Nous ne commettrons pas l’affront de comparer l’histoire de l’Arsenal Kiev à des montagnes russes, compte tenu des relations entre les deux pays, mais cette métaphore aurait été parfaitement adéquate. L’épisode sept de Dans l’ombre d’un géant nous emmène donc en capitale ukrainienne.
Bloc de leste
Entre montées, relégations, associations, dissolutions et banqueroutes, l’Arsenal Kiev est malheureusement pour lui un invité de choix face au Dynamo. Fait significatif des mouvances du club, alors que l’Arsenal est bientôt centenaire, il aura porté ce nom durant à peine la moitié de son histoire. Tout commence en 1925. L’Arsenal est fondé en tant que club omnisport des ouvriers de l’arsenal de Kiev, c’est-à-dire, au sens propre, de l’usine destinée au matériel militaire. Il n’est pour l’instant qu’un petit club amateur et régional. Il obtient quand même une participation à la Coupe Soviétique en 1936 mais leur élimination intervient dès le premier tour.
Après le Seconde Guerre, l’Arsenal reprend du service dans le championnat d’Ukraine sous le doux nom de FC Mashynobudivnyk Kiev. Il s’illustre plutôt bien localement, puisqu’après plusieurs victoires, il est promu en Soviet Class B dès 1959 et reprend son nom original. Ce qui aurait pu être le début d’une expansion ne sera que de courte durée.
Au bout de cinq ans, l’Arsenal Kiev disparaît dans des conditions « troubles ». Les sources, variables, indiquent qu’il aurait été rebaptisé FC Temp Kiev, le club de l’usine d’aviation. Mais il est plus probable qu’il ait perdu son barrage de relégation face à ce même club, voire même qu’il lui ait cédé la place. Quoi qu’il en soit, l’Arsenal Kiev s’éclipse alors que le Temp est dissous peu de temps après. Cependant, le site officiel de l’Arsenal affirme que son équipe amateur a continué à concourir dans les compétitions municipales kiéviennes.
Renommages de raison
L’Arsenal Kiev tel que nous le connaissons aujourd’hui (re)naît à Boryspil en 1993. Cette assez grande ville en banlieue de Kiev fonde un club, le FC Boryspil, qui s’associe très vite avec le FC Nyva Myronivka pour qui il se renomme en Nyva-Borysfen. Le club joue en troisième division, mais déjà, les premières rivalités avec le Dynamo se fondent sur des matchs de coupe. Le premier derby se solde par un amer 7-1 pour le géant au terme de deux manches.
Néanmoins, cette mésaventure n’empêche pas au club de se promouvoir en seconde division et de nourrir une ambition grandissante. Le club reprend son nom de FC Boryspil et accède à l’élite lors de sa troisième saison. Il fusionne alors avec le CSK ZSU soit, vous l’aurez deviné, le club de l’armée. Le nouveau CSKA-Borysfen Boryspil devient donc la deuxième équipe du CSKA Kiev, ce qui lui vaut une relocalisation à Kiev. Et puisqu’une question vous taraude, oui, il y a un nouveau changement de nom pour fêter cela. Accueillons le CSKA-Borysfen Kiev.
Seconde équipe oblige, il a fallu au CSKA-BK remonter en première division. Cela ne prend pas beaucoup de temps au club qui se paie même le luxe de terminer quatrième lors de sa première saison dans l’élite. Cependant, des désaccords subsistent et les deux clubs constituants se séparent en 1996. Le FC Borysfen se recrée en tant que club amateur. Quant au CSKA, appauvri, il continue malgré tout son chemin en première division, sous la seule tutelle du ministère de la Défense. Le club faiblit mais ne plie pas. Malgré des moins bons classements, l’équipe performe en coupe et atteint deux finales, perdues face au Dynamo puis face au Shakhtar.
Kiev cœur
Toutefois, les problèmes financiers sont désastreux pour le CSKA. Condamné à la dissolution, la ville de Kiev fait un effort et accepte de racheter l’équipe une. La fondation de l’Arsenal Kiev, subventionné par l’administration de la ville, est officialisée en 2001. 2001 est paradoxalement aussi l’année de la meilleure performance de l’histoire du club, qui atteint le deuxième tour de la Coupe UEFA après une victoire sur l’Étoile Rouge de Belgrade. Mais ce sont bien là les seules réjouissances de l’Arsenal Kiev. Bien qu’il soit désormais le « vrai » club de la ville, il ne fédère pas autant que le Dynamo et végète en milieu de tableau.
Mais être géré par l’administration ne génère pas la stabilité attendue par l’Arsenal Kiev. Bientôt vendu en 2007 à Vadim Rabinovich, un oligarche ukrainien, une mauvaise gestion lui vaudra une nouvelle vente en 2009 pour un hryvnia symbolique, soit une dizaine de centimes d’euro. Rabinovich souhaite remettre le club sur de bons rails et revient en 2010. Il ne le mènera que dans un gouffre.
Le milliardaire Oleksandr Onyshchenko tente alors de sauver le club. Maltraités, le club comme ses supporters ne sont pas au bout de leurs peines. Le club vivote bien pendant trois ans et tient son rang en première division. Mais en pleine saison 2013-2014, Onyschchenko comme Rabinovich jettent l’éponge. La banqueroute est officiellement déclarée, Arsenal n’est plus.
Kiev relève-toi
Rapidement, des supporters, des anciens joueurs et l’homme d’affaires et ancien pilote de rallye Oleksiy Kikireshko entament la reconstruction du club. Nous sommes en 2014 lorsque l’Arsenal Kiev nouvelle édition se relance dans les compétitions amateures de la ville. Peu importe l’époque, il faut croire que remonter une division par an figure dans l’ADN du club. En effet, à la manière des années Borysfen, l’Arsenal atteint dès 2016 la Persha Liga 1, soit le deuxième rang. Ils remportent le championnat la saison suivante et s’octroient de fait leur retour dans l’élite, en Premier Liga.
S’il est peu probable que l’Arsenal se maintienne cette saison en figurant bon dernier à la trêve, le club semble enfin témoigner d’une certaine stabilité qui leur a tant fait défaut toutes ces années. De quoi entrevoir un avenir plus radieux, et, utopiquement, quitter l’ombre du Dynamo pour rejoindre celle de l’autre Arsenal ?
Derby
Utopiquement, c’est le mot. Sur le plan des derbys, la domination du Dynamo est sans partage. De toute l’histoire, il n’y a simplement eu aucune victoire de l’Arsenal, et ils n’ont su obtenir que trois nuls en vingt-et-une rencontres. Ce rapport de force semble même inspirer au Dynamo de la pitié, si bien que ceux-ci prêtent actuellement leur ancien stade, le Valeriy Lobanovsky Stadion, à l’Arsenal, qui n’a pas su trouver un stade conforme à la première division. Le vrai rendez-vous du Dynamo devient donc le Klasychne (classique) contre le Shakhtar Donetsk. Les bleus le dominent également, même si la tendance est à l’équilibre depuis la chute de l’union soviétique.
Les deux clubs sont également antagonistes hors des terrains. Les supporters de l’Arsenal sont très liés aux mouvements d’extrême gauche, en tant qu’antifascistes auto-déclarés. L’arsenal de Kiev était d’ailleurs à l’époque associée aux pensées bolcheviques. Ceux du Dynamo, eux, sont traditionnellement plus nationalistes. Rien de bien surprenant étant donnée l’histoire des Dynamo et Dinamo.
Si certains groupes de hooligans s’affrontent parfois violemment entre eux – et cela concerne tout le football ukrainien, ils ont aujourd’hui tendance à former des alliances surprenantes dans le cadre des énormes difficultés économiques et diplomatiques auxquelles fait face le pays. Des ultras étaient en effet déjà partiellement à l’origine de la révolution de Maidan en février 2014. Et aujourd’hui, même les clubs s’impliquent dans le conflit russo-ukrainien. C’est le cas du Shakhtar qui, pour fuir la guerre dans la région du Donbass et pourtant historiquement pro-Russie, a choisi la ville nationaliste pro-Ukraine de Lviv comme domicile provisoire.