Certains entraîneurs ont complètement révolutionné le football. Aujourd’hui, nous nous intéressons à un entraîneur aussi talentueux que méconnu : Boris Arkadyev. Bien avant Rinus Michels ou Pep Guardiola, c’est lui qui a inventé les bases du football total. Retour sur un génie qui a n’a pas eu l’hommage qu’il méritait.
Un pays qui cherche à se professionnaliser
La naissance des championnats nationaux
Boris Arkadyev voit le jour le 21 septembre 1899 à Saint Petersbourg. Avant même la révolution russe de 1917, le football est très populaire en Russie. Boris débute sa carrière footballistique en 1920 ou il évolue au poste de milieu de terrain du côté du Russkabel Moscou. Toutefois, le football russe est amateur à l’époque. Il existe près de deux cents équipes à travers le territoire, dont plus d’une quinzaine à Moscou. Afin de mettre un peu d’ordre dans le pays, les championnats RSFSR (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie) sont créés en 1925. Il termine sa carrière en 1936 au Metallurg Moscou, où il restera au club en tant qu’entraîneur. C’est cette même année que l’URSS décide de créer la première division nationale du pays : la Soviet Top League.
L’influence britannique
Le Dynamo Moscou remporte le premier championnat de l’histoire de l’URSS en battant ses six adversaires. Cependant le niveau est très faible. Cela est en partie dû au fait que les russes ont été largement influencé par le jeu des anglais, réputé dans le monde entier comme étant le meilleur. Ainsi, la totalité des équipes russes ne jouait que dans un seul dispositif : le 2-3-5 popularisé par les Anglais. Il n’y avait aucune recherche de créativité. Les dirigeants étaient convaincus qu’il s’agissait du meilleur dispositif possible.
Seulement, en 1936, les britanniques sont déjà passés au fameux WM d’Herbert Chapman, et jugent le 2-3-5 totalement obsolète. Cependant, comme la Russie ne joue pas de match international, il est difficile pour eux de savoir si leur système de jeu était encore performant en dehors de leur frontière.
Les Basques à la conquête de la Russie
En 1937, la sélection basque réalise un tour du monde. D’une part pour y affronter des équipes du monde entier et montrer le talent de son équipe. D’autre part pour imposer sa vision politique, en pleine période de guerre civile espagnole.
Le premier adversaire des basques est le Lokomotiv Moscou. Toujours convaincu d’avoir le meilleur dispositif, les russes s’attendent à une large victoire. Cependant, utilisant le WM, totalement inconnu pour les russes, la sélection Euskadi donne une leçon de football : 5-1 score final. Quelques jours plus tard, le Dynamo Moscou (1-2) et le Dynamo select XI (4-7) ne peuvent faire mieux. Seul la sélection de Leningrad parvient à les tenir en échec (2-2).
Alors que l’entraîneur du Lokomotiv Moscou est envoyé au Goulag, Staline menace de faire de même pour Nikolai Starostin, entraîneur du Spartak Moscou. Le Spartak est le dernier adversaire des basque dans leur tournée en Russie. Starostin décide alors de recruter d’autres joueurs de club de l’est pour essayer de former un « all star ». Il abandonne le 2-3-5 à la grande surprise du peuple russe, pour copier le WM basque dans un schéma toutefois plus défensif. Le Spartak Moscou parvient à s’imposer 6-2 face à des basques à bout de force qui enchaînaient leur cinquième match de la semaine.
« La performance des basques en URSS a montré que nos meilleures équipes sont encore loin d’être de grande qualité. Les joueurs soviétiques doivent devenir invincible » déclarait la Pravda après la fin de tournée des Basques.
La Russie se devait d’apprendre. Ils avaient besoin d’une révolution footballistique. Celui qui va amener cette révolution se nomme Boris Arkadyev.
Le père fondateur du football russe
Une ascension rapide
Après un passage anecdotique au Metallurg Moscou, Boris Arkadyev prend les rennes du Dynamo Moscou en 1940. Dès sa première saison, il remporte le doublé coupe-championnat. Il s’impose ainsi comme un des entraîneurs les plus prometteurs en Russie.
« Après la tournée des Basques, toutes les équipes soviétiques ont dû se réorganiser. Le Torpedo avait anticipé et grâce à cela, avait connu une superbe première partie de saison en 1938 avant que toutes nos autres équipes se mirent à adopter un nouveau système en 1939. »
– Boris Arkadyev dans son livre Football Tactics
Les deux saisons qui suivirent furent décevantes pour les moscovites, ne pouvant faire mieux qu’une cinquième place. Boris se dit ainsi que la solution n’était pas forcément de recruter les meilleurs joueurs mais plutôt de trouver un nouveau dispositif et une nouvelle tactique.
La nouvelle révolution russe
L’entraîneur russe étudia les performance des basques et entraîna ses joueurs à un tout nouveau concept : dézoner. Pour la première fois en Russie, un entraîneur enseignait à ses joueurs le fait d’aller dans des zones autres que celle qui leur était attribuée sur la feuille de match. Il était alors persuadé que cela allait déstabiliser les adversaires.
Cependant, après trois matchs, l’équipe ne s’est toujours pas adapté à sa nouvelle tactique et affiche un bilan de deux défaites et un nul. Le président du club affirme que Boris sera renvoyé s’il ne gagne pas le prochain match. Personne ne semble avoir confiance en lui car personne ne semble comprendre son idée révolutionnaire.
Boris Arkadyev livre donc sa dernière idée. Il demande à ses joueurs d’écrire sur un bout de papier des critiques sur eux mêmes ainsi que sur leurs coéquipiers lors des matchs. Aussi bizarre que cela puisse paraître, à partir de ce moment là, le Dynamo Moscou n’était plus une équipe. Elle est devenue un groupe. La fluidité des joueurs et du jeu, que ce soit lors des entraînements ou en match s’était largement améliorée. En adoptant une nouvelle version du WM, le dezonage et la cohésion d’équipe plus forte que partout ailleurs car chaque joueur acceptait les critiques qui lui était faite et s’en servait pour améliorer son jeu, le club renaît de ses cendres. Avec seize victoires, quatre nuls et autant de défaites, le Dynamo Moscou remporte le championnat.
Le « désordre organisé », ancêtre du football total
Le WM classique anglais fut peu à peu transformé par Arkadyev en 3-1-2-1-3. De nos jours, on appellerait cela un 3-4-3 en losange. A l’image de l’Ajax Amsterdam et des Pays Bas trente ans plus tard, Boris Arkadyev développe un jeu de passe courte. Le rythme élevé imposé par le russe fatigue rapidement les adversaires, tandis que les moscovites sont habitués à travailler leur endurance lors des entraînements.
« Nos joueurs ont insufflés l’âme russe au WM anglais. Nous avons désorienté nos opposants, les avons laissés sans alternative avec nos mouvements soudains. Notre ailier gauche, Sergei Ilyin, a marqué l’essentiel de ses buts en position d’avant-centre. Notre ailier droit, Mikhail Semichastny en position de milieu offensif gauche et notre avant centre, Sergei Solovyov, depuis les ailes » déclarait Boris Arkadyev à l’issue de la saison 1944.
Le milieu défensif, positionné juste devant la défense, permettait de mieux couvrir les trois défenseurs en cas de perte de balle ou de contre attaque. Le football totale est né, même si la presse baptise cette tactique « le désordre organisé ». Certains, comme Axel Vartanyan, historien du football russe, considèrent même qu’Arkadyev fut le premier à utiliser une défense à quatre à plat.
Une légende non considérée à sa juste valeur
Triste épilogue
En 1944, Boris Arkadyev rejoint le CDKA Moscou (ancêtre du CSKA Moscou). Il ne remporte pas moins de cinq championnats de 1944 à 1952, date de la dissolution du club par Staline. Le dictateur russe a en effet dissout le club à cause des mauvaises performances de la Russie aux Jeux Olympique 1952. La sélection, emmenée pour l’occasion par Boris Arkadyev lui même est éliminée dès le premier tour. Furieux de la mauvaise image de la Russie qu’Arkadyev a donné au monde entier, il décide tout simplement de dissoudre le club dont il était l’entraîneur. Suite à ça, l’ex-coach du Dynamo Moscou met un terme à sa carrière d’entraîneur.
Hommage
Boris Arkadyev n’a jamais reçu les hommages qu’il méritait. En effet, il ne fut jamais considéré comme un entraîneur de légende et meurt presque dans l’anonymat, le 17 octobre 1986 à Moscou, à l’âge de 87 ans. Pourtant, il doit être célébré et connu comme celui qui fut suffisamment courageux pour révolutionner le football russe sous Staline. A une période ou la Russie se devait de briller devant le monde entier. Il a permis au football russe de devenir respectable, et respecté.
Boris est parvenu à améliorer le WM anglais qui était venu aux russes grâce à un tour du monde réalisé par la sélection basque. C’est ainsi qu’il posa les bases du football total. Il fit cela en imposant un jeu de passe rapide et surtout des permutations systématiques entre joueurs. Les hongrois reprendront cette idée sous Gustav Sebes pour l’amener à Wembley lors du mythique 6-3 – mais ce n’est pas encore le sujet. L’age d’or du football néerlandais – le football total – reposera sur la philosophie de jeu d’Arkadyev. Johan Cruyff l’a ensuite emmenée à Barcelone. Guardiola reprit le flambeau chez les Blaugrana avant de le développer au Bayern Munich puis désormais à Manchester City.
Souvenez vous que tout est parti de Boris Arkadyev qui, un jour, demanda à ses joueurs de se déplacer en dehors des zones qui leur étaient attribuées. Boris Arkadyev doit être vu comme une légende de notre sport. Le football fait de passe, de mouvement perpétuel n’est ni néerlandais, ni hongrois : il est russe.