Relativement peu connu à l’ouest de l’Europe, le football roumain regorge pourtant de joueurs de talents. Hagi, bien sûr, dont le nom fait briller des étoiles dans les yeux de tout amateur de football. Nicolae Dobrin aussi, le prince de Trivale au jeu si fin et si technique. Un nom devrait figurer à leurs côtés dans le panthéon du football roumain. Un tragique accident en a voulu autrement. Cette histoire, c’est celle de Aurel Rădulescu, le prince roumain.
Terrains vagues
C’est entre les terrains vagues et les grandes routes larges que le petit Aurel Rădulescu voit le jour le 13 août 1953 dans la petite ville d’Adamclisi. Sur les rives de la mer noire, à la frontière de la Bulgarie, une ville sans histoire. Deux-mille habitants aujourd’hui à peine, sans doute moins à l’époque. Des terrains vagues, beaucoup. Un communisme dur aussi, qui empêche les gamins de connaître les loisirs de la société occidentale, et qui les force à avoir recours à leur imagination. Et forcément, des terrains vagues, un culte du sport, des enfants, cela donne du football.
Le football, c’est ça qui berce l’enfance de Aurel Rădulescu. Il fait connaissance avec le ballon rond alors qu’il n’a que cinq ans, dans les terrains vagues de Brătianu. Un ou deux ans plus tard, il rentre à l’école primaire, et passe ses après-midi dans la cour d’école poussiéreuse à manier la balle, faite de chiffons entrelacés d’abord, puis un peu plus qualitative après. Entres les cailloux et les clous, entre les déchets et les mauvaises herbes, il faut développer une technique particulière pour parvenir à manier le ballon.
Et comme Aurel Rădulescu veut être le meilleur, il apprend à éviter les obstacles. Sourire aux lèvres, il guide la balle avec élégance, et agace les jeunes qui essayent de le stopper. Pas de clubs pour le repérer dans la petite ville, pas de club amateur pour faire parler son talent, pas d’espoirs de carrière professionnelle. Juste le plaisir du jeu simple et pur.
La rencontre
Et puis un jour, Adam Munteanu. Munteanu est alors entraîneur du Farul Constanța, après une modeste carrière de footballeur et des années passées dans l’armée. Entraîneur, mais aussi recruteur, dans un contexte économique relativement compliqué. Il va voir, dans toutes les villes de la région, les matchs des équipes de jeunes, à la recherche de la perle rare, du nouveau talent, du joueur qui peut tout changer. Et Munteanu, au détour des années 1960-1965, fait les soixante kilomètres qui séparent Constanta d’Adamclisi. Un voyage qu’il ne regrettera jamais.
Car entre les joueurs incertains techniquement, les jeunes qui sont prêts à mal tourner et les défenseurs rugueux qui compensent leur manque de sûreté technique par de l’intimidation, son regard se pose sur un numéro dix élégant. « Qui est ce gamin ? », demande Munteanu. Ce gamin, c’est Aurel Rădulescu. « Quel âge a-t-il ? ». Une douzaine d’années. Adam Munteanu est séduit par la fougue, la vista et la classe naissante de Rădulescu. Il s’en va immédiatement voir le jeune homme et ses parents, décroche pour lui une place dans son équipe de jeunes et le fait venir sous son aile à Constanta.
Il ne faudra que six ans à Aurel Rădulescu pour passer d’inconnu des terrains vagues d’Adamclisi à nouveau joueur de l’équipe première. Dix-huit ans à peine, et une première prestation pleine de promesse face au Steagul Roșu Brașov. Le talent est là, mais va mettre une bonne année avant de se mettre vraiment en évidence. La saison 1972-1973 va être témoin de son explosion. Une vingtaine de matchs, deux buts et une dizaine de passes décisives pour le jeune ailier gauche qui commence à se faire un nom.
Première classe
Un nom suffisant pour connaître sa première gloire au niveau international. Dans le tournoi de Viareggio – qui ne compte que des clubs -, le Steaua Bucarest, seul représentant roumain, aligne une sélection des meilleurs jeunes de toute la Roumanie. Parmi ces jeunes, Aurel Rădulescu qui jouera là pour la seule et unique fois sous le maillot du Steaua. Avec le grand club de Bucarest, Aurel Rădulescu termine troisième du tournoi, en ayant battu notamment les anglais de Crystal Palace dans le match pour la troisième place.
Rappelons le contexte. Nous sommes en 1973, Rădulescu vient de fêter ses vingt ans et d’avoir son bac – le système scolaire communiste dure un an de plus que le système scolaire traditionnel occidental. Pas de carrière professionnelle à envisager dans les termes modernes. Surtout en Roumanie en 1973. Aurel rejoint l’université de sciences économiques de Bucarest, mais ne parvient pas à se faire une place dans l’équipe étudiante, le Sportul Studențesc. Il ne dispute que neuf matchs et ne marque qu’une fois. Certes, il a des qualités sur le terrain. Mais il n’est pas aussi inspiré que la saison précédente.
Alors pour lancer sa carrière en parallèle de ses études, il parvient à se faire prêter au Dunărea Galați en deuxième division roumaine. Avec le « Duna », il remporte le titre de champion de Divizia B, et est prêt à lutter chèrement pour sa place quand il revient au Sportul en 1974. Sa place, il va la trouver très rapidement. En quelques matchs, il devient le maître à jouer d’une équipe qui se met à jouer les premiers rôles en Roumanie. Après une petite crise d’hépatite qui le freine dans son ascension, Aurel fait ses débuts dans l’équipe nationale de Kovács en 1978. La Roumanie gagne 3-2 contre la Yougoslavie, et Rădulescu joue la deuxième mi-temps.
Le drame
Le public voit en lui le successeur idéal du génialissime Nicolae Dobrin. Dans le même temps, le gaucher porte le Sportul aux premiers rangs du football roumain. Finaliste de la coupe de Roumanie, le club réussit une des plus belles saisons de son histoire, et Aurel Rădulescu n’y est pas pas pour rien. Dans le même temps, sa vie personnelle s’éclaire, avec l’annonce de l’accouchement à venir de sa femme. Malheureusement, Aurel Rădulescu est convoqué pour une tournée en Europe de l’ouest, qui a figure également de vacances.
En Allemagne, tout se passe bien. Jusqu’à ce jour tragique. Dans le train, Aurel Rădulescu et Gică Stroe manquent à l’appel quand il faut descendre en gare d’Hanovre. Ils ont oublié l’arrêt. Soudain, il s’en rendent compte. Trop tard. Le train va beaucoup plus vite qu’en Roumanie. Les deux tentent de descendre en marche, forcent la porte, ne voit pas qu’il manque un escalier. Rădulescu saute le premier, le train lui roule dessus. Stroe saute immédiatement après et se fracasse le crâne contre un poteau. Aucun des deux ne meurt sur le coup, les ambulances arrivent rapidement.
Mais rien n’y fera. Rădulescu décède le 4 juillet 1979, des complications de son accident, et ne verra jamais son fils qui naît le 7 juillet. Stroe survit, mais ne retrouvera jamais ses capacités physiques et ne pourra plus rejouer au football. Un destin tragique pour Aurel Rădulescu, qui aurait dû être le grand talent du football roumain mais qui n’aura été qu’une étoile qui s’est éteinte avant d’avoir pu briller.