L’épisode neuf de la série signe son retour sur le vieux continent. Et quel autre meilleur moyen pour ce faire que d’atterrir en son cœur ? Mesdames, messieurs, voici la République Tchèque, Prague et sa légendaire rivalité entre le Slavia et le Sparta.
Poulidor
« L’éternel second ». Tel est le surnom donné par les fans du Sparta et les supporters neutres au Slavia Prague. S’ils n’ont pas à rougir de leur palmarès, le deuxième meilleur du pays, ils ont toujours été dans l’ombre du voisin. Histoire oblige, le football tchèque se divise en deux grandes ères majeures. Durant l’ère du championnat tchécoslovaque, le Slavia remporte treize titres, mais le Sparta en glane vingt-et-un. Quant à l’ère tchèque, on compte quatre victoires pour le Slavia et douze pour le Sparta.
Et l’analogie avec notre Raymond Poulidor national ne s’arrête pas là. En effet, le Slavia Prague (Praha, en version originale) est fondé en 1892 – soit un an avant le Sparta – en tant que club de cyclisme et ne développe leur section sportive que trois ans plus tard. C’est pourquoi il n’est pas rare de voir une banderole « cyklistika není fotbal » (le cyclisme n’est pas du football) brandie par les ultras du Sparta.
Opposition gréco-romaine
Sparta et Slavia. Des noms assez équivoques que l’on n’aurait peut-être pas instinctivement attaché à des clubs d’Europe centrale. Le Sparta est bien une référence à la cité grecque, ses vertus de courage, de combativité et d’athlétisme. Quant au nom Slavia, il renvoie à l’adjectif latin désignant les pays slaves, dont fait partie la République Tchèque. Le club défend des valeurs supposées plus nobles comme le fair-play et la sportivité. Vous l’aurez compris, l’opposition s’articule autour du simple et efficace cliché de la classe ouvrière, qui vainc à la sueur de son front contre l’élitisme de la classe bourgeoise.
Cela se retrouve dans une moindre mesure aujourd’hui. Les hooligans du Sparta entretiennent en effet une réputation plus violente que leurs voisins. Mais dans l’ensemble, engins pyrotechniques, tifos et chants sont de la partie. L’appartenance à tel ou tel club est généralement déterminée de manière héréditaire, même si le Slavia est plus présent dans le sud-est de la ville quand le Sparta règne dans le nord-ouest. En somme, Prague est une ville au passif footballistique très alléchant grâce à cette féroce rivalité.
Parfum écossais
Aux débuts du championnat tchécoslovaque, soit à partir de 1925, tout allait bien. Les deux clubs menaient tous deux leur âge d’or et remportaient le championnat quasiment à tour de rôle. Le Slavia doit la richesse de ses premières années à l’écossais et ancien joueur du Celtic John Madden. Celui-ci débarque à Prague et veut y démocratiser la vision écossaise du football, avant même Hugo Meisl en Autriche ou Jimmy Hogan en Hongrie. Faite de passes courtes rendues possibles grâce à des joueurs à la technique aiguisée, cette école semble bien fonctionner. Madden n’entraîne en effet que le Slavia Prague de 1905 à 1930, la totalité de son parcours professionnel. Il remporte 134 des 169 matchs disputés au pays, et 304 des 429 autres effectués à l’international. Et les trois titres du championnat créé entre temps attestent également de sa réussite.
Le premier âge d’or du Slavia initié par Madden est bientôt suivi d’un deuxième. À vue d’œil, il semblerait même qu’il n’y en ait qu’un seul, tant le club est titré à intervalles réguliers jusqu’en 1947. Toutefois, les quatre championnats remportés successivement de 1940 à 1943 sont particulièrement marquants. Pour cause, il ne s’agit ni plus ni moins du règne du buteur le plus prolifique de l’histoire du football : Josef Bican. La plupart de ses statistiques ahurissantes (765 buts en 490 matchs) sont en effet réalisées sous le maillot du Slavia Prague. Lesquelles rapporteront au club cinq titres.
De nouveaux shérifs en ville
Malheureusement, le Slavia manque sa fin de cycle. La star de l’équipe part en même temps que les résultats puisque s’en suivent 50 années de disette. Les années 1950 et 1960 sont ennuyeusement blanches et marquent même la relégation du club à deux reprises. Le Sparta faiblit lui aussi, dans une moindre mesure, et ne remporte « que » quatre titres sur cette période. Pour ces raisons, d’autres clubs pragois émergent alors. Les Bohemians, déjà présents à la création du championnat, et le Dukla Prague, le club de l’armée fraîchement créé en 1948.
Ce dernier profite du déclin des deux géants pour conquérir onze titres, particulièrement dans ces années 1950 et 1960, même si leur belle époque continue jusqu’à l’ultime trophée de 1982. Les Bohemians, eux, ne remportent certes qu’une fois le championnat en 1983, mais sont des abonnés récurrents au podium. Ils s’illustrent également dans les coupes Européennes avec de nombreuses participations. C’est justement en 1983 qu’ils réalisent leur meilleure performance en atteignant les demi-finales de la coupe UEFA après, notamment, un 4-0 infligé à Saint-Étienne en seizièmes de finale. En outre, ils se constituent une communauté de supporters importante connue pour ses tifos jusqu’à nos jours.
Reconquête
Néanmoins, le Dukla sombre en même temps que l’image du régime et ne peut plus rivaliser. Toutefois, ils eurent le temps de faire éclore un certain Pavel Nedvěd, comme un dernier don au football. Quant aux Bohemians, ils finissent tranquillement par rentrer dans le rang et une mauvaise gestion cause leur faillite dans les années 2000, avant leur remontée dans l’élite en 2007. Tout deux sont depuis revenus en première division, mais sont de moindres importances.
Le Slavia et le Sparta entendent donc reprendre leur suprématie sur la ville. Avec succès, puisque les années 1980 et 1990 marquent l’hégémonie du Sparta. Le Slavia joue à nouveau les premiers rôles et parvient même à arracher un titre en 1996, mais ils devront attendre encore une décennie pour un véritable âge d’or. Pendant ce temps, le Sparta continue de gagner régulièrement le championnat (6 titres ce millénaire) mais doivent désormais composer avec le Viktoria Plzeň, qui vient glaner cinq trophées de champion.
Slavia pas fort
Cinq titres pour le Viktoria, c’est mieux que les quatre du Slavia. Celui-ci a en effet connu un début de centenaire tumultueux, entre victoires, trous d’air, et encore victoire. S’il est dans un premier temps régulièrement dauphin du Sparta et renverse même la vapeur en remportant les éditions 2008 et 2009, c’est justement dès l’année suivante que le club plonge dans une profonde crise, dont les plaies ne cicatriseront que sept ans plus tard. Devenu un club banal de milieu de tableau à la suite d’une valse de dirigeants et d’entraîneurs fatale pour les résultats, le Slavia frôle même la relégation en 2014 et ne doit compter que sur des résultats favorables sur les autres pelouses lors de la dernière journée pour se maintenir.
Parmi les évènements particulièrement difficiles à digérer pour les supporters, la nomination de František Straka en 2011 se distingue. Cet ancien défenseur de Bundesliga a joué au Sparta pendant plus de dix ans et en a même été coach, en plus d’avoir toujours affirmer son allégeance aux Rouges. L’histoire n’a pas fini dans la joie. Les vagues de protestation – le porte-parole des supporters a démissionné, les ultras creusaient la tombe symbolique du club à côté du centre d’entraînement – et les résultats, toujours mauvais, ont eu raison du poste de Straka. Mais c’était encore avant 2014 et la pire saison de l’histoire moderne du club, ainsi que les difficultés financières…
La résurrection
Le salut est finalement venu de Jiří Šimáně. Cet homme d’affaires tchèque convainc en 2015 la compagnie chinoise CEFC d’acheter le club et d’éponger ses dettes. Ceux-ci deviennent rapidement les seuls propriétaires du club puisque Šimáně claque la porte suite à des différents politiques. Lui voulait baser le succès du club sur la formation de jeunes joueurs quand le conglomérat chinois souhaitait des résultats immédiats. L’histoire leur donnera raison car, outre sauver le club de la faillite, les résultats sont effectivement prompts.
En deux ans, le nouveau Slavia remporte le titre contre toute attente, grâce à une série historique de victoires sous les ordres de Jaroslav Šilhavý et des résultats étonnamment excellents face aux poids lourds du championnat. Une performance répétée la saison dernière, en 2018, au terme de laquelle ils retrouvent le titre de champion tchèque laissé pendant un an à Plzeň. Le début d’un âge d’or ?