« Hé, j’espère que ça a enregistré, non ? ». Après 44 minutes d’interview, c’est la première chose à laquelle pensait Lisandro López, espérant que l’enregistreur ne se soit pas éteint entre temps. « Passionné, même s’il s’agit de balayer le sol », c’est ainsi qu’il se définit. En short, débardeur et sandales, un quart d’heure à l’avance, assis dans la section A du stade, les pieds posés sur le siège de devant, c’est une image rare : le capitaine que tous les supporters ovationnent à chaque match à domicile est assis à l’endroit d’où viennent les applaudissements.
À l’aise, il sait pourtant que sa place est sur le terrain et non en dehors. Il apprécie la reconnaissance et le soutien des gens, mais prévient tout de même que, s’il avait la possibilité d’appuyer sur un bouton qui le rendrait anonyme, il le ferait sans hésiter. Il se décrit comme un homme tranquille qui aime pêcher, boire du maté et jouer au football.
Par conséquent, il veut se séparer de l’image ennuyeuse qui a été construite de lui sur le terrain de jeu. « C’est caractéristique de la tension avec laquelle je vis les matches. Avec un peu d’adrénaline, beaucoup de nervosité et souvent la peur au ventre. Et je ne vis pas comme ça », déclare l’ancien attaquant lyonnais. « Le vieux » ou « l’ancien », – comme on le surnomme dans les vestiaires – vit tous les matchs comme un enfant et il aime ça. « J’ai toujours peur avant d’entrer sur le terrain, parce que la personne courageuse n’est pas celle qui n’a pas peur, mais celle qui l’a et qui continue d’avancer ». Il s’agit bien de Licha ; ou Lichi, comme on l’appelle toujours dans son village.
Note : cet article est la traduction de l’entrevue de Lisandro López à Identidad Racinguista. Retrouvez l’article complet (en espagnol) en cliquant ici.
Q : Est-ce la peur de la défaite ?
R: Je ne sais pas si j’ai peur de perdre ou d’échouer. C’est plus le fait de ne pas pouvoir contrôler la situation à ce moment-là. Je ne sais pas si c’est de la peur ou de l’incertitude, mais ça donne la boule au ventre.
Q : Et quand disparaît cette sensation ?
R : Elle se dissipe au fil des minutes. Mais, avant d’entrer sur le terrain, je suis toujours nerveux. Je ne peux presque jamais faire de sieste les jours de match.
Q : En dehors du football, as-tu d’autres peurs ? Certains diraient la mort…
R : Non, pas ça, non. Par contre, j’ai bien peur de la solitude.
Q : Tu n’aimes pas être seul ?
R: Si, j’adore. Mais ce n’est pas la même chose d’être solitaire que d’être dans la solitude.
Q : Quelle est la différence ?
R : Un homme solitaire qui veut partager quelque chose avec les autres, il trouvera du monde autour de lui pour le faire. Quelqu’un dans la solitude ne peut pas. C’est très difficile d’être réellement seul et de ne trouver personne avec qui on peut partager les choses que l’on aime. Cette idée me fait peur, j’espère toujours garder auprès de moi les personnes qui me sont chères, parce que c’est le plus important. Une personne à qui je peux me confier, lui dire toutes les choses, bonnes ou mauvaises, mais qui peut aussi compter sur moi. C’est essentiel.
Q : Pourquoi aimes-tu tant ton village ?
R : Parce que le quartier, c’est toute mon enfance et mon adolescence. Le lieu où j’ai vécu des moments extraordinaires, où j’ai toute ma famille, mes amis, la charcuterie et le pain que j’aime. Il y a énormément de choses que j’aime et c’est pour ça que j’y suis si attaché.
Q : Tout au contraire de la ville, n’est-ce pas ?
R : Dans cette campagne de 800 habitants, tu dois esquiver les chiens dans la rue parce qu’ils ne bougent pas, ha ! Aller dans le village, c’est enfiler un short, un débardeur, et marcher pieds nus ou en tongs partout où l’on veut. C’est une autre vie. Là-bas, je suis Lichi depuis toujours.
Q : Pourquoi voulais-tu devenir footballeur ? Quand as-tu réalisé que tu pouvais gagner ta vie grâce à ça ?
R : A dix-huit ans, quand je suis arrivé ici. Évidemment, j’ai aimé ça et je l’ai toujours aimé parce que mon père était joueur amateur. À l’époque, les championnats régionaux avaient beaucoup d’importance. Mon père était un grand footballeur, il jouait aussi numéro 9. Il avait été testé à Chacarita et à Loma Negra, qui étaient à l’époque en première division. J’ai hérité de sa passion. J’ai commencé quand j’avais neuf ans à Newbery de Rojas jusqu’à mes dix-sept ans, quand je suis arrivé ici. Pour moi, c’était un hobby jusque-là.
Q : Et comment es-tu arrivé au Racing ?
R : Miguel Micó m’a vu jouer dans certains tournois de Buenos Aires. Il était alors responsable des jeunes à Lanús. Il m’a dit qu’il voulait que je vienne jouer à Buenos Aires. Entre-temps, il a commencé à travailler pour Racing, et c’est ici que ça a commencé, en janvier 2001.
Au moment de commencer une nouvelle question, Lisandro l’interrompt, en pointant de l’index.
R : Avant, j’avais fait 45 essais, par l’intermédiaire de mon père ou de ses connaissances. Je ne savais pas ce que c’était qu’un représentant à l’époque. Je venais, je passais les épreuves et je retournais dans mon village. Je n’aimais pas ça. Je ne trouvais pas cela juste qu’on me teste en seulement vingt minutes avec dix autres enfants que je ne connaissais pas. Comment pouvoir bien me montrer ainsi ? Psychologiquement, c’était horrible.
Q : Dans quels clubs es-tu allé ?
R : Au Central Rosario, à Newell’s, All Boys, Boca, San Lorenzo, Vélez, deux fois, Lanús, deux fois. Jusqu’à la dernière fois, à 17 ans, quand j’ai dit : « je ne vais plus y aller ». Je me suis alors inscrit à l’université, en faculté de sciences économiques.
Q : Si tu n’avais pas été footballeur ?
R : J’aurais travaillé à la campagne, mais bon ! Contremaître ou quelque chose du genre. Je n’ai jamais eu de mal avec les études, même si je manquais d’assiduité.
Q : Apprécies-tu le fait d’être célèbre ?
R : Non, je n’aime pas ça. Enfin si, j’aime sentir de la reconnaissance pour ce que je fais. C’est ce que je ressens aujourd’hui, et ce que j’ai ressenti quasiment tout au long de ma carrière.
Q : Mais cela peut s’avérer utile, en se créant une certaine influence, par exemple.
R : Ah oui, évidemment. Après, les gens peuvent vouloir vous aider, mais ce n’est pas parce que vous êtes célèbre. C’est surtout parce que vous travaillez dans quelque chose de très populaire, et c’est ce fanatisme qui les amène à faire des choses inhabituelles. Cela peut vous faciliter certaines choses. Et j’en ai souvent bénéficié : par exemple, quand je vais effectuer une procédure administrative, et que je tombe sur un fan de Racing, je bénéficie d’un traitement de faveur. C’est là que ça aide.
Q : Est-ce qu’il t’arrive de manger dehors gratuitement, par exemple ?
R : Non, jamais. D’abord, parce que je ne mange pas souvent dehors. Ensuite, parce que je me battrais avec le propriétaire du restaurant s’il ne voudrait pas me laisser payer.
Q : Les réseaux sociaux ?
R : Ce sont de très puissants outils pour le travail, la communication, mais aussi pour toutes sortes de bêtises. Je ne les utilise pas parce que je ne souhaite pas en faire partie. Ouvrir Instagram pour voir ce que telle ou telle personne a publié, cela ne m’intéresse pas. Par exemple « dimanche après-midi, bain de soleil avec mon amour » ; arrête de me gonfler les c*******, frère ! Prends ton bain et profites-en ! A qui veux-tu montrer ça ? C’est ce que je ne comprends pas.
Ou encore les gens qui te sortent un selfie en disant « Bonjour ». A quoi pensent-ils quand ils font ça ? J’aimerais bien me mettre dans la tête des gens pour comprendre ce qu’ils cherchent à faire. Moi, ça ne me convient pas. Il faut avoir une importante estime de soi. Pourquoi voudrais-tu partager ces choses-là avec tout le monde ?
Licha semble également s’agacer des commentaires – souvent anonymes – dont le seul but est de nuire, et qui touchent particulièrement les familles des personnalités publiques. Personne n’y échappe, pas même le capitaine de La Academia.
Ma mère s’est créée un compte Facebook. Il y a quelque temps, elle y a vu passer une photo de moi, avec des milliers de commentaires racontant toutes sortes d’inepties. Des commentaires positifs, et d’autres négatifs, comme partout ailleurs. Je lui ai dit « Vas te faire f*****, je t’ai dit mille fois de ne pas lire ça ! ».
Q : Aimes-tu regarder des films ?
R : Oui, j’aime les films de type dramatique, un peu tristes. J’aime beaucoup lire aussi. Tu veux que je te conseille un livre ? – suggère Licha, intéressé par le sujet –.
Q : Quels sont tes livres préférés ?
R : Marianela de Benito Pérez Galdós, La Tregua de Mario Benedetti et Veronika décide de mourir de Paulo Coelho.
Q : Est-ce que tu lis durant les rassemblements ?
R : Oui, je lis. Matías Zaracho (son jeune coéquipier de 20 ans, ndlr) dort toute la journée, donc pas de problème, ha.
Q : Les autres joueurs lisent-ils aussi ?
R : Lucas Orban et Augusto Solari, oui. C’est une question de goût. La lecture t’ouvre un peu l’esprit, te donne du vocabulaire, mais si la lecture ne te dit rien … après, certains préfèrent jouer à la Playstation. Je conseille plutôt de lire, mais on ne peut rien imposer.
Q : Pourquoi le Qatar ? Certains pourraient dire que tu es parti pour l’argent
R : Je vais raconter l’histoire en détails. Après trois saisons et environ quatre-vingt buts à Lyon, l’entraîneur a décidé de m’installer ailier gauche, plus ailier qu’attaquant et je n’étais pas d’accord. Gomis jouait 9, Lacazette de l’autre côté, et Gourcuff ou Grenier en meneur de jeu. Après six mois et beaucoup de discussions avec l’entraîneur (Rémi Garde, ndlr), j’ai décidé de laisser le brassard de capitaine et je lui ai dit que je préfère rester sur le banc plutôt que jouer à cette position. En cette fin d’année, j’ai eu l’occasion de m’en aller à la Juve, mais le président de Lyon a fermé la porte. Comme je n’avais pas de représentant, j’étais le seul qui parlais avec les entraîneurs. Il restait une semaine avant la fin du mercato quand m’a appelé Villas-Boas, l’entraîneur de Tottenham. J’avais tout réglé, et le président (Aulas, ndlr) m’a encore fermé la porte. Ah, et en plus, à cette époque j’ai appris que Villas-Boas avait voulu me faire venir à Chelsea mais le club ne m’a jamais rien dit. La frustration était telle que j’ai dit « Je ne jouerai plus en Europe ».
Q : Ensuite ?
R : La première chose que j’ai faite a été d’appeler Ayala (coach du Racing à l’époque, ndlr) pour venir au Racing, mais il m’a dit que c’était impossible parce que Lyon réclamait six ou sept millions d’euros. Il me restait une année de contrat, et je faisais le forcing pour qu’ils me laissent partir. J’ai sondé du côté du Brésil parce que des joueurs de renom y revenaient, mais libres… finalement, un jour, un Marocain est arrivé en France et m’a expliqué que le président d’AI-Gharafa lui a dit de revenir avec moi ou de ne pas revenir. J’ai répondu que je ne suis pas fou. Mais le type est resté en France et a continué d’insister. Au même moment à Lyon, on voulait m’envoyer à Naples ou à Monaco. Mais comme j’avais dit que je ne jouerai plus en Europe, je suis allé au Qatar. D’ailleurs, pour donner une idée, j’allais gagner plus avec un nouveau contrat de deux ans en France que de trois ans au Qatar. Ceux qui touchent vraiment beaucoup sont les Xavi, Raul, Eto’o…
Q : Et ?
R : Au bout de six mois, je voulais juste me tirer de là. Mais je ne regrette pas d’y être allé. De plus, comme le club a été suspendu par la FIFA à la suite d’une négociation irrégulière, ils n’ont jamais laissé partir leurs quatre joueurs étrangers, dont je faisais partie. Puis six mois se sont écoulés, j’ai passé l’année de contrat restante et je suis parti.
Q : Comment est la vie là-bas ?
R : Tu passes un bon moment au Qatar parce que 85 % de la population est étrangère. Tu as toutes sortes de nourriture là-bas, il y a la plage et le désert. Si tu aimes faire du shopping, manger ou boire un verre, tu peux le faire tranquillement. Si tu fais bien ton travail, la vie se passera très bien. Mais je ne jouais pas avec quarante personnes sur le terrain ; peut-être aussi que les entraînements étaient moins exigeants, les retards ne posaient pas vraiment problème.
Q : Quels sont les échecs de ta carrière ?
R : Ne pas avoir assez pris soin de moi. Non pas que je faisais beaucoup la fête, hein. Mais plutôt par rapport aux repas, la récupération, je ne prêtais pas beaucoup attention à la partie physique. En terme d’emploi du temps également. Parce qu’au-delà de ne pas être un type extraverti, je ne suis pas un grand dormeur non plus. Je ne l’ai jamais trop été. Mais j’ai toujours donné le mieux de moi-même, je n’ai rien à me reprocher.
Q : Pourquoi n’as-tu jamais pu t’installer en sélection argentine ? C’était juste une question sportive ?
R : Oui, je crois que c’était à 100 % une question sportive. Il n’y a jamais eu de dispute avec Maradona, comme cela s’était dit. (Lisandro comptabilise sept sélections pour un seul but en sélection argentine, ndlr).
Q : Mais tu as dit un jour que si tu étais un peu plus grand, tu aurais peut-être…
R : Et…. peut-être qu’en vendant un peu plus de rêve, j’aurais eu un peu plus de chances de m’imposer. A l’époque, le championnat de France n’était pas très reconnu. En plus, il y avait déjà de très bons attaquants. Mais moi aussi j’en faisais partie, hein ! Maintenant, la seule vérité est que ça n’est pas arrivé, et je ne cherche pas d’autre explication.
Q : Ton meilleur partenaire sur le terrain ?
R : Lucho González.
Q : Ton meilleur entraîneur ?
R : Celui qui m’a le plus appris est Jesualdo Ferreira. Il m’a entraîné pendant mes deux dernières saisons à Porto. C’est un vieux ronchon. Il m’a beaucoup appris sur les profils, les contrôles orientés, les déplacements. Il a beaucoup insisté sur ces choses-là. Il travaillait beaucoup.
Q : Te reste-t-il encore quelque chose à améliorer ?
R : Tout, mais à cet âge-là, c’est bien compliqué, hein ! Je répète toujours qu’il n’y a pas de limite à l’apprentissage. Chaque jour, j’essaie de contrôler et de frapper un peu plus vite. Aujourd’hui, ma tête me dit d’exécuter des gestes que mon corps ne veut plus me laisser faire. Contrôler en pivot et frapper, puis en me retournant, me retrouver à la porte 12 … (dans les tribunes, au niveau du virage, ndlr).
Q : Gagner le championnat avec le Racing ?
R : Oui ! Nous sommes dans l’obligation de gagner le championnat, ou nous battre jusqu’à la fin. Nous devons rester en tête jusqu’en décembre, il nous restera ensuite 10 matchs à disputer l’année prochaine. Ça ne va pas être facile, hein ! (Le Racing Club est actuellement leader du championnat d’Argentine, avec six points d’avance sur Huracán, son dauphin. Les matchs s’arrêteront le 9 décembre 2018 et reprendront le 27 janvier 2019, ndlr).
Q : Et après le football ?
R : Je vais continuer à travailler sur autre chose, mais je ne sais toujours pas sur quoi.