Carnets de voyage, c’est déjà fini. Durant ces six semaines, nous avons visité des grandes villes du soccer américain. Après un passage dans les années 1970, à l’ère de la sulfureuse NASL, retour au contemporain avec, cette semaine, un club tout neuf. Bienvenue à Cincinnati, berceau de la prochaine franchise MLS.
Jeune et talentueux
Le F.C. Cincinnati a fêté cette année ses trois ans. Le projet, mené par Carl Lindner III, entrepreneur issu d’une des familles les plus fortunées d’Ohio, voit le jour en 2015. À l’époque, il n’est pas encore question de MLS. Le club rejoint l’USL, le deuxième palier du soccer américain.
Dès les premiers matchs, un véritable engouement se forme autour de l’équipe. Il se trouve que Cincinnati, avec sa population d’environ 300 000 habitants, ne possède plus de club de football professionnel. Le dernier en date, créé en 2005 et dissout en 2012, était les Cincinnati Kings, qui évoluaient en PDL (4e palier, désormais remplacé par l’USL League Two). Au vu du niveau relativement faible de la ligue – la PDL est semi-professionnelle – le club n’a jamais attiré les foules. La première année, la moyenne est autour de 1300 spectateurs par match. En 2012, l’année de sa dissolution, à peine plus de 180.
Rien à voir avec le F.C. Cincinnati. Dès sa première saison, en 2016, le club établit un record en USL avec 20 497 spectateurs contre le rival, le Louisville City F.C. Peu de temps après, l’équipe remet le couvert et pulvérise son propre record. D’abord contre Pittsburg (23 375 spectateurs) puis Orlando B (25 308). Malgré ces chiffres qui n’ont rien à envier à certains de nos clubs de Ligue 1, le plus grand rassemblement reste encore lors d’un match amical contre Crystal Palace : 35 061 personnes assistent à la rencontre, qui verra les Anglais s’imposer 0-2.
Une montée en puissance
Durant sa première saison en USL, le F.C. Cincinnati termine troisième de sa conférence (sur 14), une excellente performance permise par le capitaine du navire, le coach John Harkes. Ils poursuivront leur bonne forme jusqu’aux quarts de finale des playoffs. Le club participe aussi à la Lamar Hunt U.S. Open Cup, la coupe des États-Unis. Il s’incline lors du troisième tour éliminatoire contre les Rowdies de Tampa Bay (1-0).
Pour sa deuxième saison, en 2017, Cincinnati termine sixième. Il rattrape cette déception en allant jusqu’en quarts des playoffs, mais surtout, en allant jusqu’en demi-finales de l’U.S. Open Cup. Ils perdront contre les Red Bulls de New York sur le score de 2-3. Pas mal pour un club de deuxième division. Cette année-là, Baye Djiby Fall, l’attaquant phare de Cincinnati (passé par le Lokomotiv Moscou) termine parmi les meilleurs buteurs de la compétition.
Mais c’est la saison 2018 qui marquera l’avènement du club. Celui-ci finit premier de sa conférence avec seulement 3 défaites en 34 matchs. Il accède aux demi-finales des playoffs et au quatrième tour de l’U.S. Open Cup. Une saison des plus réussies, donc, mais surtout grâce à leurs fans. En effet, le nombre moyen de supporters à chaque match est ahurissant : 25 717. Rappelons très vite que ces chiffres, si l’on s’en tient à ces données, placeraient le club huitième de Ligue 1 en termes de spectateurs. Or, nous sommes en deuxième ligue américaine.
Une ferveur allemande ?
Si le club est autant soutenu, c’est peut-être à cause de l’origine de ses supporters. Cincinnati est en effet une ville qui a longtemps été sujette à l’immigration allemande. Lorsque l’on visite la ville, il n’est pas rare de tomber sur des constructions directement inspirées de la riche culture germanique. Lorsque l’on sait cela, ce n’est pas étonnant que le football plaise tant aux aux cincinnatiens. La culture allemande est si implantée dans la région que le club, pour son accession à la MLS, va changer de nom. Plutôt que Futbol Club Cincinnati (« Futbol » étant régulièrement employé pour s’insérer dans une tradition latine), ce sera le Fussball Club Cincinnati.
Salut USL, salut MLS !
Dès la saison 2016 – voyant la popularité extraordinaire du club – le consortium du propriétaire décide de postuler pour obtenir une place en MLS. Neuf autres équipes sont alors en lice pour l’expansion : Charlotte, Detroit, Nashville, Raleigh, Sacramento, St. Louis, San Antonio, San Diego et Tampa. La direction de la MLS est tout de suite conquise : d’abord par la ferveur locale, ensuite par le projet très solide du propriétaire. Ce dernier propose en effet, pour 2021, la construction d’un stade d’une capacité d’environ 25-26 000 places. Peut-être pas assez pour satisfaire la population ?
Le 29 mai de cette année, la direction de la MLS annonce que c’est le projet de Cincinnati qui a retenu son attention. L’équipe devrait donc rejoindre la compétition dès la saison prochaine, en 2019.
Yoann Damet, le frenchie de Cincinnati
Dans cette équipe qui monte, on retrouve un français, Yoann Damet. Ce dernier n’est pas sur les terrains, mais sur le banc. Passé par Montréal, il est désormais l’entraîneur-adjoint de l’équipe. Il épaule Alan Koch, l’entraîneur principal, dans cette grande transition vers le plus haut palier du soccer. La particularité du parcours de Yoann, c’est qu’il n’a jamais été joueur professionnel. Comme il le raconte dans une interview donnée à Onze Mondial,
J’ai commencé à entraîner assez jeune, parce que j’ai croisé des éducateurs qui m’ont inspiré. J’ai commencé à jouer quand j’avais huit ans. J’étais passionné en tant que joueur, mais des éducateurs m’ont donné le goût de prendre leur place, et d’avoir un rôle de « modèle » pour les plus jeunes. Ça m’a assez vite donné l’envie d’aller dans ce sens-là, et c’est pour ça que j’ai commencé à 16 ans. Après c’est vrai que je connaissais aussi mes forces et mes faiblesses. Je savais qu’une carrière de joueur professionnel n’allait pas se présenter, mais je voulais quand même travailler dans ce milieu-là. Je savais que le rôle d’entraîneur me plaisait, pour travailler à la fois un côté éducatif et sportif, transmettre ce que je savais, etc… J’ai pris ça à coeur, je me suis beaucoup investi, en passant par exemple mes diplômes fédéraux.
Yoann, qui travaillait jusque-là en tant que bénévole, postule à l’Academy de Montréal. Il obtient le poste et y reste plusieurs années. Puis, en 2017, il apprend que Cincinnati cherche un entraîneur adjoint. Les propriétaires apprécient son profil et l’engagent pour épauler le nouveau coach, Alan Koch.
Quand je suis arrivé à Cincinnati, le club vivait seulement sa deuxième saison d’existence, et je savais qu’il y’avait beaucoup de potentiel, d’engouement autour du club. Je savais aussi que le club voulait intégrer la MLS, donc beaucoup de voyants étaient au vert pour moi.
Carnet de voyage : conclusion
Si l’histoire de Yoann peut nous apprendre quelque chose, c’est que les États-Unis restent encore et toujours une terre d’opportunités. Difficile d’imaginer une telle histoire en France, où un formateur n’ayant jamais été joueur a encore et toujours beaucoup de mal à franchir les paliers : le comble pour un système ouvert. Oui, les ligues fermées posent problème. Des milliers de clubs n’auront probablement jamais l’opportunité de passer professionnel. Mais cette pratique se justifie.
La faillite de la NASL des années 1970 a prouvé que n’importe quel système, qu’il soit ouvert ou fermé, doit d’abord s’assurer de reposer sur des fondations solides avant de penser à son attractivité. Recruter des stars aura été le poison de la ligue, alors que ce devait être l’antidote d’un sport malade et mal-aimé. C’est pour cela que la MLS impose des contraintes à ses candidats (avoir un stade dédié ou en avoir le projet, être un club dynamique, solide financièrement…) Pour prospérer et faire fructifier les efforts d’un pays entier mordu de football. Pour elle, la dimension sportive est moindre qu’en Europe, mais c’est un risque à prendre.
En Europe, il existera toujours une méfiance quant aux systèmes fermés. Dernièrement, l’annonce d’une Super ligue européenne en a fait frémir plus d’un. Mais, réfléchissons : la situation en France, dans une ligue ouverte, est-elle idoine ? Ici le PSG domine. En Allemagne, c’est le Bayern, en Italie la Juventus… L’avantage d’un système fermé est la compétitivité renouvellée chaque saison. Chaque année voit une nouvelle compétition à l’enjeu nouveau, les équipes repartent avec de nouvelles additions (via le draft). Finalement, Carnets de voyage n’est pas un plaidoyer pour le système américain. Elle est seulement une invitation à l’écoute et au regard d’une histoire alternative, dans un continent que l’on pense étranger au football mais qui pourtant l’aime énormément. Certes, tout n’est pas rose aux E.U.A., et on est en droit d’attendre beaucoup de ce pays. Mais il faut l’admettre : l’Amérique, c’est là où existent une histoire écrite, mais aussi une histoire en train d’être écrite.