Votre série du mardi reste sur la côte est et s’intéresse cette fois-ci à New York. Ville cosmopolite, ville de football, aussi. Aujourd’hui, elle est la seule de la conférence est de MLS à posséder deux franchises rivales. D’un côté, le Red Bull New York. De l’autre, le New York City F.C. des dirigeants de Manchester City. Pourtant, malgré des finances imposantes, ces deux équipes envient toujours le prestige d’une troisième, disparue en 1985 puis rebootée en 2010 : les New York Cosmos. Voyageons dans le temps, à une époque étrange où le soccer américain était au sommet du monde.
Quand les États-Unis ne connaissaient pas Pelé…
Comme la ville de Détroit, visitée la semaine dernière, le New York Cosmos (contraction de Cosmopolitans) a vécu la gloire et la déchéance. Le club naît en 1970 de l’initiative du groupe Warner Communications. Il possédait à l’époque Warner Brothers, DC Comics ou Atari. Le club évolue dès sa création en NASL, première ligue fondée deux ans auparavant. La NASL était alors divisée en groupes de quatre équipes. Les Cosmos faisaient partie de la Northern Division, aux côtés d’équipes comme les Lancers de Rochester, les Metros de Toronto ou encore le Montréal Olympique. Le projet est très ambitieux : devenir au plus vite un géant du football mondial.
Durant les premières saisons, de 1970 à 74, les Cosmos enchaînent les bonnes performances. Malgré trois changements de stade (le Yankee Stadium, le Hofstra Stadium et le Downing Stadium), l’équipe finit régulièrement dans les trois premiers. Elle gagne même le championnat de 1972 contre les Stars de Saint-Louis.
La star de l’époque est l’attaquant Randy Horton (rien à voir avec le catcheur), natif des Bermudes mais new-yorkais de cœur. En 71, à vingt-six ans, il rejoint les Cosmos. Il devient en quatre ans le meilleur buteur de l’équipe avec vingt-neuf buts pour cinquante-et-une apparitions. Il est même nommé Most Valuable Player (MVP) en 1972.
Pourtant, en 1974, tout semble s’effondrer : les Cosmos finissent derniers de leur division. Alors, les dirigeants savent qu’il est temps de mettre en œuvre leur plan secret. En effet, depuis la création de l’équipe, le rêve du manager général, Clive Toye, est d’attirer les meilleurs joueurs de tous les temps. Lorsqu’El Trinche Carlovitch refuse leurs avances, c’est vers Pelé qu’ils se tournent…
Les incontournables Cosmos
La signature de Pelé agit comme un tremblement de terre dans le monde du football et surtout dans le soccer américain. Elle est comparable à l’arrivée, plus tard, d’un certain David Beckham. La star brésilienne a déjà trente-cinq ans. Elle obtient quand même un juteux contrat de deux ans et touche alors 1.4 millions de dollars par saison, du jamais vu dans le football et même dans le sport de haut niveau.
Le soccer, auparavant boudé du public et des médias, gagne subitement une popularité extrême. Dès 1975, New York et le monde portent les couleurs vert et blanc des Cosmos. Par exemple, le premier match de Pelé contre le Dallas Tornado est diffusé dans plus de vingt-deux pays. Le club doit accueillir plus de trois cents journalistes étrangers. Petite anecdote : la pelouse était en si mauvais état au Downing Stadium que le jardinier aurait été obligé de la peindre en vert.
Mais les propriétaires du club n’en avaient pas fini là. Malgré leur nouvelle popularité, les Cosmos peinent à retrouver les sommets. Ils finissent 3e sur 4 en 1975. Les dirigeants font alors l’acquisition d’autres stars. En 1976, c’est la légende Giorgio Chinaglia qui débarque outre-Atlantique. L’ancien de la Lazio n’a que vingt-huit ans et vit ses meilleures années de footballeur. Il expliquera plus tard que son choix fut alors motivé par l’envie de quitter l’Italie et Rome, où il subissait des menaces de mort de la part des supporters de la Roma.
La saison de 76 voit les Cosmos terminer 2e derrière une nouvelle équipe aux mêmes ambitions que New York, les Tampa Bay Rowdies, vainqueurs du championnat de 75. Chinaglia fait une très bonne saison et marque dix-neuf buts.
Mais c’est en 77 que l’histoire s’écrit véritablement. Les Cosmos signent Carlos Alberto, compatriote de Pelé, et l’Allemand Franz Beckenbauer, récent champion du monde avec l’Allemagne de l’Ouest. L’engouement est total et la saison une ultime réussite. S’ils finissent 2e derrière les Strikers de Fort-Lauderdale, les Cosmos accèdent tout de même aux playoffs.
Ils battent d’abord leur premier rival floridien, les Rowdies, 3-0 et s’imposent ensuite contre Fort-Lauderdale devant plus de 77 000 spectateurs (c’est presque le double de leur chiffre moyen, situé autour des 40 000 spectateurs par match). Ils continuent ensuite les playoffs contre Rochester, puis disputent la finale contre Seattle. New York s’imposera finalement 2-1.
Les fans des années 80…
Après une saison de folie et un titre bien mérité, Pelé annonce qu’il prend sa retraite. Il a trente-sept ans. C’est un vrai coup dur pour les Verts (les vrais, ceux de New-York), qui n’ont pas de tête d’affiche pour le remplacer. Chinaglia marque énormément, régulièrement plus de 30 buts après 78, mais cela ne semble plus suffire pour les fans et médias qui en veulent toujours plus.
De plus, l’arrivée de stars à New York a mis une telle pression sur les autres clubs qu’ils ont été, eux aussi, obligés de suivre le même modèle dépensier. Johan Cruyff, Eusébio, Gerd Muller et beaucoup de grands noms rejoignent la NASL.
Selon Jack Daley, président des Sockers de San Diego :
Vouloir concurrencer les Cosmos était devenu à la mode. Chacun se devait d’avoir son Pelé. Les entraîneurs parcouraient le monde à la recherches de pépites… Les prix ont monté.
Cette course au recrutement force les clubs à accumuler les stars et les empêche en même temps de se péréniser. On n’investit ni dans les infrastructures, ni dans les contrats télévisés, ni dans les centres de formation. Il n’était ainsi pas rare de voir les clubs allouer plus de 75% de leur budget aux salaires.
Colosse aux pieds d’argile, la NASL voit très vite les limites de son modèle. Inévitablement, dès 1980, chaque club, un par un, fait faillite. D’abord Houston, Washington et Rochester. Ensuite, Atlanta, Minnesota, Los Angeles et Calgary… Rapidement, la ligue se vide. En 1984, pour sa dernière saison avant sa faillite prévisible, elle ne compte plus que 9 équipes.
New York, elle, persiste. Durant les dernières années de la NASL, les Cosmos amassent les trophées. Grâce à Chinaglia et Roberto Cabañas, ils terminent premiers de leur division de 78 à 83.
En 1984, dans un dernier effort pour relancer la ligue, les Cosmos font l’acquisition de Władysław Żmuda, expérience qui se solde par un échec.
Disparition et reboot
Comme une étoile filante, les Cosmos auront brillé avant de s’éteindre. La société propriétaire, Warner Communications, subit les tentatives de rachat de l’Austalien Rupert Murdoch. Elle est obligé de vendre deux de ses filiales : Atari et Global Soccer, Inc., qui s’occupait alors des Cosmos. Ayant toujours voulu posséder un club en Amérique du Nord, Chinaglia décide de racheter le club. Seulement, il ne possède pas les mêmes ressources financières que son prédécesseur. Il se voit dans l’obligation de se séparer de plusieurs gros contrats. L’année 1984 sonne le glas des Cosmos, qui terminent bons derniers de leur division. Le club, tout comme la NASL sont dissouts la saison d’après. Ils auront été, au final, dévorés par leur ambition.
Pendant vingt-cinq ans, les Cosmos n’existant plus, les droits du club appartiennent à son dernier manager général. Peppe Pinton. Il refuse à plusieurs occasions de vendre ce qui reste du club aux potentiels repreneurs, de peur que l’héritage et l’image des Cosmos soient bafouées. En effet, la MLS, créée en 1993, n’hésite pas à reprendre et exploiter les noms et identités d’anciennes grandes équipes disparues.
Ce n’est qu’en 2009 que Pinton finit par céder. Il vend les droits entiers des Cosmos à un consortium mené par l’ex vice-président de Tottenham, Paul Kemsley. En hommage aux belles années du club, Pelé devient président d’honneur et Chinaglia ambassadeur. Kemsley engage aussi le sulfureux Eric Cantona en tant que directeur sportif, poste qu’il quittera en 2012.
Le retour des Cosmos fait grand bruit dans la Big Apple. Le club est iconique et aimé dans le monde entier, Contrairement au Red Bull New York, club relativement sans histoire, les Cosmos représentent toute une génération dorée, mais aussi le plus gros gâchis du football moderne.
On meurt deux fois…
La nouvelle direction du club veut tout d’abord acheter une franchise de MLS. Son président, Seamus O’Brian, est chargé de négocier avec le président de la MLS, Don Garber. Les deux hommes ne s’entendent pas : le coût d’entrée de 100 millions de dollars est jugé trop élevé. De plus, la MLS suit un modèle très particulier. C’est elle qui possède les entiers droits de ses franchises et de leurs joueurs, et O’Brian ne se voit pas abandonner ce qu’ils ont lutté pour obtenir. Enfin, l’absence de promotion et de relégation déplaît. O’Brian décide finalement qu’il est préférable pour les Cosmos de rentrer en NASL, restructurée en 2013.
Il n’était alors pas impensable que l’équipe fasse une ou deux saisons en NASL avant de migrer, comme l’Impact de Montréal en 2011, vers la MLS. Un coup dur survient pourtant en 2013. La création du New York City F.C., club des émirats, anéantit la chance des Cosmos de migrer vers la MLS, deux franchises pour une seule ville étant jugé convenable.
Malgré ces mauvaises nouvelles, les Cosmos performent. Ils gagnent 3 Soccer Bowls, la coupe de la NASL. Ils signent même Raúl, tout droit débarqué du Réal Madrid. Ce schéma ne vous dit rien ? Le club reproduit les mêmes erreurs que trente ans auparavant. Si bien qu’en 2016, il annonce des pertes de près de 30 millions de dollars depuis trois ans. Il se voit ainsi obligé de licencier plusieurs joueurs.
Le club ne meurt pas pour autant. Il est racheté par un magnat de l’industrie télévisée, Rocco Commisso. Cet effort est vain : c’est finalement la NASL, dépossédée du rang de 2e division, qui annonce qu’elle ne jouera pas la saison 2017.
Désormais, les Cosmos et tous leurs fans dispersés à travers le monde sont dans l’attente. L’attente d’une restructuration fondamentale du système américain, qui aura vu en quelques décennies des centaines de clubs et de ligues disparaître. Malgré la phrase du philosophe, qui dira que « la seule certitude dans la vie, c’est la mort », il semblerait qu’il existe une salvation possible du soccer américain dans la pérennisation de ses ligues. À méditer.