, et qu’Eyraud possède désormais sa petite bouteille en tant que dirigeant, le temps nous montrera si le club est toujours sur une pente descendante ou si certaines personnes ont appris de leurs erreurs passées.