En 1960, l’Union Soviétique remporte le premier Euro de l’histoire, en disposant sur le score de 2-1 de la Yougoslavie en finale, grâce à un but tardif de Viktor Ponedelnik. Trois ans plus tard, Lev Yashin devient le premier et seul gardien vainqueur d’un ballon d’or. L’Union Soviétique, terre de football ? Oui, mais pas seulement. C’est le cocktail entre le « футбол » et le KGB qui a fait exploser la planète football.
La dynamite Dinamo
En 2005, le San José Earthquakes déménage à Houston, au Texas, et devient le Houston 1836. Rien de bien particulier dans une MLS qui marche par franchise. Ce qui rend cet évènement beaucoup plus singulier se passe en 2006, quand, sous la pression de la communauté hispanique de la ville, le club devient le Houston Dynamo. Un nom qui sonne en référence aux nombreux « Dynamo » et « Dinamo » d’Europe. Un nom qui paraît anodin aujourd’hui, mais qui a une histoire toute particulière et qui est presque sarcastique aux États-Unis.
Le tout premier « Dinamo » de l’histoire, le Dinamo Moscou, voit en effet le jour le 18 avril 1923 sur les cendres de l’OKS Moskva. La révolution bolchevique n’a pas encore fêté son sixième anniversaire. Rien de particulier dans les raisons de la création de ce club : promouvoir la culture physique au sein de la capitale. Le nom est un hommage à l’invention d’Ernst Werner von Siemens. Mais ce n’est pas un club comme les autres : son parrain est le très influent Feliks Dzierżyński, plus connu sous le nom de Félix Djerzinski. Fils d’une famille de l’aristocratie polonaise, il est un des proches de Vladimir Illitch Lénine. En 1917, ce dernier lui confie la direction de la création de la Vétchéka, plus tard connue sous le nom de Tchéka, puis Guépéou, avant de devenir au cours de l’histoire NKVD, KGB et aujourd’hui FSB.
Avant de décéder le 20 juillet 1926 dans des conditions controversées après une dispute avec Kamenev et Piatakaov, Félix Edmundovitch est donc très au fait de tous les éléments politiques. Et quand il prend sous son aile un club de sport, alors celui-ci prend une dimension bien plus que simplement sportive.
L’association Dinamo : l’œuvre du futur KGB
Ce Dinamo Moscou, outre un soutien actif de Maxime Gorki, peut compter sur celui de l’association Dinamo. En effet, l’assemblée constituante du 18 avril, en plus de la création du club moscovite, a pour objectif la mise en place de l’association multisport Dinamo, avec pour but la diffusion de la culture physique en Union Soviétique. À l’automne 1925, un deuxième club va rejoindre l’association Dinamo. Hors des frontières de la Russie, mais dans celles de l’Union Soviétique, le Dinamo Tbilissi devient la filiale de la police politique en Géorgie. Avant que le club ne devienne un élément-clé des rouages politiques géorgiens, un troisième Dynamo voit le jour. Le 13 mai 1927, le Dynamo Kiev est officiellement créé par Sergueï Barminski et Nikolaï Channikov. Mais son histoire n’est pas très intéressante avant la guerre, en tout cas pas sur un plan politique.
La même année, le Dynamo Minsk, un des plus anonymes de tous les Dinamo, voit le jour en Biélorussie. Il est le club de l’antenne locale du Guépéou. Mais revenons en Géorgie, à Tbilissi. En 1931, un jeune homme ambitieux de trente-deux ans, Lavrenti Pavlovitch Beria, devient secrétaire général du Parti Communiste de Géorgie. Depuis 1927, il est à la tête de l’OGPU de Géorgie, qui est le successeur direct du Guépéou. Lavrenti Beria, en plus de ses engagements politiques, est à la tête du Dinamo de manière officieuse. C’est vraiment avec lui que le football prend un tournant complètement politique. Ambitieux, mais aussi manipulateur, il ne lésine sur rien pour atteindre ses buts personnels.
Criminel Beria
Beria est un criminel sans foi ni loi. Proche de Staline, il a déjà en 1924 le sang de plus de dix-mille personnes sur les mains, notamment à travers des exécutions de masse. Il se fera remarquer durant la seconde guerre mondiale en étant le responsable du massacre de Katyń, qui voit l’assassinat par les forces armées russes d’au moins vingt-deux mille intellectuels polonais, en plus de la déportation de soixante mille d’entre eux. Pendant la guerre, il se fera remarquer également par la création du SMERSH, la fameuse section anti-déserteurs de l’Union Soviétique. Après des passages au NKVD et au Politburo – entre autres –, il sera écarté en 1951 par Staline, avant, ironie du sort, d’être une des premières victimes de la déstalinisation et d’être exécuté le 23 décembre 1953.
Mais nous ne sommes encore qu’au tournant des années 30. Le sadique personnage aux petites lunettes rondes est encore dans sa Géorgie natale, et tente de se faire une place grâce au sport. Pour cela, il utilise de toute son influence. Sa plus belle prise de guerre ? Boris Paichadze en 1936. Afin d’attirer au Dinamo Tbilissi le talentueux attaquant qui ne veut pas jouer au club ; il fait pression sur celui-ci. Beria fait arrêter le père de Paichadze, Solomon, et convoque Boris. Un entretien entre les deux hommes a lieu. « Si tu ne viens pas jouer au Dinamo, tu peux dire adieu à ton père », dit Lavrenti à Boris.
Paichadze n’a pas d’autre choix que d’accepter. Mais, sadique, Beria fait malgré tout exécuter le père du génie Géorgien. Paichadze passera pourtant sa carrière à Tbilissi, pensionnaire du stade… Lavrenti Beria. Mais comme le gentil gagne toujours, le nouveau stade, en 1976, sera nommé du nom de Paichadze.
Ordre de Lénine
Avec Paichadze au Dinamo Tbilissi, le championnat soviétique gagne un nouveau concurrent. Dans le même temps, de nouveaux clubs de l’association voient le jour. Le Dinamo Stalinabad, au Tadjikistan, est le nouveau-né du cru 1937. Aujourd’hui renommé Dinamo Douchanbé, il arrive juste à temps pour voir l’association Dinamo officiellement reconnue par le gouvernement soviétique. En effet, en 1937, l’association Dinamo est décorée de l’Ordre de Lénine.
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans l’histoire des clubs Dinamo. Les meilleurs joueurs de toute l’Union doivent stopper leur carrière et partir défendre la mère patrie au front. Les joueurs des Dinamo sont relativement épargnés. Seuls quelques uns vont en première ligne, tandis que beaucoup sont affectés à des fonctions à l’arrière ou même complètement épargnés.
Mais la fin de la Seconde Guerre mondiale va enclencher une nouvelle phase dans le développement des clubs Dinamo. La situation financière et politique de ces derniers continue à s’affermir. Le marché des transferts soviétique devient extrêmement concurrentiel. À la lutte avec les clubs de l’armée – comme le CSKA Moscou – ou des cheminots – comme le Lokomotiv Moscou –, les Dinamo jouent leur dimension sportive grâce à leurs moyens financiers très importants. On compte à la fin de la guerre près de deux cent cinquante clubs Dinamo, dans tous les sports.
Les budgets n’ont, proportionnellement au niveau de vie moyen, très faible dans l’URSS des années quarante, rien à envier à ceux des plus gros clubs des grands championnats européens. Les joueurs eux-mêmes sont très bien récompensés pour leurs efforts : maisons, exemptions de restrictions, salaires… Tout est fait pour attirer les plus grand talents dans les clubs du KGB.
Sur son passage
Le modèle Dinamo renverse tout sur son passage. Les plus grands rivaux du club Dinamo sont sans aucun doute les frères Starostin. Nikolaï, Alexander et Andreï sont les fondateurs du Spartak Moscou. Le Spartak est le club du peuple par excellence. Parmi les trois frères, Nikolaï est le plus talentueux. International russe à six reprises, il est considéré dans les années 1930 comme le meilleur ailier droit du pays.
Mais surtout, il est très proche d’Aleksandr Kosarev, le chef des Komsomols. C’est sous son impulsion qu’il crée le club spartakiste en 1936. À la tête de l’équipe, il met en place des dispositifs innovants, et surtout, affiche avec des joueurs moins forts un niveau surprenamment supérieur à celui des clubs Dinamo. Mais Beria, encore lui, va se mettre sur la trajectoire flamboyante de Nikolaï Starostin. Le géorgien en veut au russe pour l’avoir blessé au cours d’un match dans les années 1920. Il fait tout pour se venger. Le 20 mars 1942, Starostin est conduit à la Loubianka et est accusé de terrorisme. Après deux années de prison, il est condamné, comme ses frères, à dix ans de Goulag. Dix années dans les camps où il perfectionne son football avec les équipes locales. Il deviendra notamment entraîneur du… Dynamo Komsomolsk, le long du fleuve Amour.
Avec la mort de Béria et leur libération, les frères Starostin, brisés dans leur élan de joueurs, se mettent néanmoins au travail à la tête du Spartak comme quinze ans plus tôt. Mais son destin aurait pu être très différent. Il s’en est fallu de commandants de camps appréciant le football pour qu’il survive. Qu’il survive au passage du KGB et de ses Dynamo, jaloux du succès du club du peuple.
Yalta
Avec la conférence de Yalta, la zone d’influence soviétique aurait pu s’étendre à la Yougoslavie. Mais, suite à la scission entre les lignes directrices de Moscou et de Zagreb, cela n’a pas été le cas. Le Dinamo Zagreb, fondé en 1945, n’a donc absolument aucun lien avec la société Dinamo. Le nom Dinamo n’est apposé que parce que le commissaire aux sports Ivica Medarić choisit ce nom qui est très « communiste » à son sens.
Trois ans plus tard, en Roumanie, un club très proche de Moscou est cependant créé. Le CS Dinamo Bucurest voit le jour le 14 mai 1948 et s’impose comme un des trois grands du championnat national avec le Steaua de Bucarest et le Rapid Bucarest. Le Dinamo Bucarest forme notamment le génial Mircea Lucescu, qui dispute deux cent soixante-six matchs pour le club de la capitale. Le futur sélectionneur et entraîneur connaît même soixante-dix sélections avec le pays.
Le Dinamo de Bucarest reste historiquement très attaché au pouvoir central, au contraire du Dynamo Zagreb. Le club yougoslave est en effet, au cours de son histoire, plusieurs fois obligé de changer de nom, tantôt pour enlever toute trace de communisme, tantôt pour se plaire à l’orientation politique des dirigeants nationaux.
Les Dynamo allemands
L’apogée internationale du modèle Dinamo voit le jour le 12 avril 1953 à Dresde. Avec la partition de l’Allemagne en deux parties, le modèle soviétique se propage. Le sport trouve un écho. La Sportgemeinschaft Dynamo Dresden e. V. est fondée, sur les bases du club de la police, le SGDV Dresden. Mais il n’a aucun lien avec le KGB en tant que tel ou avec le central de la Stasi. Et cela n’est pas vraiment du goût de celle-ci. Erich Mielke, le patron de la Stasi parraine en effet le Dynamo Berlin. Dès lors, il fait transférer de manière arbitraire la quasi-intégralité de l’effectif de Dresde champion de RDA 1953 dans la capitale. Dresde sombre ainsi un peu dans les bas-fonds du championnat.
Mais le club renaît de ses cendres au cours des années 1970. Il se met à nouveau à jouer les premiers rôles en championnat. Surtout, lors des « classiques » contre le Dynamo Berlin, le Dynamo Dresde remporte la victoire. La rivalité entre Dynamo central et Dynamo de province atteint son apogée. À Berlin, on ne veut pas voir l’autorité de la Stasi centrale remise en question par quelques freluquets de province. Preuve que le KGB a donné des idées à la Stasi sur le plan politique mais aussi sur le plan sportif.
Depuis son bureau de Berlin, Erich Mielke voit les choses d’un mauvais œil. Il remet en route les transferts de joueurs et soudoie quelques arbitres. Le Dinamo Berlin remporte ainsi dix fois consécutivement le championnat, dont six fois contre Dresde. Cependant, après la réunification, le SC Dynamo Berlin, fondé lui aussi en 1953, ferme à jamais ses portes – au contraire de son rival de Dresde, qui végète désormais en 2. Bundesliga.
La chute
Le modèle Dinamo prospère au cours des années 1960 et 1970 avant de s’essouffler un peu. Le KGB devient moins important dans l’organigramme, les libertés pour les sportifs de haut niveau s’assouplissent. Quelques joueurs du bloc de l’est sont autorisés à tenter l’aventure de l’autre côté du rideau de fer. Certes, les résultats sportifs nationaux mettent tous en avant les Dynamo et autres Dinamo. Mais, sur le plan international, ces clubs piétinent. L’URSS commence petit à petit à perdre de sa compétitivité par rapport aux États-Unis. Finalement, le 25 décembre 1991, l’URSS se disloque.
La chute de l’URSS marque la fin de l’ère Dinamo dans le football de l’Europe centrale et orientale. Le KGB, qui laisse petit à petit sa place au FSB, n’est plus que l’ombre de lui-même dans ses actions sur le sport. Le football se libéralise et devient même plus occidental. Les salaires ne sont plus payés par le renseignement mais par de riches investisseurs. Le Dinamo Moscou sort du giron de la police politique, avec le rachat du club par VTB, l’une des plus grandes banques de Russie. Certes, celle-ci est proche du Kremlin, mais n’est pas le bras armé de ce dernier.
En dehors de la Russie, les plus grands Dinamo et Dynamo ont des destins différents. Certains périclitent, d’autres conservent leur statut déjà acquis dans le championnat national. C’est par exemple le cas du Dynamo Kiev, qui est aujourd’hui l’un des clubs majeurs du pays. Mais rien n’est plus comme avant. Les plus anciens racontent à leurs petits-enfants ce temps où la liberté de penser n’était pas assurée. Quelques sanglots dans la voix, ils espèrent ne jamais revoir cela de leurs yeux. Ne plus revoir ce temps où KGB et football formaient un cocktail très explosif.