Impossible de regarder un match de football sans avoir une pensée pour les supporters. Interdits de déplacements, bruyants, discrets, absents pour cause de huis-clos, en grève… Les supporters sont partout dans l’univers footballistique, en France comme ailleurs. Pourtant, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Retour sur les débuts du supporteurisme dans le football.

Un mouvement assez lent

Il est assez difficile de dater exactement les débuts du supporteurisme. Aux origines du football, les matchs se disputent certes devant les yeux d’un public parfois nombreux – on compte plusieurs milliers de supporters pour le match amical Écosse – Angleterre du 30 novembre 1872, dans la banlieue de Glasgow -, mais on ne peut pas encore parler de supporteurisme en tant que tel. Certes, le public soutient une nation, parfois avec acharnement, mais n’est pas dans un mouvement construit et organisé. Dans le public, de nombreuses personnes ignorent presque les règles de ce qui deviendra le sport le plus populaire du monde.

Jusqu’à la première guerre mondiale, alors que les fédérations se mettent peu à peu en place, les supporters sont très peu nombreux. Il est même plutôt mal vu, en France, d’afficher de manière trop véhémente son soutien pour une équipe. Dans les stades, quelques chants résonnent lors des matchs des équipes nationales, mais rien de plus que les hymnes nationaux parfois repris en cœur par… quelques dizaines de personnes. Oui, pas vraiment de quoi soulever les foules.

Mais pendant l’entre-deux-guerres, notamment outre-Manche, un mouvement va émerger de soutien régulier aux équipes de clubs. Le public ne vient plus seulement assister aux matchs ou encore apprendre les règles, mais vient bien franchement encourager les siens. Cependant, il est encore trop tôt pour parler de supporteurisme comparable à celui existant aujourd’hui.

L’après-seconde guerre comme naissance du supporteurisme

Il faut vraiment attendre l’après-seconde guerre mondiale pour que les premiers groupes de supporters apparaissent. L’élément déclencheur sera la catastrophe du Superga, le 4 mai 1949. Dans cet accident, l’avion de l’équipe du Torino champion d’Italie, de retour du Portugal, s’écrase et trente-deux passagers trouvent la mort. Entre 1952 et 1956, les premiers ultras vont donc voir le jour à Turin. La Fedelissimi Granata est officiellement fondée au mois d’août 1956. Ceux qu’on commence à appeler depuis déjà quelques saisons tifosi s’organisent en un mouvement clair et unique dans le but de soutenir leur équipe. C’est la naissance du supporteurisme moderne. Le mouvement va ensuite essaimer en Italie, sous des formes diverses.

Ainsi, l’Internazionale, à Milan, va voir ses mouvements de supporters fortement liés à la présidence : l’émanation de cette volonté est la naissance de l’Inter Club Moschettieri. Ce qui pourrait être une exception devient en fait la norme en Italie. Les circolo biancoceleste de la Lazio de Rome sont ainsi constitués avec un très fort soutien de l’équipe dirigeante.

Bien qu’en pratique s’approchant assez fortement de ce que l’on nommera plus tard ultras, ces mouvements italiens n’en sont pas encore. En tout état de cause, ils ne se revendiquent pas de cette mouvance. Il faut attendre les années 1960 pour que, toujours en Italie, les tifosi deviennent des ultras. Les profondes mutations sociales de l’époque vont provoquer un désir d’émancipation chez les jeunes ; et le stade va devenir un moyen de s’autonomiser. Les bandes de jeunes, dans les stades, se regroupent aux places les moins chères, les curva, virages en français. Ainsi naîtront les premiers mouvements ultras, comme la Fossa dei Leoni, la fosse aux lions du Milan AC en 1968, le long de la porte numéro 18. Ce groupe sera le premier à se marquer politiquement. Fortement ancré à gauche, la Fossa a longtemps utilisé le Che Ernesto Guevara en emblème.

Exportation

Après avoir conquis l’Italie, par le biais par exemple à l’Inter des Boys San 1969 ou encore à la Sampdoria des Ultrà Tito Cucchiaroni, le mouvement ultra va très vite traverser les frontières. Le Portugal et l’Espagne seront touchés dans les années 80, avec notamment en emblème les Ultras Sur du Real Madrid, politiquement connotés très à droite. En France, cela sera d’abord le Commando Ultra de l’Olympique de Marseille. Sur le même modèle se forment dans les années suivantes les Boulogne Boys, ultras du Paris Saint-Germain. Et il est assez amusant de voir que l’un des fondateurs des Boulogne Boys entretient des relations très cordiale avec son homologue marseillais, allant jusqu’à dormir chez lui à plusieurs reprises afin de l’aider à construire son groupe à Paris.

En Allemagne, cependant, le modèle ultra tel que conçu dans les discussions en France n’est pas vraiment présent historiquement. Bien sûr, il y a bien les Prosillos Ultras, à Fribourg en 1996. Mais très globalement, les groupes ultras souffrent de la concurrence des fans-clubs, déjà organisés depuis des décennies, et qui occupent les virages, s’occupant eux-mêmes des animations. En Angleterre – et notamment à cause de la défiance du hooliganisme – les groupes ultras sont quasiment absents de l’échiquier. S’il faut nommer un fondateur du mouvement outre-Manche, c’est peut-être les Holmesdale Fanatics, qui sévissent à Crystal Palace depuis 2005 seulement.

Notons néanmoins une bonne exportation du mouvement ultra dans les pays plus « mineurs » de football, notamment en Europe centrale, et, dans une certaine mesure, en Europe orientale. En Pologne, on trouve de nombreux mouvements ultras très respectés à travers le monde. Un système d’alliances extrêmement complexe vient rendre le tout encore plus passionnant à suivre. Il faut néanmoins malheureusement rappeler que les groupes ultras sont bien souvent à l’origine de rixes et de joutes, qui ne font pas partie de l’essence du mouvement.

Les supporters polonais sont bien plus libres que leurs homologues français (Crédits : Legia Warszawa)
Les supporters polonais sont bien plus libres que leurs homologues français (Crédits : Legia Warszawa)

Des mouvements similaires

Outre le mouvement ultra, le supporteurisme s’accompagne de mouvements similaires en Amérique du Sud, mais qui n’ont, généalogiquement, pas grand chose à voir avec le mouvement ultra. La seule origine commune consiste dans le fait d’être des groupes plus ou moins indépendants des clubs. Ces groupes, notamment au Brésil, ont un noms : les torcidas organizadas. Elles occupent elles aussi les virages, ou, à défaut, les tribunes debout des stades. On observe également la présence de bâches revendiquant le nom de la torcida, ainsi que l’existence de chants bien particuliers. La première torcida apparaît sans doute à São Paulo en 1939. Il s’agit de la TUSP, qui soutient le São Paulo FC. Le terme torcida se retrouve en Yougoslavie, chez les fans du Hajduk Split, parfois considérés comme le plus ancien groupe en Europe.

Un autre mouvement proche des ultras mais qui n’est pas assimilé à eux existe dans la Hongrie à la toute fin du dix-neuvième siècle. Il s’agit de l’encartement des Fradi-Sziv, les supporters du Ferencvaros, le plus grand club du football hongrois. Les supporters sont alors encartés, selon un système d’abonnement à des tarifs différents. Les supporters les plus fanatiques peuvent prendre la carte verte, nominative, qui leur confère un statut de supériorité dans la manière dont ils supportent leur équipe. Les simples sympathisants ont la « carte blanche », anonyme, et qui est aussi beaucoup moins chère. Elle permet néanmoins l’accès à la tribune des Fradi-Sziv, ce qui est un avantage non négligeable.

Aujourd’hui, le mouvement ultra est présent un peu partout en Europe et dans le monde. Il fait intégralement partie de la culture footballistique. Et bien souvent, ce sont chez les ultras que l’on trouve l’âme des stades. Et sans âme, beaucoup de philosophes pensent que le corps ne peut pas vivre.

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