Moins médiatisée que les deux précédentes, la saison du RB Leipzig est en fait la plus aboutie des trois apparitions du club saxon dans l’élite allemande. Coup de projecteur sur la maîtrise lipsienne, de la direction au rectangle vert.
Poison énergisant
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les débuts du groupe Red Bull outre-Rhin sont loin d’être tout roses. Si le football n’est pas exempt de toute critique concernant certaines de ses tendances toujours plus capitalistes, l’ascension de Red Bull dans ce monde-là fait figure de comble. Alors quand le groupe annonce l’implantation d’une franchise en Allemagne et donc dans un championnat du big five, le tollé suscité est de taille. En plus de la motivation davantage marketing que footballistique sont reprochées au RB Leipzig les petites ruses pour contourner le règlement.
En effet, il est interdit en Allemagne pour un sponsor de donner son nom ou son image au club. Ainsi, Leipzig ne peut en théorie pas prendre le préfixe de son ainé, le Red Bull Salzburg. Qu’à cela ne tienne, le « RB » sera l’acronyme de « Rasenballsport », soit littéralement « sport de ballon sur pelouse ». Un brun ridicule quand personne ne désigne le Fußball ainsi. Quant à l’écusson du club, l’appellation Red Bull se voit supprimée et les taureaux très légèrement modifiés pour « neutraliser » le logo de la marque.
Bull au ventre
Par ailleurs, Red Bull use également de ruses pour contourner le règlement administratif. C’est le cas de leur application pour le moins à la lettre de la règle du 50+1. Elle stipule que chaque club de Bundesliga doit détenir la majorité des parts de vote à son conseil d’administration. Sur un système proche de celui des socios en Espagne, elle est censée protéger le football allemand des investisseurs extérieurs.
Red Bull a simplement fixé un prix d’adhésion très haut pour y fixer des… cadres de Red Bull. Ainsi, quand Dortmund compte 140 000 membres à 62€ par an, être adhérent à Leipzig coûte 1 000€, et ce, sans droit de vote. Au bout du compte, le RB Leipzig ne dénombre que 17 membres votants. Ajoutez à cela une politique très agressive sur le recrutement des jeunes pour un modèle économique fondée sur le trading de joueurs, et vous obtenez le club le plus détesté d’Allemagne.
Le dégoût donne des ailes
Mais quoi que l’on pense des politiques de la firme autrichienne, force est de constater la très bonne gestion du club. Après le rachat du SSV Markranstädt, il aura fallu moins de dix ans aux dirigeants pour s’imposer comme un gros poisson du football allemand. Ce club quasiment inconnu de cinquième division fut le terreau fertile de Red Bull. En 2009, le groupe en achète la licence, change le nom, le logo, le maillot et y injecte un important capital.
Sept ans et cent millions d’euros plus tard, le voilà en Bundesliga. 2016-2017 est leur première saison dans l’élite. Une édition en coup de canon, puisque la folle équipe de Leipzig – toujours sous les huées – finit dauphin. Elle se paie même le luxe d’occuper la première place pendant deux semaines. Moins glorieux, l’exercice suivant s’achève sur une sixième place, même si le club ne pointe qu’à deux unités du podium. Arrive donc la saison actuelle.
Bien qu’éclipsées par celles du BVB, les performances de Leipzig sont en fait très honorables. Seule une mauvaise fin d’année 2018 empêche les Roten Bullen de jouer les trouble-fête dans la course au titre entre le Bayern et Dortmund. En effet, le RB Leipzig a effectué une très belle phase retour et a même conservé une invincibilité de janvier à la dernière journée. Seul le Bayern fait mieux sur 2019.
Ça décolle
Cette ascension fulgurante n’est évidemment pas le fruit d’un seul homme, mais une grande part du mérite revient à Ralf Rangnick. Directeur sportif du RB Leipzig depuis 2012 et entraîneur en parallèle en 2015-2016 et 2018-2019, il est véritablement l’âme du club. Ses faits d’arme, la progression du club en plus d’avoir réuni Naby Keita, Timo Werner, Yussuf Poulsen et Emil Forsberg dans une même équipe, parlent pour lui. D’ailleurs, Rangnick est aussi directeur sportif du RB Salzburg de 2012 à 2015.
Sa méthode consiste en trois piliers : Kapital, Konzept und Kompetenz (argent, idée et compétence). Facile quand le propriétaire s’appelle Red Bull, lui retorque-t-on souvent. Mais bien que « cela aide effectivement, quand vous n’avez pas à compter chaque euro », admet-il à la Deutsche Welle, cela ne fait pas tout. « On critique toujours notre club par le prisme de l’argent, se défend-il, mais il y a plein de clubs dans ce cas. L’argent ne fait pas tout. Prenez le classement de Bundesliga, il ne reflète pas le budget des clubs ».
La différence s’est très probablement jouée dans la sagesse avec laquelle cet argent a été dépensé. Quand certains ne font venir qu’une ou deux stars en espérant créer un effet boule de neige, Rangnick a, avec Oliver Mintzlaf le président, tout misé sur la formation de jeunes. C’est ainsi qu’est aujourd’hui Leipzig un club pérenne. Une des meilleures académies d’Europe et un réseau de clubs de New York à Salzburg en passant par São Paulo qui assurent plusieurs générations de jeunes talents à développer et à revendre.
Cas d’école
Mais puisque tout ne se joue pas derrière un bureau, qu’en est-il sur le terrain ? La formation d’ores et déjà emblématique du RB Leipzig n’est autre que le 4-4-2 à plat. Utilisée presque exclusivement depuis la montée en 1.Bundesliga, elle se montre particulièrement efficace. Ce dispositif se déploie rapidement en 4-2-2-2 quand l’équipe a la possession du cuir. Ainsi, Rangnkick prône et facilite le jeu entre les lignes en transition pour atteindre la pointe Poulsen-Werner. Pour ce faire, la montée des latéraux permet aux milieux gauche et droit que sont Forsberg et Sabitzer de s’intercaler vers l’intérieur et favorise les combinaisons.
Mais c’est bien le jeu sans ballon qui fait figure de marque de fabrique de l’équipe de transition qu’est le RB Leipzig. Connu et reconnu, le pressing lipsien met à mal une bonne partie des équipes de Bundesliga, même quand elles jouent à cinq défenseurs. Les attaquants et les milieux offensifs pressent en ligne de quatre. La proaction est la règle, puisque le joueur le plus loin du ballon commence déjà à presser le receveur potentiel de deux ou trois passes plus tard. Derrière, les milieux centraux assurent la deuxième lame. Selon l’agressivité requise, ils sont parfois accompagnés des latéraux. Enfin, il faudra ensuite passer la défense centrale, menée par l’emblématique Willy Orban et dont la solidité est l’agréable surprise de cette saison puisqu’elle est celle qui a encaissé le moins de buts en Bundesliga.
Looping
Le RB Leipzig est donc un club très bien géré, dont les critiques n’ont pas fait fuir la compétence. Avec des débuts en Bundesliga qui surpassent toutes les espérances, les ambitions des dirigeants semblent désormais encore plus hautes qu’un « simple » maintien dans les places qualificatives pour la Ligue des Champions. Vice-champion des trois championnats professionnels allemands et tout récemment finaliste de la coupe, le club espère enfin ouvrir son palmarès national.
Par conséquent, Leipzig commence à sortir l’artillerie lourde. Cet été, Ralf Rangnick se retirera de ses fonctions d’entraîneur pour se concentrer sur le poste de directeur sportif qu’il occupera au moins jusqu’en 2021. Côté banc, c’est le jeune et talentueux Julian Nagelsmann, véritable étoile montante du coaching allemand, qui entraînera les Rotten Bullen la saison prochaine. Lui qui n’est pas très adepte du 4-4-2 à plat sera très intéressant à suivre, notamment pour savoir si le RB Leipzig conservera cette jeune identité de jeu en transition ou s’il va les faire progresser dans le domaine des attaques placées. Voire les deux ?