L’issue du feuilleton politique lié au Brexit reste aujourd’hui, alors que la date butoir approche, très incertaine. Et comme football et politique sont étroitement liés, l’incertitude est aussi de mise du côté du rectangle vert, notamment pour la Premier League et la sélection anglaise. Bénéfique, dramatique ? Qu’en sera-t-il du football anglais après le Brexit ?
Le gazon est plus vert ailleurs
Nous ne connaissons certes pas encore les modalités du Brexit. Mais qu’il soit doux ou dur, il y a de fortes chances qu’il soit préjudiciable pour la Premier League et le football anglais. En effet, outre des mesures telles que l’agencement des terrains, la couverture médiatique, le merchandising, le soin aux pelouses ou les arbitres dont on ne parlera pas ici, la Premier League doit aussi et surtout sa renommée à ses acteurs.
Des acteurs qui sont, pour une grande majorité, étrangers. Lors de la saison inaugurale 1992-1993, 70% des joueurs titulaires étaient anglais. Le rapport s’est inversé puisqu’on n’en dénombre plus que 33% en 2017-2018. Alors qu’à titre de comparaison, les Espagnols représentent aujourd’hui 58%, les Français 53%, les Allemands 47%, et les Italiens 43% des titulaires dans leurs championnats respectifs. Les clubs anglais semblent avoir largement exploité (abusé ?) les mesures du traité de Maastricht de 1992 et de l’arrêt Bosman de 1995.
Pour rappel, le traité de Maastricht instaure, entre autres, la citoyenneté européenne, la libre-circulation et le libre-séjour des citoyens à l’intérieur de l’UE. Quant à l’arrêt Bosman, il met fin à la limitation à trois joueurs étrangers sur la feuille de match. En outre, un joueur en fin de contrat peut désormais partir libre. Des mesures ayant des énormes répercutions sur le football au nom de la libre-concurrence et fondant ainsi sa forme moderne. Il n’y a plus de limite sur le nombre de joueurs européens par club, le marché des transferts peut donc exploser. En revanche, les talents des petits pays fuient vers les ogres du big four et les finales de Ligue des Champions dont les protagonistes étaient Belgrade ou Bucarest appartiennent désormais au passé.
Manque à gagner
Le Brexit compromet donc fortement ces paramètres actuels pour la Premier League. Car les joueurs européens seront alors considérés comme extracommunautaires aux yeux de la FA – à ne pas confondre avec les extracommunautaires des compétitions UEFA. On peut donc imaginer une paperasse plus lourde et plus stricte concernant l’obtention de visas et de permis de travail. Ces démarches pourraient décourager les joueurs et agents. En effet, les conditions d’obtention du permis de travail seraient drastiques. Le joueur devrait avoir joué 30% des matchs de sa sélection si elle figure dans le top 10 du classement FIFA lors des deux dernières années. Et cela monte à 45% pour le top 20, 60% pour le top 30 et 75% pour le top 50. Concrètement, puisque la France était seizième de ce classement en 2015, N’Golo Kanté n’aurait pas pu signer à Leicester à moins d’obtenir une exemption. Pareil pour Anthony Martial, Alexandre Lacazette et Aymeric Laporte.
Mais ces démarches peuvent surtout engendrer des coûts supplémentaires. Kieran Maguire, expert financier du football, estime cette hausse sur les prix de 10 à 15%. Ce sont cette fois les clubs qui pourraient être découragés. Et dans la pratique, les joueurs étrangers se voyant limités en nombre gagneraient de la valeur et deviendraient des franchise players à la manière des joueurs désignés en MLS. Une star telle que Paul Pogba verrait donc son prix augmenter par deux fois : l’une pour la rareté, l’autre pour la contrainte. D’autant plus qu’en parallèle, le pouvoir d’achat des clubs pourrait chuter en même temps que le cours de la livre sterling. Ainsi, tout joueur étranger représentant désormais un investissement et un risque considérable, les clubs anglais auraient tout intérêt, et de toute façon l’obligation compte tenu des quotas, à s’appuyer sur les joueurs anglais.
Une histoire de plafond
La FA (Football Association) l’a bien compris. Dès novembre 2018, elle soumet une première proposition qui, même si elle assure le contraire, sent bon la prévision d’un éventuel hard brexit. La FA souhaite diminuer le plafond de 17 à 13 joueurs étrangers sur un groupe de 25. Comprenez, puisque les quotas sont interdits par l’arrêt Bosman, que le nombre minimum de joueurs formés au pays passerait de 8 à 12.
Le changement ne semble pas si drastique. Pourtant, si l’on appliquait la mesure aujourd’hui, les trois quarts des clubs de Premier League ne seraient pas en règle. Et ils ne souhaitent pas non plus s’y plier. Étant donnée l’attractivité que représentent les stars étrangères, la manne financière est trop importante pour les clubs du championnat le plus lucratif du monde. De là, on ne prend pas beaucoup de risques en affirmant que les maillots de Liverpool pullulent en Égypte. De même que les Français s’étaient passionnés pour l’Arsenal d’Arsène Wenger et ses fameux Henry, Vieira, Pirès, Anelka ou Petit.
It’s coming home
Malgré l’opposition de la Premier League, la FA voit le Brexit par un autre prisme. Celui du renouveau pour la sélection nationale. Plus axés sur la formation de joueurs anglais, les clubs les formeraient en plus grand nombre et avec plus d’attention pour compenser la perte de niveau des stars étrangères parties. Ces jeunes auraient également plus de temps de jeu, plus tôt. En résulterait donc une amélioration des rangs de l’équipe nationale. Et il est vrai la sélection de la perfide Albion est pour le moins perfectible. En effet, le football n’est « retourné à la maison » qu’une seule fois, lors de la Coupe du monde 1966. Et ce, sans être exempt de controverse et alors que l’Angleterre était pays hôte.
Du reste, on ne compte que deux demi-finales en quinze participations au Mondial, et aucune finale de Championnat d’Europe. La sélection sous-performe toujours autant depuis l’internationalisation (et la hausse de son niveau) du championnat anglais. Malgré une génération dorée composée des Ferdinand, Lampard, Rooney, Beckham, Cole, Gerrard, Neville, Scholes qui menaient les clubs anglais dans chaque finale de Ligue des Champions de 2005 à 2009, elle n’atteint que les quarts du Mondial 2006 et ne se qualifie même pas à l’Euro 2008. Maigre bilan pour le berceau du ballon rond.
L’offre et la demande
Alors, le Brexit, bénéfique au football anglais ? La Premier League soutient le contraire. Elle qui militait déjà contre le Brexit lors du référendum, s’est opposée aux propositions de la FA en novembre dernier. Selon elle, rien ne prouve que de plus grands quotas de joueurs formés au pays auraient un impact positif sur la sélection nationale. Et on peut se questionner. Qu’il y ait plus de joueurs anglais est une certitude. Que la qualité suive la quantité, beaucoup moins.
La qualité pourrait d’abord décliner pour des raisons de suffisance. Dans la mesure où les joueurs anglais bénéficieront de plus de places dans les clubs anglais, ils auront moins de raisons de hausser leur niveau. La méritocratie qu’impose l’économie actuelle du football place les meilleurs joueurs dans les meilleurs championnats. De fait, les joueurs anglais qui font leur trou en Premier League ont réellement fait leurs preuves puisqu’ils sont soumis à la concurrence des stars étrangères. « Si tu n’es pas bon, je prendrai un Espagnol », pensent les coachs. Une fois sortis de ce système, les jeunes anglais passés professionnels seront quasiment assurés d’une belle place dans la hiérarchie de leur club outre-Manche. Alors à quoi bon se fouler ?
De plus, la sélection nationale n’obtenait en fait pas de meilleurs résultats lorsque le championnat était presque uniquement britannique. Hors 1966, il y eut autant de demi-finales de Coupe du monde et d’Euro avant (respectivement 1990 et 1968) qu’après (respectivement 2018 et 1996) l’internationalisation du championnat. Si la Premier League n’avait aucune preuve de l’impact positif de plus forts quotas sur la sélection nationale, il semblerait qu’elle ait même de quoi penser le contraire.