En 1949, Raoul Diagne deviendra le premier international français noir. En même temps, il deviendra le deuxième joueur noir de l’histoire à porter le maillot d’une équipe nationale. Le premier, c’était près d’un demi-siècle avant. Retour sur l’histoire d’Andrew Watson, le pionnier silencieux.
Le destin
Nous sommes en 1856. En Europe, la piraterie officielle commence à être formellement interdite. Napoléon III clôture le congrès de Paris. De son côté, le Portugal met en place l’abolition de l’esclavage dans une partie de l’Angola. Pendant ce temps-là, en Guyane britannique, à Georgetown plus exactement, le 24 mai, Andrew Watson voit le jour. Son père est un planteur de sucre de cinquante-et-un ans et d’origine écossaise. Sa mère, elle, est une Guyanaise. Noire. La logique voudrait que le père, Peter Miller Watson, ne reconnaisse pas le fils ; et que la mère, Anna, doive élever seule et pauvre son fils. Seulement, dans l’histoire d’Andrew Watson, le destin fait son irruption.
Le père n’est pas un salaud. Il a abandonné l’esclavage il y a déjà plusieurs années, et aime son fils. Il ne veut pas voir Andrew finir dans les plantations, libre mais exploité. Alors au début des années 1860, alors qu’il voyage en Angleterre, il prend sous son épaule son fils et sa sœur Annetta. Dans le même temps, les gentlemans britanniques commencent à codifier un sport que l’on connaîtra plus tard sous le nom de football. Malheureusement pour Andrew, son père décède en 1869. Mais heureusement pour lui, il n’a pas tout dilapidé dans l’alcool, les femmes et le jeu. Il leur laisse, à lui et à sa sœur, un très joli pactole de plus de trente-cinq-mille livres, l’équivalent aujourd’hui de plusieurs millions d’euros.
Avec cet argent, Andrew Watson peut s’offrir les meilleurs instructeurs. Brillant dans le système scolaire, à la Grammar School d’Halifax, il parvient en 1875 à rentrer à la prestigieuse université de Glasgow pour un enseignement de mathématiques et de philosophie.
Travail
Mais Andrew Watson est sans doute un peu grisé par la réussite. Il rencontre en 1876 une jeune femme, décide de se marier avec elle et abandonne ses études. Loin de dilapider son argent, il parvient à se trouver une place en apprentissage dans une petite entreprise locale. Dans le même temps, il rejoint un club local de football pour dépenser son énergie, le Maxwell FC. Le mariage est effectif en novembre 1877. Sa compagne, Jessie Nimmo Armour, est fille d’ébéniste et n’a que dix-sept ans. Pour assurer leur situation financière et surtout sociale, Andrew Watson s’associe à deux camarades et fonde une entreprise de vente en gros à laquelle il donne – en partie – son nom : Watson, Miller and Baird. Aujourd’hui complètement disparue, l’entreprise connaît alors un petit succès.
En 1878, le premier fils d’Andrew Watson, Rupert Andrew, voit le jour. Dans le même temps, il se lie d’amitié avec Robert Walker, un des premiers footballeurs noirs, qui se distinguera notamment sous la tunique du Third Lanarkshire Rifle Volunteers. Ensemble, ils rejoignent le petit club de Parkgrove. Lettré, Andrew Watson, qui commence à se spécialiser en tant que défenseur latéral droit ou gauche, assume les fonctions de secrétaire du club. Cette fonction symbolique lui permet de prétendre au statut de tout premier officiel noir de l’histoire du football. Pas avare d’efforts, Andrew combine son métier et son football à de l’athlétisme. Ses week-ends sont remplis, entre matchs avec le Parkgrove et compétitions d’athlétisme – principalement du saut en hauteur et en longueur.
Mais c’est vraiment dans le football qu’il excelle. Puissant, racé, rigoureux, il contraste avec les défenseurs de l’époque, souvent indolents ou dangereux pour les tibias adverses. Andrew Watson, lui, sait qu’il doit faire très attention. Les arbitres l’ont à l’œil, lui, le noir, « la bête sauvage ».
Gloire
Mais le racisme ne peut rien contre le talent d’Andrew Watson. En 1880, il est sélectionné avec l’équipe de Glasgow pour affronter la sélection de Sheffield. Dans un football écossais qui regorge de talents, notamment à Glasgow, la sélection de Watson prouve ses qualités footballistiques largement au dessus de la moyenne. Et il se fait très vite accepter de son équipe grâce à une prestation de très grande classe, un modèle de match défensif. Son équipe s’impose 1-0 dans une partie hachée mais passionnante. Fort de ce succès, il fait partie de l’équipe sélectionnée pour une tournée au Canada finalement annulée.
Ces prestations de grande classe ont aussi attiré les regards de clubs prestigieux en Écosse. Parmi eux, le club majeur du championnat à l’époque, le Queen’s Park. Il rejoint la formation en 1880, et assume à nouveau les fonctions de secrétaire du club. Pendant deux ans, il distille son talent défensif. Mais surtout, il est appelé officiellement pour la première fois avec la sélection écossaise. Nous sommes en 1881, et l’Écosse s’impose six buts à un contre le voisin anglais. Mais surtout, alors qu’il ne fête que sa première sélection, il porte déjà le brassard de capitaine, lui permettant de prétendre également au statut de premier capitaine noir de l’histoire du football international. Ses prestations de grande classe ne passent pas non plus inaperçues de la presse.
« Un des tous meilleurs arrières que nous avons. Depuis qu’il a rejoint Queen’s Park, il a fait de très gros match, il est très rapide, tacle merveilleusement, est solide et a une bonne qualité de passe, et ne fait tâche dans aucune équipe nationale. »
Triste
Mais cette belle histoire va s’arrêter au milieu de l’année 1882. Andrew Watson, trois sélections dont deux en tant que capitaine, ne sera plus jamais appelé en équipe nationale. La raison ? Il déménage à Londres, pour des raisons purement professionnelles. Sa femme ne supporte pas le dépaysement, et meurt au mois de novembre. Ne pouvant élever seul ses enfants, il les renvoie à Glasgow, chez leurs grand-parents. Dans le même temps, il continue le football, sous le maillot des Swifts. Avec le club londonien, il devient le premier joueur noir de l’histoire à disputer la F.A. Cup. Et surtout, il se fait un petit nom à Londres.
Un nom qui lui permet de rejoindre le prestigieux club des Corinthians, le club amateur le plus célèbre d’Angleterre. Très performant, le club refuse en effet de disputer tout match officiel. La raison ? Un vrai gentlemen ne fait pas du sport pour la compétition. Et ce n’est pas le talent qui manque. Alors qu’Andrew Watson fait partie de l’effectif corinthien, le club fesse les Blackburn Rovers, vainqueurs de la F.A. Cup, sous le score fleuve de huit buts à un.
Ses anciens coéquipiers en Écosse se languissent de lui, et il revient à l’occasion disputer quelques matchs. Cela lui permet de garnir son palmarès de deux coupes d’Écosse en 1886 et en 1887. Une dernière pige à Liverpool, probablement payée, sous le maillot du Bootle FC, lui permet de prétendre au statut de premier joueur noir professionnel de l’histoire, bien avant Arthur Wharton une décennie plus tard. Néanmoins, le manque de preuves écrites lui imposent de ne pas revendiquer cette première place.
La fin
Après cette dernière pige, Andrew Watson prend sa retraite pour de bon. Il se remarie en 1887 avec Eliza Kate Tyler, la fille d’un marchand d’extrême-orient. Andrew a un nouveau fils, Henry, en 1888, et une autre fille trois ans plus tard, Phyllis Kate. Largement oublié durant les années qui suivent, il se met à travailler dans la marine, en tant qu’ingénieur sur les navires.
Largement oublié, mais pas complètement. Certes, aucun rapport de match de l’époque ne mentionne jamais sa couleur de peau. Certes, personne ne sait rien de sa fin de vie – deux sources indiquent qu’il serait mort en 1921, l’une le 8 mars à Londres et l’autre le 3 août en Australie. Mais la fédération écossaise n’a pas oublié de l’introniser dans son hall of fame en 2009. Avant eux, en 1926, « Tityrus » Catton, le rédacteur en chef du fameux journal sportif Athletic News l’inclura en tant qu’arrière gauche de son équipe all-time écossaise.
Si la sélection d’Andrew Watson peut faire penser que le statut des noirs en Écosse était particulièrement avancé, cela n’est pas complètement vrai. Certes, il a su surpasser les préjugés pour jouer dans les meilleures équipes de l’époque et devenir le capitaine du pays. Mais il faudrait attendre 1975 et Paul Wilson pour voir un deuxième noir en sélection écossaise, et Nigel Quashie en 2004 pour voir le troisième.