De ses succès dans son pays natal à Ujpest au doublé continental avec le Benfica Lisbonne en passant par des succès en Uruguay et au Brésil, Béla Guttman aura tout connu dans près de vingt-cinq clubs en quarante ans. Retour sur un autre génie hongrois dans ce nouveau portrait d’un des entraîneurs révolutionnaires du football.
Jeunesse austro-hongroise
Béla Guttman est né le 13 mars 1900 à Budapest. La ville se situait dans ce qu’était à l’époque l’Autriche-Hongrie. Très jeune, il suit la carrière de ses parents qui sont alors professeurs de danse. Dès ses seize ans, il devient à son tour professeur et sa carrière semble toute tracée. Toutefois nous ne parlerions pas de lui si sa vie n’avait pas connue un autre tournant.
Alors qu’il approche de la majorité, il se laisse tenter par sa curiosité. A l’époque, le sport le plus populaire en Autriche-Hongrie était le football. Il décide alors de se lancer dans ce sort réputé « de pauvre » contrairement à la danse.
Une carrière de joueur fructueuse
Béla Guttman lance sa carrière de footballeur en 1918. Il joue alors en tant que latéral dans le petit club du FK Torekvas. Issue d’une famille juive, il rejoint dès l’année suivante le MTK Budapest, un des plus gros clubs du pays, qui plus est géré par des juifs. Il est alors entraîné par un certain Jimmy Hogan, qui sera l’un des pionniers de la mise en place du XI d’Or Hongrois sous Gustav Sebes. Guttman ne reste que deux saisons dans la capitale hongroise mais parvient à glaner deux titres de champion.
En 1921 il, fuit le pays en raison de la montée de Miklos Horthy, régent de Hongrie antisémite et anticommuniste. Il rejoint alors l’Autriche et plus précisément Vienne, ou il s’engage avec le Hakoah. Au bout de trois saisons de montée en puissance, les viennois remportent le titre national en 1925.
Le rêve américain
Un an plus tard, l’Hakoah Vienne organise une tournée aux Etats Unis d’Amérique. Lors de cette tournée, Guttman tombe amoureux de New York et décide de ne pas rentrer en Europe. Il rejoint alors les Brooklyn Wanderers avant de créer son propre club : le Hakoah New York. Dès sa première saison, le club parvient à créer l’exploit de remporter la Coupe des Etats-Unis. Béla Guttman revient à l’Hakoah de Vienne en 1932 après la dissolution de la Ligue Nord Américaine. Le hongrois n’y reste qu’une seule saison avant de prendre en charge cette même équipe, ce qui fut le début d’une longue carrière de vingt-cinq club en l’espace de quarante ans.
Guttman : entraîneur globe-trotter
C’est donc en 1933 que débute la carrière d’entraîneur de Béla Guttman. Le premier club du hongrois fut là où se termina sa carrière de joueur. L’Hakoah de Vienne. Cette première saison à la tête d’une équipe frôle la catastrophe. Marqué par les lourdes défaites face aux rivaux du Rapid, Austria et Admira Vienne (5-2, 5-0 et à nouveau 5-2), l’Hakoah finit dixième sur douze à deux points de la relégation. La deuxième saison est similaire. Humiliation contre le Rapid (1-8), l’Austria (5-2) et l’Admira (1-5). Les viennois finissent une nouvelle fois dixième.
Après deux saisons à l’Hakoah, Guttman quitte l’Autriche et rejoint les Pays Bas. Il s’engage au SC Enschede (aujourd’hui connu sous le nom de FC Twente). Alors que sa carrière d’entraîneur était jusqu’ici peu satisfaisante, Guttman réalise une saison parfaite. Grâce à quinze victoires en dix huit rencontres, le club remporte la division de l’est. Cela leur permet de se qualifier pour les play-offs nationaux. Malheureusement, Guttman ne peut pas lutter face au Feyenoord mais termine deuxième ex-æquo avec l’Ajax. La deuxième saison est moins bonne, le SC Enschede termine quatrième de sa conférence et Guttman quitte le club.
Sacré en Hongrie
Alors qu’il était aux Pays Bas, l’Hakoah Vienne fut relégué en seconde division autrichienne et fit appel à l’entraîneur hongrois pour tenter de sauver le club. Malheureusement, Guttman n’y parvient pas et le club est dissout à la fin de cette saison 1938.
Dès la saison suivante, c’est dans son pays natal que Béla Guttman va reprendre du service. C’est l’Ujpest qui s’attache les services du hongrois. Lors de cette saison, le magyar va parvenir à remporter son premier titre majeur en tant qu’entraîneur. Il fut en effet sacré champion de Hongrie, avec la manière. En 1939 également, il réalisa le doublé grâce à sa victoire en Coupe Mitropa, compétition créée par Hugo Meisl. Après une victoire contre l’Inter Milan en quart de finale (4-2), Ujpest disposa de Belgrade (5-9) en demi. Enfin, c’est face à un autre club hongrois, Ferencvaros que Guttman remporte son premier trophée continental.
Suite à cette saison, le football est mit entre parenthèses à cause du début de la Seconde Guerre Mondiale. En ce qui concerne Guttman, certains disent qu’il s’est réfugié en Suisse, d’autres affirment qu’il a survécu aux camps de concentration. Interrogé à de nombreuses reprises sur ce sujet, Béla Guttman à toujours répondu par la même phrase : « Seul Dieu m’a aidé ».
Après la seconde guerre mondiale, Ujpest sera de nouveau sacré champion de Hongrie sous Guttman, en 1947.
L’épisode Kispesti
En 1947, après son sacre avec Ujpest, Béla Guttman se voit proposer le poste d’entraîneur du Kispesti AC, futur Budapest Honved. Il a alors sous ses ordres un grand nombre de joueurs encore méconnus mais qui seront des stars de l’Aranycsapat hongrois sous Gustav Sebes. Parmi eux, Sandor Kocsis, Zoltan Czibor et surtout Ferenc Puskas. Son passage au club fut très bref, cela pour une raison plutôt originale.
Lors d’une rencontre de championnat, Béla Guttman est très énervé. Son défenseur Mihaly Piaty n’exerce pas la pression haute qu’il demande à son équipe. A la mi temps, il lui ordonne de rester dans les vestiaires, affirmant qu’il préférait jouer à dix contre onze. Les changements n’étaient en effet non autorisés à cette époque. Ferenc Puskas fut contre cette décision et ordonna à Piaty de rentrer sur le terrain. Le défenseur écouta son capitaine et l’équipe rentra sur le terrain à onze. Béla Guttman ne dit rien. Il quitta le bord du terrain pour s’installer en tribunes. A la fin du match, il ne passa pas par les vestiaires, l’entraîneur démissionna immédiatement au bout de seulement quelques mois.
Suite à cet échec, Béla Guttman partira explorer de nouveaux horizons, plus exotiques.
Tour du monde des clubs
Béla Guttman ne s’est jamais réellement posé dans un club. Il n’est jamais resté plus de deux saisons consécutives au sein d’un même équipe. Ainsi, c’est en Italie que Guttman pose ses valises en 1949. Il enchaîna Padoue puis Trieste avant de s’envoler pour l’Argentine en 1953. Au pays de Juan Peron, c’est à Quilmes que l’entraîneur hongrois s’installe. Toutefois, il n’y restera que quelques mois. En effet, durant l’année 1953, Guttman enchaîna trois clubs dans trois pays différents. D’abord Quilmes, puis Nicosie et enfin le premier gros club de sa carrière d’entraîneur : l’AC Milan.
Lors de sa première saison, il fait bonne figure et s’adapte bien à la philosophie et la mentalité de jeu italienne en finissant troisième. Lors de sa seconde saison, l’AC Milan est premier à la mi- saison. Tout va pour le mieux et pourtant, Béla Guttman est limogé sans qu’aucune explication rationnelle ne fasse surface.
Il reprend alors sa carrière de « globe trotter », restant d’abord en Italie, à Vicense, avant de revenir le temps d’une saison au Budapest Honved en 1956. Guttman y retrouve alors Ferenc Puskas, dont la relation au Kispeti était très froide. Il s’envola ensuite pour le Brésil afin de fuir la répression de Budapest. Cela provoquera les départs de tous les joueurs de l’effectif. Kocsis et Czibor signèrent à Barcelone tandis que Ferenc Puskas s’engagera avec le Real Madrid. Alors au Brésil, Guttman rejoint le Sao Paulo FC. Dès sa première saison, il remporte le championnat et soulève ainsi son premier titre depuis dix ans. Comme à son habitude, il ne reste qu’une saison avant de s’envoler pour un nouveau pays. Celui qui l’emmènera à la gloire, au sommet de son œuvre…
Cap sur le Portugal !
Après son sacre au Brésil, qui prouve son talent quelque soit le continent, Béla Guttman jouit d’une belle réputation. De plus, la Hongrie est le pays qui attire et qui rayonne sur le monde du football grâce notamment à son Onze d’Or sous Gustav Sebes. Comme à son habitude, il quitte alors le Brésil à la recherche d’un nouveau club, d’un nouveau pays. Le neuvième pays dans lequel Guttman entraîna fut ainsi le Portugal. Le FC Porto parvient en effet à s’attacher les services du magyar grâce à un très bon contrat.
A l’époque, le FC Porto n’était pas le grand club qu’il est aujourd’hui. Les dragons furent champion à seulement trois reprises avant 1958. Toutefois, les portugais étaient dans une période faste, avec un doublé coupe-championnat en 1956 puis une autre coupe glanée quelques mois avant l’arrivée de Guttman.
Le natif de Budapest arrive en cours de saison, en novembre 1958 plus précisément. Il est déjà à l’époque le septième entraîneur hongrois de l’histoire du club. Guttman succède à Otto Bumbel, remercié alors que les dragons sont distancés de cinq longueurs par le Benfica. Les lisboètes étaient déjà le plus grand club du pays mais l’objectif était incontestablement le titre pour Guttman et ses hommes. Cette objectif fut rempli dès cette première saison. Grâce à un nouveau coup de génie qui ne fit qu’améliorer la réputation de l’entraîneur hongrois, le FC Porto est champion du Portugal. Comme à son habitude, Béla Guttman quitte le club dès la fin de saison.
Guttman au sommet de sa gloire chez le rival
Dès la saison suivante, Béla Guttman pose ses valises à Lisbonne pour entraîner le SL Benfica. A l’époque la rivalité entre Porto et Benfica était sans commune mesure avec celle d’aujourd’hui. Dès son arrivée, on sent que Béla Guttman a un projet qui s’inscrit davantage sur le long terme. En effet, l’entraîneur magyar vise avant tout sur une équipe jeune pleine de talent et de promesses. C’est pourquoi il libéra les contrats de près d’une vingtaine de joueurs de l’équipe première. Cela dans le but de promouvoir des joueurs de l’académie. Même s’il fut vivement critiqué lors de l’avant-saison pour des choix paraissant injustes, amateurs et très risqué, Guttman garde confiance. Une nouvelle fois, Béla Guttman remporte le titre pour la seconde année consécutive, de plus avec deux équipes différentes.
Les sentiers de la gloire
La deuxième saison est donc synonyme de participation en Coupe des Clubs Champions. Lors de cette saison 1961, Béla Guttman élimina tout d’abord son ancien club : Ujpest (7-4). En quart de finale, c’est face aux Danois d’Arhus que le Benfica passe sans problème (7-2). Alors dans le dernier carré, les portugais vont affronter le Rapid Vienne, club qui a toujours battu Béla Guttman sur un score large du temps de l’Hakoah. Cette fois ci, c’est les lisboètes qui s’imposent sans forcer (4-1) pour s’offrir une place en finale.
Cette grande finale a lieue à Berne, au même endroit ou les malheureux magyars s’inclinèrent en finale de la Coupe du Monde 1954 contre l’Allemagne de l’Ouest. Lors de ce 31 mai 1962, Béla Guttman a rendez vous avec l’histoire. Il a face à lui le grand FC Barcelone qui compte notamment dans ses rangs Kocsis et Czibor, anciens joueurs sous Guttman à Kispesti. Les lisboètes mènent 2-1 à la pause. Le but espagnol fut marqué par Czibor. Peu avant l’heure de jeu, Coluna fait le break. Malgré la réduction du score par Kocsis, les portugais s’impose 3-2 et Béla Guttman remporte sa première coupe européenne. Un trophée qui marquera à jamais l’histoire du football portugais. Le club réalise par la même occasion le doublé grâce à son nouveau titre en championnat.
La consécration d’une vie dédiée au football
La saison suivante, le club ne parvient pas à conserver son titre en championnat. Toutefois, Béla Guttman affronte de nouveau une vieille connaissance dès le premier tour. C’est en effet l’Austria Vienne qui se dresse face à eux. L’entraîneur magyar leur donne une leçon de football (6-2) et les portugais poursuivent le route. En quart de finale, Benfica triomphe face à Nuremberg (7-2) avant d’avoir plus de mal contre Tottenham (4-3). Le principal est là, Béla Guttman et le SL Benfica sont de nouveau en finale.
« Je m’en fous de prendre trois ou quatre buts, du moment qu’on en met cinq ou six »
– Béla Guttman à propos du nombre de buts que son équipe encaissait à l’époque
Cette fois, c’est face à la meilleure équipe de l’époque qu’ils vont tenter de soulever le trophée : le Real Madrid, mené par Ferenc Puskas. Au bout de vingt minutes, les magyars sont menés grâce à un doublé de l’attaquant hongrois. A la mi temps, le score est de 2-3 pour le Real Madrid grâce à un triplé… de Ferenc Puskas. Toutefois, il en faut plus pour destabiliser les aigles. Grâce à un doublé du futur Ballon d’Or 1965, Eusebio, les portugais remportent la deuxième coupe des clubs champions de leur histoire, face au Real Madrid de Puskas.
La malédiction
Béla Guttman a parfaitement réussi son pari. Avec une équipe jeune, inexpérimentée et modelée selon ses principes, notamment sa physionomie de jeu offensif à une touche de balle, son Benfica est devenu la nouvelle puissance européenne. Pour la première fois de sa carrière, l’entraîneur hongrois semble se sentir à l’aise et pourrait ainsi prolonger l’aventure.
Toutefois, Béla Guttman demande une prime à ses dirigeants pour avoir remporté pour la seconde fois consécutive la Coupe des Clubs Champions. Cette prime, les dirigeants lui accordent, mais bien en-deçà de ce qu’il demandait. L’entraîneur magyar refait une proposition mais elle est refusée. Furieux de ne pas être récompensé de ses efforts, Béla Guttman démissionne et maudit le club par une phrase qui restera à jamais gravée dans l’histoire du football.
« Je m’en vais en vous maudissant. A partir d’aujourd’hui et pendant 100 ans, Benfica ne remportera pas une Coupe d’Europe. »
Béla Guttman après avoir quitté Benfica en 1962
Un bilan record
Depuis cette malédiction, Benfica est l’équipe ayant perdu le plus de finales au monde ! Entre la Ligue des Champions et la Ligue Europa, ce n »est pas moins de huit finales que les Lisboètes ont perdus depuis 1962. En 2014, pour fêter les 110 ans du club, les dirigeants ont inauguré une statue en l’honneur de Guttman. Ceci fut réalisée dans le but de mettre un terme à la malédiction à quelques semaines de la finale de la Ligue Europa contre Séville. Malheureusement, cela n’a pas suffit et les portugais se sont cruellement inclinés aux tirs aux buts.
Lors de la saison 2012/2013, Benfica perd dans la même semaine la finale de l’Europa League contre Chelsea et le championnat portugais à Porto, suite à des buts dans les arrêts de jeu. Jorge Jesus s’effondrait à genoux à l’Estadio do Dragao (4’31), nous gratifiant d’une des plus émouvantes images de ces dernières années.
La tactique de Béla Guttman
Guttman avait un goût prononcé pour le football spectaculaire. Tactiquement, l’entraîneur magyar voulait que son équipe évite de faire des passes longues sauf en défense afin d’accélérer le jeu. Le une-deux suivi d’une frappe était l’une des armes les plus redoutables de son Benfica. Il souhaitait que son équipe soit sans cesse en mouvement, prêt à attaquer à la moindre perte de balle. « Quand on a le ballon, il faut se démarquer, faire des appels dans les intervalles. Et quand on ne l’a pas, on marque l’attaque adverse. » disait-il.
« Chaque équipe doit avoir un style de jeu qui lui est propre et mis en place par rapport aux qualités de ses joueurs. Toutes les équipes ne peuvent pas jouer avec le même système. Et le talent ne suffit pas. Les joueurs doivent avoir la rage de vaincre à chaque fois qu’ils entrent sur le terrain. »
Béla Guttman à propos de sa vision du football
Béla Guttman était également l’un des pionniers du système en 4-2-4 au Brésil, du côté de Sao Paulo. Mais par dessus tout, ce qui caractérisait Béla Guttman était un jeu résolument offensif. Peu importe si son équipe doit prendre deux, trois voire quatre buts, tant qu’elle en marque un ou deux de plus.
Béla Guttman décède le 28 août 1981 à l’age de quatre-vingt-un ans. Après son départ du Benfica, il enchaîna quelques expériences, poursuivant ainsi son tour du monde. Il sera sacré champion avec Peñarol en Uruguay et terminera sa carrière au FC Porto, tout un symbole. Le magyar inspirera un grand nombre d’entraîneurs par la suite, comme un certain José Mourinho, dont il est le modèle. Il restera à jamais dans l’histoire du football comme un entraîneur qui aura révolutionné le jeu offensif.