Pour ce cinquième et ultime épisode de la série, cap sur le pays de la deuxième étoile française et les clubs de sa capitale. Au cœur de la bataille footballistique pour Moscou, le Lokomotiv fait figure d’outsider. Encore incomparable historiquement au Spartak, au Dynamo ou au CSKA, il est pourtant le meilleur club moscovite du moment.
La traversée du tunnel
Le nom ne laisse pas beaucoup de place au suspens. Le Lokomotiv, fondé « Kazanka » en référence à la ligne Moscou-Kazan en 1922, est très lié au monde ferroviaire. Le club appartenait alors au ministère soviétique du transport, via sa branche dédiée aux chemins de fer. Cette institution rentrait dans le cadre des Sociétés Sportives Volontaires organisées par le régime soviétique. Encore aujourd’hui, l’équivalent local de la SNCF, la firme RJD que l’on voit en sponsor ventral du maillot, est propriétaire du club.
Après des balbutiements très calmes dans ses jeunes années, le Loko prend du galon en 1951 avec sa première montée dans la division d’élite soviétique. Il se retrouve entre les deux géants que sont le Dynamo et le Spartak, dont la rivalité est au sommet. Malgré ses indéniables relations avec le pouvoir, le Lokomotiv garde une identité proprement moscovite plus que soviétique. Ainsi, quand les autres clubs de la troisième Rome ne disputent que très rarement un match contre des équipes étrangères à cause des tensions de la Guerre Froide, le « Lok » a souvent pris part à des amicaux en Europe, en Asie, en Afrique et même aux États-Unis.
La bataille de Moscou
On dénombre cinq grands clubs moscovites : le Dynamo, le Spartak, le Torpedo et le CSKA en plus de notre Lokomotiv. Le Dynamo est l’aîné, il s’agit aussi du plus controversé. Et pour cause, il tenait des liens très étroits avec la police secrète. A titre d’indication, Lavrenti Beria, le président d’honneur du club, n’était autre que le bras droit de Staline. Ex-chef du NKVD, il est d’ailleurs exécuté après la mort de Staline pour crime envers le peuple soviétique.
Vient ensuite le Spartak, le plus titré. Créé par des ouvriers, il était pour un temps le plus grand rival du Dynamo avec le mythe du club du peuple, des travailleurs, des anti-système contre le club de la police. Deux dates définissent cette rivalité. La première, 1936, représente l’année de l’inauguration de la première division soviétique, où deux éditions ont lieu. Évidemment, les deux vainqueurs furent le Dynamo puis le Spartak. La seconde, 1942, marque l’arrestation et la déportation sans plus de procès du fondateur, joueur et entraîneur du Spartak Nikolai Starostin, accusé de préparer un attentat contre Staline. Il ne fait que peu de doute que la rivalité entre Dynamo et Spartak en soit la véritable cause.
Le Torpedo Moscou est quant à lui fondé en 1924 et connaît son âge d’or dans les années 1960 grâce au « Pelé Russe » : Eduard Streltsov. En fait, le Torpedo aurait pu avoir un âge d’or plus étendu si Streltsov n’avait pas été lui aussi tenu à l’écart du football puisque envoyé au Goulag entre 1958 et 1965 pour une affaire de viol présumé. Étant donné qu’il avait refusé de signer pour le Dynamo, il est possible que ces derniers soient encore une fois mouillés.
Enfin, le plus grand club de ce millénaire, même si sa création remonte au temps de l’Empire Russe en 1911, est le CSKA. Il est lui aussi affilié au pouvoir car il s’agit du club de l’armée rouge. En dominant très fortement le football russe du XXI e siècle, il entretient la plus grosse rivalité moscovite actuelle avec le Spartak.
La cinquième roue du carrosse
Pendant que les autres clubs de Moscou ainsi que le Dynamo Kiev (le plus grand club soviétique) raflaient tout, on considéra longtemps le Lokomotiv comme le plus petit de ces cinq clubs. Avec seulement deux coupes remportées, il faut reconnaître que le club a connu des années soviétiques difficiles. Mais son histoire récente tend vers une remontée au détriment du Torpedo, actuellement en troisième division.
Le Lok doit sa renommée récente et quasiment l’intégralité de son palmarès à un homme : Yuri Semin. Attaquant modeste des années 1960 et 1970, il passe par le Spartak, le Dynamo puis le Lokomotiv où il s’impose véritablement comme une légende, mais en tant qu’entraîneur. Il occupe ce poste pour la première fois en 1986. Et hormis une pige en 1991 pour tenter d’amener les Néo-Zélandais aux Jeux Olympiques, il ne quitte le club qu’en 2005… Avant d’y retourner en 2009 pour une saison, et de revenir une nouvelle fois en 2016.
L’homme providentiel
Bien qu’il soit entré par la petite porte après deux brèves expériences sur les bancs de petits clubs, Yuri Semin devient le super-héros du Loko. Il commence par sauver le club de ses dettes en achetant lui-même des parts qu’il détient toujours. Progressivement, il fait du Lokomotiv un régulier du top six. En 1996, il guide le club vers une Coupe de Russie, son premier trophée depuis trente-neuf ans. Une performance qu’il réitère l’année suivante, puis à nouveau en 2000 et 2001. Puis, 2002 est l’année du Graal. Le Lokomotiv Moscou met fin à l’hégémonie du Spartak et est, pour la première fois de son histoire, champion de Russie. Deux ans plus tard, Semin rajoute un championnat dans l’armoire à trophée du Loko. Il quitte finalement le club en 2005 pour la sélection russe… jusqu’à la prochaine fois.
Car seul le banc du Lokomotiv réussit à Yuri Semin. Maintenir les deux petits clubs mentionnés plus haut, amener la Nouvelle-Zélande aux Jeux, qualifier la Russie à la Coupe du Monde 2006 et sa nomination au Dynamo Moscou sont autant d’échecs plus ou moins cuisants. Comme une exception qui confirme la règle, sa pige au Dynamo Kiev se passe bien, un titre de champion et une demi-finale de Coupe UEFA à la clef. Il signe alors son retour au Lokomotiv en 2009. Malheureusement, des résultats en demi-teinte causeront son renvoi au terme de la saison. Par la suite, il connaît d’autres aventures peu concluantes : un retour au Dynamo Kiev, une saison dans le championnat azéri et deux saisons dans des modestes clubs russes.
Le train Semin
En 2016 et contre toute attente, le président du Lokomotiv Ilya Gerkus fraîchement nommé invite Yuri Semin à re(re)venir. Si les supporters apprécient grandement la décision, tout ne se déroule pas exactement comme prévu. En effet, le Lokomotiv Moscou n’accède qu’à une médiocre huitième place mais Semin sauve son poste en gagnant la Coupe. Et quelle bonne idée ce fût de le conserver ! La saison suivante, il remporte le troisième championnat de l’histoire du club, qui sont donc tous gagnés sous l’égide de Yuri Semin.
Un succès d’autant plus inattendu que le Lokomotiv n’est pas un club riche. Contrairement au Zenit, le club dépense assez peu. Pour ainsi dire, les mercatos estivaux 2015, 2016 et 2017 sont synonymes de 16M€ d’achats et 24M€ de ventes. Pendant la saison du titre, les stars du club sont Éder, Farfán, Ari mais surtout le capitaine Denisov, grand espoir au poste de milieu défensif lors de l’Euro 2008 mais dont la carrière fut entachée par ses écarts de comportement. Toutefois, Semin a su le cerner et en a fait son joueur clef.
Aujourd’hui, les coéquipiers de Maciej Rybus, champions de Russie en titre, peinent à faire bonne figure en Ligue des Champions. Néanmoins, ils sont encore en course en championnat, à six points du leader et favori Zenit Saint-Pétersbourg. Mais surtout, ils sont actuellement la meilleure équipe moscovite.